PARTICULARITE LIEE A L'ALTERATION DE
CERTAINS ELEMENTS DU FONDS DE COMMERCE INFORMEL
Les opérateurs du secteur informel disposent d'un fonds
de commerce profondément altéré et
désagrégé comme on peut l'observer à travers
l'inconstance du fonds commercial (PARA I) et l'inconsistance des ses
éléments corporels. (PARA II)
PARA I : L'INCONSTANCE DU FONDS COMMERCIAL DANS LE SECTEUR
INFORMEL
Le fonds commercial est un concept nouveau introduit par
l'AU.DCG pour désigner des éléments particuliers entrant
nécessairement dans la composition du fonds de commerce. Sa
caractéristique principale est d'être exclusivement composé
d'éléments incorporels que sont la clientèle, l'enseigne
et le non commercial97. Dans le secteur informel, ce fonds
commercial est grandement altéré et ceci en fonction de la
situation du commerçant informel. Il
97 Art 104 AU.DCG.
faut rappeler en effet que lorsqu'il s'agit de
l'économie de la survie ou de la débrouille (faisant appel aux
petits commerçants sur les rues, colporteurs, ambulants, bayam-sellam,
ou toute activité commerciale exercée au vu et au su de tous), ce
fonds commercial perd sa constance alors que pour ce qui est de
l'économie souterraine (cas du notaire précité), il est
quasi dilué ou tout simplement, difficile à appréhender.
Dans tous les cas, les éléments qui constituent le fonds
commercial dans le secteur informel ne sont pas toujours conformes à
l'esprit du législateur OHADA, comme on peut d'ailleurs le constater
à travers la clientèle (A) l'enseigne et le non commercial.
(B)
A - LA CLIENTELE
C'est l'élément essentiel du fonds de commerce.
Il en constitue la finalité, puisque tous les autres
éléments convergent vers sa conquête et son
maintien.98 On définit généralement la
clientèle comme l'ensemble des personnes qui se fournissent chez un
commerçant ou qui ont recours à ses services.99 Il
peut s'agir des personnes attirées par les qualités propres du
commerçant, par exemple ses qualités d'accueil et de
compétence professionnelle, ou des personnes attirées par
l'implantation géographique du fonds de commerce. Dans ce dernier cas,
on parle de chalands. Toutefois l'AU.DCG ne fait pas de distinction entre
clientèle et achalandage.
En partant du principe qu'il n'y a pas de fonds de commerce
sans clientèle, l'ensemble de la doctrine reconnaît que la
jurisprudence réserve un sort particulier à la clientèle
parmi les éléments du fonds de commerce. En effet, la vente d'un
élément quelconque du fonds de commerce sans la clientèle
ne constituerait pas une vente du fonds de commerce100. Ainsi, la
transmission de la clientèle entraîne inéluctablement le
transfert du fonds de commerce même s'il
98 Art 103 AU.DCG.
99 GUYON (Y), op.cit., N° 690, p. 705.
100 JAUFFRET (A), MESTRE (J), Droit Commercial, 23
éd, L.G.D.J. 1997 N° 559, p 391.
est parfois difficile de déterminer si cette
clientèle appartient au commerçant 101 Toutefois, la
clientèle se rattache à des personnes et peut en principe
être dépersonnalisée au point de constituer l'objet d'un
bien102. Cependant, bien que constituant une collectivité
concrète de personnes, elle est parfois détachée de la
personne lorsque les rapports commerciaux s'élargissent. Les liens entre
fournisseurs et clients dans ce cas n'apparaissent plus comme ceux d'une
personne physique attirée par sa confiance en une autre. Ces rapports
unissent plutôt les acheteurs à des habitudes, à des
commodités, à une renommée, à des moyens de
publicité, où s'efface la personne du vendeur103. Pour
l'essentiel, il est unanime de reconnaître que la clientèle est
l'essence même du fonds de commerce sans laquelle le fonds ne peut
exister104. Elle ne peut d'ailleurs survivre en cas de disparition
de ce fonds par suite d'une cessation d'exploitation105.
La clientèle ainsi appréhendée, n'a pas
identiquement les mêmes caractères dans le secteur informel.
