SECTION II- UNE PRESOMPTION ET UNE INCITATION INDIRECTE
A L'EFFECTIVITÉ DES DROITS DE L'HOMME DANS L'ORDRE JURIDIQUE
INTERNE.
Les droits de l'homme sont par nature des droits opposables
à l'État. Comme l'écrit Daniel Lochak, « les
droits de l'homme mettent en jeu les rapports entre l'individu et
l'État, mais aussi les rapports entre le pouvoir et le droit
»85. C'est dire que l'ordre interne est le cadre
privilégié de la réalisation des droits de l'homme. La
primauté du règlement national découle naturellement de la
qualité des normes internationales de protection de droits de l'homme.
La Commission, en reconnaissant l'opportunité donnée à
l'État de redresser la violation présume que ce dernier a
aligné sa législation avec les standards internationaux. Pour
elle : « Cette règle est fondée sur le postulat selon
lequel la mise en oeuvre pleine et efficace des obligations internationales
dans le domaine des droits de l'homme est destinée à
améliorer la jouissance des droits de l'homme et des libertés
fondamentales au niveau national »86. Comme l'écrit
le Professeur Atangana Amougou, « La reconnaissance des droits est une
étape fondamentale car elle est la condition initiale de leur
efficacité et de leur opposabilité. »87 La
Commission est « consciente des obligations positives qui incombent
aux États parties à la Charte Africaine en vertu de l'article 1
de la Charte Africaine. Les États parties ont le devoir non seulement de
«reconnaître » les droits conformément à la
Charte Africaine mais encore de continuer à s'engager à
«adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer.
L'obligation est
85Lochak (D), Les droits de l'homme,
éditions la découverte, F Syres, Paris 2002, p.4.
86Com 299/2005 Anuak Justice Council /
Éthiopie, 20eme Rapport d'activités.
87Atangana Amougou (J-L), «
Conditionnalité et droits des l'homme », in La
conditionnalité dans la coopération internationale Colloque
de Yaoundé 20-22 juillet 2004, CEDIC p.65.
péremptoire et ne souffre d'aucune exception. A
vrai dire, ce n'est que lorsque les États prennent leurs obligations au
sérieux que les droits des citoyens peuvent être
protégés. »88
Les principes qui gouvernent cette réception rendent
compte de la nature spécifique des droits de l'homme. Celle-ci influe
sur les procédés d'incorporation des droits de la Charte dans
l'ordre interne car la majorité des États africains subordonnent
l'introduction du traité dans l'ordre juridique interne qui, en
reproduisant les prévisions du traité, le transforme en
règle interne obligatoire (Paragraphe I). La nature des
droits de la Charte conduit également à des principes
spécifiques qui assurent leur applicabilité dans ledit ordre
(Paragraphe II).
Paragraphe I- L'obligation de conformer la
législation interne à la Charte
La règle de l'épuisement des voies de recours
internes a donc une fonction essentielle, celle de protéger l'ordre
juridique national des États. Cet ordre juridique national doit
préalablement être conforme à la charte, laquelle jouit
d'un régime particulier d'application. En effet « l'un des
objectifs visés par la condition d'épuisement des voies de
recours internes est de donner la possibilité aux juridictions internes
de statuer sur des cas avant de les porter devant un forum
international, pour éviter des jugements contradictoires par des lois
nationales et internationales. Lorsqu'un droit n'est pas bien
prévu par la législation interne et qu'aucun procès ne
peut être prévu, toute possibilité de conflit est
écartée. De même, lorsque le droit n'est pas bien
prévu, il ne peut y avoir des recours efficaces ou un recours
quelconque.»89 La mise en oeuvre interne de la
Charte participe pleinement à l'effectivité des droits de
l'homme. Comme l'écrit Alain Pellet, l'État a « la
compétence du dernier mot, il est le « bras séculier »,
seul capable de donner vie à la norme internationale
»90. La convention de Viennes sur le droit des
traités en ses articles 26 et 27 crée une obligation juridique de
l'État de faire respecter les clauses du traité. Les États
sont ainsi contraints d'adopter les modifications législatives
nécessaires pour garantir le respect des obligations contenues dans la
convention91. Il s'agit pour
88Com 211/98 Legal Resources Foundation c. Zambie
89Voir les décisions de la Commission sur les
communications 25/89, 47/90. 56/91 et 100/93 : Organisation Mondiale contre la
torture et autres /Zaïre
90Pellet (A), « Droit de l'homnisme en droit
international » in colloque de Strasbourg : protection des droits de
l'homme et évolution du droit international, Avril 2003, p.13.
