LA COMMERCIALITE DE FAIT DU SECTEUR INFORMEL ET
L'APPLICABILITE DU DROIT DES AFFAIRES
IL a été présenté que le droit des
affaires opère systématiquement des rapprochements entre des
situations de fait et celles de droit pour appliquer aux premières des
règles régissant les secondes, afin que rien de ce qui touche
à la vie des affaires ne passe à coté de son orbite. Il
s'agit ainsi d'une interprétation extensive et souple du concept de la
commercialité, mais plus pour imposer la rigueur que pour faire partager
les faveurs du droit des affaires. Chaque opérateur du secteur informel
se convainc qu'il échappe au droit et se complaît infiniment dans
ce non droit, qui pourtant ne dépasse guère le stade d'une vue de
l'esprit car rien n'échappe véritablement à l'empire
tentaculaire du système juridique128. En effet, aux termes de
l'article 39 AU.DCG, les personnes physiques assujetties à
l'immatriculation au RCCM qui n'ont pas requis celle-ci dans les délais
prévus, ne pourront se prévaloir de la qualité de
commerçant et ne pourront également invoquer leur défaut
d'inscription au RCCM pour échapper aux responsabilités et
obligations inhérentes à cette qualité. Il s'agit
assurément de ce qu'il est convenu d'appeler l'applicabilité
discriminatoire du droit des affaires aux commerçants qui baignent dans
l'informalité juridique. Cette discrimination repose sur le bon sens et
la logique juridique qui voudraient que ceux qui s'adonnent aux
activités informelles en échappant aux contraintes qui accablent
les opérations du secteur structuré, ou tout simplement en
violant les lois et règlements, soient sanctionnés par le droit
qui, par essence, veille au respect des dispositions légales,
règlementaires et statutaires. Pour faire la
128 MASAMBA MAKELA (R.), op.cit., p. 3.
lumière sur cette applicabilité discriminatoire,
mieux rigoureuse, du droit des affaires OHADA au secteur informel, il serait
judicieux d'observer le régime applicable aux commerçants d'un
tel secteur selon qu'on est (section I) ou non (section II) dans un cadre
contentieux.
SECTION I :
LE REGIME APPLICABLE HORS CONTENTIEUX: LA SOUMISSION
AUX CONTRAINTES DE LA QUALITE DE
COMMERÇANT.
La qualité de commerçant est
généralement tributaire d'un certain nombre d'obligations,
notamment les exigences d'ordre fiscal, de compatibilité ou
d'éthique commerciale. Intéressons-nous à ces deux
dernières exigences129 car en réalité, il est
sans doute problématique et délicat d'admettre avec
effectivité et efficacité, la soumission du secteur informel aux
obligations comptables du commerçant (Para1), la difficulté
devenant de plus en plus sérieuse quand il est question du respect des
règles d'éthique commerciale dans le secteur informel. (Para
2)
PARA I : LA PROBLEMATIQUE DE LA SOUMISSION DU SECTEUR
INFORMEL AUX OBLIGATIONS COMPTABLES DU COMMERÇANT.
Le droit comptable étant un outil important pour toute
activité commerciale sérieuse et ordonnée, il n'est pas
surprenant de constater que l'article 2 du traité OHADA ait retenu cette
matière dans son vaste chantier d'harmonisation. En effet, bien que
l'obligation de tenir une comptabilité s'apparente comme une contrainte
dans la mesure où elle permet aux tiers en général
d'être informés sur le commerçant, et à l'Etat en
particulier de mieux
129 Parce que en ce qui concerne la fiscalisation ou
l'imposition de l'économie informelle, les pouvoirs publics trouvent
toujours les moyens pour prélever les taxes de telle manière que
les difficultés ne subsistent que pour la soumission aux obligations
comptables et d'éthique commerciale.
l'assujettir à différents impôts et taxes,
elle peut être aussi regardée comme un moyen permettant au
commerçant de mieux gérer son affaire par une évaluation
et un suivi normal de ses activités. Les obligations comptables du
commerçant sont l'oeuvre des dispositions combinées de l' AU.DCG
et de l'AU.OHCE130. Pour l'essentiel, le commerçant est tenu
de disposer d'une comptabilité régulière qui peut servir
de moyens de preuve en justice131. Dès lors, on est
porté à s'interroger sur la tenue d'une compatibilité
régulière et des documents comptables dans le secteur informel
(A) ; mais surtout sur la valeur juridique de cette comptabilité dans le
secteur informel. (B).
A - LA TENUE D'UNE COMPTABILITE ET DES LIVRESDE
COMMERCE DANS LE SECTEUR INFORMEL.
