SECTION II :
LE REGIME APPLICABLE DANS UN CADRE CONTENTIEUX
La qualité de commerçant, bien que tributaire
d'un vaste ensemble d'obligations, s'accompagne tout de même d'une gamme
d'avantages ou de privilèges que la loi aménage en faveur des
commerçants pour faciliter la conduite de leurs activités. Ces
privilèges s'observent avec plus de clarté dans le cadre d'un
contentieux avec un tiers. Le commerçant de l'informel se verra
écarté du bénéfice de nombreuses dispositions qui
lui auraient été fort utiles dans un quelconque contentieux (Para
I) ; plus important sera la question de l'application du droit des
procédures collectives à son égard (Para II).
PARA I : L'IMPOSSIBLE BENEFICE DES PRIVILEGES DE
PROCEDURE EN MATIERE COMMERCIALE.
Le régime procédural dans un contentieux en
matière commerciale est spécifiquement déterminé en
raison de la nature des professions commerciales, et surtout par souci
d'efficacité et de célérité, dans un monde
où délicatesse et temps coûtent cher. En effet, il est
aménagé à l'égard du commerçant, des
privilèges de procédure comme on peut le constater
d'emblée par le droit pour lui d'être jugé devant un
tribunal de commerce en principe composé de commerçants et de
magistrats rompus à la pratique des affaires, et qui sont plus
au fait des pratiques commerciales que les juges civils.
Malgré l'inexistence des tribunaux consulaires dans les Etats membres de
l'OHADA, la théorie n'en perd grandement pas son importance puisque
devant les juridictions de droit commun, s'appliquent des règles propres
au droit commercial ; bien qu'on puisse douter du professionnalisme de ces
magistrats de droit commun en ce qui concerne la matière commerciale. En
toute hypothèse, le commerçant de l'informel perd ce droit
d'être jugé selon les formes propres au droit commercial, il ne
pourra l'être que si l'autre partie le désire afin d'y tirer des
avantages qui joueront sans doute contre ce commerçant dans le
déroulement et l'issu du procès.
De même, le commerçant de l'informel pourrait
perdre le bénéfice des clauses compromissoires. Ce sont des
stipulations obligeant les parties à soumettre leurs éventuels
litiges à un arbitre prédéterminé et se distinguent
du compromis en ce qu'elles préexistent au litige. Les clauses
compromissoires n'étaient licites qu'entre commerçants, si l'un
d'eux ne l'était que de fait, il ne pouvait donc se prévaloir de
la clause et son adversaire avait le choix de l'invoquer ou non.142
En déclarant à l'article 1er de son AU.DA que ses
dispositions s'appliquent à tout arbitrage, le législateur OHADA
entend faire disparaître la distinction qui existait entre l'arbitrage
commercial et l'arbitrage civil. Par conséquent, la clause
compromissoire, naguère réservée en droit interne à
l'arbitrage commercial, peut s'appliquer aussi bien en matière civile
qu'en matière commerciale, ou tout simplement inciter l'application du
droit de l'arbitrage OHADA, fut-elle une clause entre un commerçant
régulier et un commerçant informel.
La perte de ces privilèges de procédure
s'observe avec plus d'importance quand il est question des règles de
preuve et de prescription (A) ou encore du régime des baux commerciaux.
(B)
142 ELHOUEISS (J.L), « le commerçant de fait »,
op.cit., p. 5.
A - LES REGLES DE PREUVE ET DE PRESCRIPTION
L'examen des règles de preuve (1) précèdera celui
des exigences liées à la prescription (2)
1° Les règles de preuve.
Contrairement au droit civil où la preuve est
réglementée, le droit commercial préconise la
liberté de preuve des actes juridiques. Cette liberté de preuve
est exprimée par l'article 5 AU.DCG qui dispose que : « Les
actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à l'égard
des commerçants ». Le législateur OHADA fait une
application singulière de cette règle en reconnaissant qu'en
l'absence d'un écrit, le contrat de vente commerciale peut se prouver
par tout moyen y compris par témoin143, le contrat
d'intermédiaire de commerce aussi144. Le fondement juridique
de la liberté de preuve repose sur la rapidité, la confiance et
le caractère répétitif des opérations commerciales
qui sont conclues souvent dans les mêmes conditions et entre les
mêmes personnes, un écrit signé par les deux parties se
présenterait comme une formalité inutile145. Alors la
liberté de preuve facilite la rapidité des transactions car le
commerçant n'aura pas à fournir uniquement un acte écrit
pour prouver l'acte juridique. Il pourra en effet faire usage de tout moyen de
preuve (témoignages, copies, livres de compte, usages...) et, les
dispositions du Code Civil en la matière ne lui sont pas applicables.
Toutefois, si le commerçant est de fait ou de l'informel, il perdra le
bénéfice de cette liberté de preuve et sera soumis au
formalisme de ce code civil en matière de règles de preuve. Ce
qui pourra poser quelques problèmes puisque dans la majorité des
cas, le commerçant n'aura pas de preuve préconstituée.
Mais que faire ? Puisque ce dernier doit subir son état et se voir
écarter des avantages qui accompagnent les professions commerciales
comme c'est également le cas pour les règles liées
à la prescription.
143 Art 208 AU.DCG.
144 Art 144 al 2 AU.DCG.
145 GUYON (Y.), op.cit., N°78 ; p. 71.
2° Les règles de
prescription
La rapidité des opérations commerciales commande
que le délai de la prescription extinctive ne soit pas en principe celui
de droit commun qui est de 30 ans. En France, l'article 189 bis du Code de
Commerce, introduit seulement en 1948 et qui préconisait la prescription
décennale, harmonisait ainsi le délai de cette prescription avec
le délai de conservation des livres de commerce qui est de
10ans146. L'idée de cette prescription plus courte part du
fait qu'on ne peut pas demander au commerçant de conserver plus
longtemps la preuve des actes qu'il accomplit alors qu'il ne lui est pas
souvent exigé d'écrits. De plus la sécurité et la
rapidité des transactions commerciales s'accommodent mal de la
nécessité de faire peser indéfiniment la menace des
poursuites judiciaires sur les débiteurs147. Il s'agit ainsi
de mettre fin le plus rapidement possible à l'insécurité
dans laquelle se retrouveraient les parties, anxieuses l'une et l'autre
après la conclusion d'un contrat à l'effet de le voir
invalidé par la suite. L'article 18 AU.DCG est venue réduire ce
délai de prescription pour le ramener à 5 (cinq) ans.
D'après cet article, « Les obligations nées à
l'occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre
commerçants et non commerçants, se prescrivent par cinq ans si
elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes. »
Comme le laisse entrevoir cette disposition, il est des cas où
l'obligation peut être éteinte avant le délai de 5 ans.
C'est ainsi que l'article 274 du même acte uniforme prévoit que le
délai de prescription en matière de vente commerciale est de 2
(deux) ans.
Cette prescription extinctive préférentielle
s'applique aux obligations nées lors du commerce entre commerçant
et non commerçant. Si le commerçant est de l'informel c'est
à dire s'il n'est pas immatriculé, la sanction est le passage
à la prescription trentenaire de droit commun148. Il perd
donc en pareil cas, le
146 AKUETE (P.) et YADO (J.), op.cit., N° 125, p. 75
147 Ibid
148 Com 2 mars 1993, RTD-CIV., 1993, N° 283.
régime favorable de la prescription courte. La privation
du bénéfice de la propriété commerciale accentue
cette rigueur.
B - LA PRIVATION DU REGIME DES BAUX
|