Certes on y retrouve des individus qui disposent de moyens propres pour acheter
et revendre dans le but de tirer un profit leur permettant de vivre ou
survivre. Peut-on ainsi affirmer que ces moyens qui diffèrent d'un
opérateur informel à l'autre (colporteur, sauveteur, etc...) leur
permettent d'attirer et de maintenir la clientèle au sens de l'art 103
al 1 de l' AU.DCG ? L'inquiétude est d'autant plus poussée que
des gens achètent de façon occasionnelle106, encore
qu'une grande partie d'activités commerciales dans le secteur informel
est par principe du commerce ambulant ou mobile. D'aucuns se demandent par
exemple si la « bayam-sellam » a une clientèle au
101 En effet, dans un régime d'économie
libérale ou de concurrence, la clientèle n'appartient pas
véritablement au commerçant et est plutôt à qui sait
la prendre, à moins d'être dans un cas de contrat
d'approvisionnement. Les clients vont donc chez ceux qui sont assez habiles
pour les attirer et assez diligents pour les conserver.
102 FONE (A.M), op.cit., p. 125.
103 Ibidem.
104 Com., 31 mai 1988, bull. civ. IV, N° 180.
105 Civ. 3e, 18 mai 1978,
Rev. Trim. Dr. Com.., 1978, p. 559,
obs. Derrupé. Com., 26
janvier 1993,
Rev. Trim. Dr. Com., 1994, p. 40,
obs. Derrupé.
106 FONE (A.M),op.cit., p. 126.
sens propre du terme ou si le vendeur de beignets dans un
pousse-pousse107, en a une108 . Ils répondent
à leurs inquiétudes par la négative dans la mesure
où cette clientèle de passage se rapproche davantage de
l'achalandage et ne semble pas être une véritable clientèle
attachée au fonds de commerce109.
On pourrait objecter à cette position en pensant que la
nature mobile de telles activités sous-tend l'existence d'une
clientèle aussi mobile, qui n'est pas liée au fonds par la
position géographique ou la connaissance personnelle du
commerçant, mais par une relation psyco-sociale qui unit de
manière fictive ces commerçants mobiles à des clients
indéterminées. En effet combien de consommateurs de tabac
s'approvisionnent chez des colporteurs qui, savent en retour q'ils ont des
clients habitués à l'achat ambulant ? Qu'est ce qui justifierait
donc l'existence pléthorique des commerçants ambulants dans nos
cités si ces derniers n'étaient pas assurés de l'achat de
leur marchandise par un public quelconque. La vendeuse ambulante de «
bouillie »110 qui se promène dans les
hôpitaux ne sait-elle pas que ces malades ont quotidiennement grand
besoin de sa marchandise ? En retour ces malades savent qu'une telle ambulante
passerait et qu'ils pourraient se servir. La situation est identique à
celle des marchands ambulants de beignets, de bonbons et biscuits qui
sillonnent les villes et les milieux scolaires. Il s'agirait donc dans tous ces
cas de l'existence d'une clientèle particulière,
caractérisée par une grande mobilité, une
variabilité et un défaut de fixité car à la
vérité, rien ne permet véritablement d'affirmer que de
tels opérateurs du secteur informel soient capables de conserver une
clientèle, ou du moins en dispose une au sens de l'AU.DCG.
107 Espèce de porte-tout à deux roues et sans
moteur, fabriqué à l'archaïque et permettant de circuler
presque partout avec les objets transportés. Une grande partie de jeunes
au Cameroun communément dénommés " pousseurs" se servent
de ce porte -tout pour se livrer soit à des commerces ambulants, soit
à des prestations de service de transport de marchandises et d'effets
mobiliers d'un point à un autre, moyennant
rémunération.
108 FONE (A.M), op.cit., p. 126.
109 Ibid.
110 Préparation généralement faite à
base de céréales de maïs dans de l'eau bouille et
utilisée comme petit déjeuner.
Mais ces difficultés concernant la clientèle
dans le secteur informel s'estompent lorsque l'activité commerciale
informelle bénéficie d'une fixité, d'une organisation
semblable à celle du commerce formel. Il en est ainsi des
commerçants installés dans des comptoirs, ou des femmes qui sont
installées de façon habituelle à un coin de la rue et se
livrent à des activités de « braise »
(poisson, poulet, porc...), ou de restauration. Ces dernières ont une
clientèle semblable à celle définie à l'article 103
AU. DCG dans la mesure où elles développent des techniques et
méthodes pour attirer et conserver les clients.111 Dans tous
les cas, la clientèle est incontournable pour la survie du fonds car
elle permet de le vivifier et de le revitaliser constamment. Mais bien
qu'étant essentiel, elle n'est pas suffisante et s'accompagne d'autres
éléments qui permettent d'identifier le commerçant
à l'instar du nom commercial et de l'enseigne.
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