91Cour permanente de justice internationale,
Échange des populations grecques et turques, 1925, p. 20.
les États de transposer le traité dans l'ordre
interne à travers des procédés d'incorporation
(B). Cependant, cette transposition est le reflet de la
conception que l'État a des rapports entre la norme internationale et la
norme interne. (A)
A - Les rapports entre le droit international et la loi
nationale
Les droits de la Charte ont vocation à se
réaliser dans l'ordre interne des États. Comme l'écrit le
Professeur Olinga pour « assurer l'effectivité de la Charte
Africaine sur le plan interne, il faut lui assurer une place de choix dans
l'ordonnancement juridique(...) il faut lui attribuer un rang
hiérarchique privilégié ».92 Il est
certes vrai, comme le souligne le Doyen Maurice Kamto que : « Les
techniques classiques de réception des normes du droit international
dans l'ordre juridique interne des États sont fort connues
»93 . Il importe néanmoins, en raison de
l'importance de la relation entre ces procédés et la
règle, d'en rappeler brièvement la substance. Sans entrer dans
les détails d'une étude didactique qui dépasserait
très largement le cadre de cette réflexion il suffira pour
illustrer ces techniques d'en rappeler les traits caractéristiques. A ce
propos, la doctrine classe les systèmes juridiques des États en
deux groupes qui correspondent à deux techniques classiques
d'incorporation du droit international dans le droit interne : les
systèmes monistes (1) et les systèmes
dualistes (2).
1 - L'approche moniste
La conception moniste94 repose sur l'idée de
départ selon laquelle, le droit international et le droit interne
constituent un seul et même ensemble dans lequel les deux types de
règles seront subordonnés l'un à l'autre. Naturellement
deux options seront possibles et, l'on pourra avoir, soit un monisme avec
primauté du droit interne, soit un monisme avec primauté du droit
international. Pour le monisme avec primauté du droit interne, il
considère que le droit international découle du droit interne.
De ce fait, le droit interne est supérieur au droit international lequel
n'est qu'une forme de droit public externe de l'État. Les arguments
évoqués par les tenants de cette théorie sont que, en
l'absence d'autorité super étatique l'État
détermine par conséquent librement
92Olinga (A-D), L'effectivité de la Charte
Africaine des droits de l'homme et des peuples, op cit, p.181. 93M Kamto,
« Charte africaine instrument internationaux de protection des droits de
l'homme, constitutions
nationales, articulations respectives », in
L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'Homme et des
peuples, J-F Flauss et Elisabeth Lambert-Abdelgawad (dir), Bruyant 2004,
p.P30.
94Présentée en Allemagne par
l'"École de Bonn" : Zorn, Erich Kaufmann, Max Wenzel (1920); en
France par Decencière- Férrandière, et ayant
inspiré largement la conception "soviétique " du droit
international
ses obligations internationales et reste seul juge de la
façon dont il les exécute. De plus c'est sur le fondement
constitutionnel (donc interne) que l'État a des compétences pour
conclure des traités qui l'engagent sur le plan international.
Pour le monisme avec primauté du droit international,
le droit interne dérive du droit international. Ce dernier lui est donc
supérieur et le conditionne. Les rapports entre les deux droits seraient
comparables à ceux existant, dans un État fédéral,
entre le droit des États membres et le droit fédéral.
Quel que soit la tendance, l'une des conséquences de la
conception moniste est que l'acceptation et l'adoption d'une norme
internationale par un État, le fait rentrer automatiquement dans son
ordre juridique interne de sorte que les tribunaux et les autorités
publiques pourront directement appliquer les dispositions de la convention
internationale.
2 - L'approche dualiste
Cette technique appréhende le droit international et le
droit interne comme deux systèmes juridiques spécifiquement
distincts. Elle découle des conceptions volontaristes des fondements du
caractère obligatoire du droit international public. Exposée par
les auteurs positivistes allemands Heinrich Triepel (1899), Helborn, Strupp et
italiens Dionisio Anzilotti (1905) et Cavaglieri, cette doctrine
considère que le droit interne et le droit international constituent
deux systèmes juridiques égaux, indépendants et
séparés. La valeur propre du droit interne est
indépendante de sa conformité au droit international. Pour
Heinrich Triepel, qui est le père de cette théorie les arguments
qui fondent cette théorie sont de deux ordres. D'une part, les sources
des deux droits sont différentes. En effet, si le droit interne
procède de la volonté d'un seul État, le droit
international tient lui de la volonté de plusieurs États. D'autre
part les deux droits régissent des sujets de droits différents.
Pour l'interne les rapports régis sont ceux entre individus ou entre
individus et État, tandis que le droit international régit les
rapports entre État et État.
Pour la théorie dualiste il ne peut y avoir, dans aucun
des deux systèmes juridiques, de normes obligatoires émanant de
l'autre. De même, Il ne peut y avoir de conflits possibles entre les deux
ordres juridiques. Les deux ordres étant totalement,
séparés, la seule possibilité qui existera sera uniquement
le renvoi de l'un à l'autre. De ce fait la norme internationale a
préalablement besoin d'une loi interne d'incorporation ou d'autres
instruments nationaux juridiquement contraignant pour être
insérée dans le droit interne
Indifféremment de ce que l'État est moniste ou
dualiste il existe une obligation de prendre des mesures pour assurer
l'exécution des traités auxquelles il est partie. Cette
conception sur l'obligation d'un État de prendre des mesures, y compris
d'ordre législatif, afin d'assurer l'application du Traité, est
acceptée par les États sous la forme de l'irrecevabilité
de l'invocation des lois nationales pour contester la validité d'un
Traité ou pour refuser son exécution.
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