Avant même de se présenter comme une obligation
légale, la comptabilité a toujours été une
nécessité pour le commerçant afin de connaître
l'état de ses finances et pour conserver la mémoire de ses
opérations132. La loi l'a par la suite imposée car
elle est une source irremplaçable d'informations pour reconstituer
l'histoire des activités du commerçant au cas où il
viendrait à faire l'objet d'une procédure collective d'apurement
du passif. Ainsi, l'art 13 l'AU.DCG oblige tout commerçant, personne
physique ou morale à tenir un journal dans lequel sont
enregistrées au jour le jour, ses opérations commerciales et un
grand livre comportant une balance récapitulative ainsi qu'un livre
d'inventaire. Ces livres comptables doivent être tenus
conformément aux dispositions de l'AU.OHCE. l'Art 14 AU.DCG poursuit en
précisant que le journal et le livre d'inventaire
130 Les règles qui gouvernent la tenue d'une
comptabilité sont précisées d'une part par: l'Acte
Uniforme portant Organisation et Harmonisation des Entreprises, entré en
vigueur dans les Etats parties au Traité de l'OHADA depuis le
1er janvier 2001 pour les comptes "personnels des entreprises ", et
à compter du 1er janvier 2002 pour leurs" comptes
consolidés et combinés" ; On les nomme globalement "
Système Comptable OHADA. Et d'autre part par le Chapitre III du livre I
de l'Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général.
131 En effet, aux termes de l'Art 15 de L'AU.DCG:
« Les livres de commerce visés à l'article 13 cidessus et
régulièrement tenus peuvent être admis par le Juge pour
constituer une preuve entre commerçants ».
132 AKUETE (P.) et YADO (J.), op.cit., p 83.
doivent mentionner le numéro d'immatriculation au
Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de la personne physique ou
morale concernée et doivent être côtés et
paraphés par le Président de la juridiction compétente, ou
par le Juge délégué à cet effet. Ils doivent
également être tenus sans blanc, ni altération d'aucune
sorte. Alors, si le législateur a les moyens plus ou moins
avérés pour veiller au respect de cette exigence liée
à la comptabilité dans le secteur formel, dispose-t-il des
mêmes moyens pour assujettir les opérateurs du secteur informel
à cette contrainte comptable? La réponse n'est pas aisée
lorsqu'on fait une fois de plus référence à l'Art 14 sus
mentionné pour se rendre compte que le commerçant informel, se
définissant par principe à travers l'absence d'immatriculation,
ne peut véritablement faire l'objet d'un suivi administratif à
travers le rôle du président de la juridiction compétente
ou du juge délégué qui, par leur côtes et paraphes,
assurent le suivi de la comptabilité dans leurs circonscriptions de
compétence. Dès lors, cette contrainte liée à la
tenue d'une comptabilité régulière est d'une
applicabilité difficile dans le secteur informel, et cela peut
d'ailleurs trouver une justification dans le fait que l'informalité
juridique qui englobe les opérateurs d'un tel secteur, affecte
inéluctablement leur comptabilité qui, rarement respectera les
règles de l'art en la matière. On peut ainsi s'interroger sur les
documents comptables tels que exigés par l'art 13 de l'AU.DCG et 19 al
1er de l'AU.OHCE et leur respect dans le secteur informel. Pour
l'essentiel, le constat de la tenue de la comptabilité dans le secteur
informel est loin de la situation de droit exigée, les opérateurs
de ce monde tiennent leur comptabilité comme bon leur semble du moment
où il y trouve satisfaction. Ils ne tiennent cette comptabilité
pour autres personnes qu'eux-mêmes et sont dans la majorité des
cas, les seuls à comprendre les écrits qui sont portés sur
ce qui tient lieu de livre ou document comptable. Les principes de
régularité, sincérité, transparence et tout autre
gouvernant la tenue d'une comptabilité n'y sont que des vains mots, sans
incidence majeure sur leurs comportements. Ceci se justifie parfois par la
petite taille de ces commerces
informels, ou par la nature même de certaines de leurs
activités (à l'instar du colportage), qui présentent pour
ces derniers une difficulté de tenue régulière de la
comptabilité, ou encore par la négligence, l'ignorance et parfois
la volonté de troubler le fisc en matière de vérification
et d'imposition. Quoiqu'il en soit, la tenue d'une comptabilité et des
documents comptables demeure une obligation du commerçant, qui s'impose
à tout opérateur économique. L'on est très vite
tenté de se questionner sur la valeur juridique d'une telle
comptabilité dans le secteur informel.
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