Paragraphe II : Le souci de restreindre la mise en jeu de
la responsabilité internationale des États.
La Commission soutient que la règle de l'épuisement
des recours internes a pour justification de permettre à l'État
qui a violé les droits de l'homme d'avoir l'opportunité de
pouvoir les redresser «et sauver sa
réputation qui serait inévitablement ternie s'il était
appelédevant une instance
nationale.»63Ce faisant, elle reconnaît que
la règle est un préalable à la mise en jeu de la
responsabilité internationale des États (A)
même si elle pense qu'un procès international est susceptible de
ternir la réputation de l'État mis en cause
(B).
A - Un préalable à la mise en jeu de la
responsabilité internationale des États
Il est évident que le respect de la règle
d'épuisement des voies de recours internes est un préalable
à la mise en jeu de la responsabilité international des
États. La Commission a considéré que : « Cela
reflète le fait que les États ne sont pas
considérés avoir violé leurs obligations en matière
de droits de l'homme s'ils dispensent des voies de recours authentiques et
effectives aux victimes de violations de droits de l'homme.
»64 En effet en s'assurant que, le requérant a
épuisé les recours internes avant de se pourvoir devant la
Commission le droit international, reconnait et
62Voir Cour interaméricaine des droits de
l'homme, dans l'Affaire Viviana Gallardo et autres. Jugement sur les
exceptions préliminaires, 13 novembre 1981, série A n° G
101/81, §26, pp.87-89.
63Com 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98,
Malawi African Association, Amnesty International, Mme Sarr Diop, Union
Interafricaine des Droits de l'Homme et Rencontre Africaine des Droits de
l-Homme, Collectif des Veuves et Ayants Droit et Association Mauritanienne des
Droits de l'Homme c. Mauritanie, 13eme Rapport d'activité.
64 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.
à l'État mis en cause le droit d'utiliser cette
règle comme un moyen de défense (1) et par cela,
oblige le requérant à une conduite loyale à l'égard
de l'ordre interne (2).
1 - La règle d'épuisement des recours
internes comme un moyen de défense.
S'il est reconnu que la règle de l'épuisement
des voies de recours internes est « un important principe du droit
international coutumier »65, les débats sur sa
nature perdurent et sont loin d'êtres clos. En effet tandis que certains
y voient une règle de procédure d'autre l'appréhende comme
une règle de fond. Pour les premiers, à l'instar de Jean Chappez
la règle de l'épuisement des recours est « une exigence
de procédure qui tient à maintenir la balance égale entre
la souveraineté de l'État présumé responsable et la
sauvegarde du droit international »66. Elle appartient au
cadre purement procédural. Pour Charles Rousseau, « l'exigence
du local redress (n'est) que la traduction technique de l'idée que la
protection diplomatique est une voie exceptionnelle ou subsidiaire par rapport
aux recours de droit commun ».67 Pour les seconds par
contre, notamment Louis Cavare, « la règle de
l'épuisement des recours internes n'est pas une simple règle de
procédure (...), cette règle vise à
protéger les États contre des réclamations mal
fondées ou prématurées »68. De
même « lorsque la responsabilité de l'État
apparait certaine, la mise en ouvre de la règle a pour effet, de
retarder l'exercice de l'action internationale. »69.
L'épuisement des voies de recours rime avec la responsabilité
internationale. Le Professeur kaufmann note à ce sujet que « dans
le cas ou le délit a été commis avant tout recours
judiciaire, il n'est pas douteux que ce préjudice initial est le fait
générateur du dommage et que l'épuisement des recours
internes n'est qu'une condition de recevabilité.
»70 Même si la première semble l'emporter, il
reste clair que ces deux thèses se recoupent et se complètent. La
règle procédurale de l'épuisement des recours internes
participe à la mise en jeu de la responsabilité internationale
des États. Autrement dit « la procédure est au service
du fond »71. Ainsi pour la Commission de Droit
International, cette règle est perçue comme nécessaire
à la mise en ouvre de
65 Affaire Ziat, Ben Kiran, (Grande-Bretagne c.
Espagne), Max Huber, 24 décembre 1924, Sentence arbitrale relative
aux réclamations dans la zone espagnole du Maroc, RSA, vo II,
pp.729-732.
66Chappez (J), « La protection diplomatique
», JCL droit international, vol 4, édition du
Juris-classeur, 1999, fascicule 250, p.22
67Rousseau (C), Droit international public,
tome 5, Paris Sirey, 1983, p .158.
68Cavare (L), Le doit international public positif
,3eme édition, Pédone 1967, vol II, p.433.
69Ibidem, p.434
70Kaufman cité par Delbez (L) Les principe
généraux du contentieux international, LGDJ ? Paris ? 1962,
p. 198.) 71Rosoux (G), op cit, p.18.
la responsabilité des États. En effet l'art 11
décline clairement que : « les recours internes doivent
être épuisés lorsqu'une réclamation internationale
(...) repose principalement sur un préjudice causé à un
national(...) ».72L'épuisement des recours internes
est donc autant une condition de recevabilité de la demande qu'un
corollaire de la responsabilité internationale de l'État. L'art
13 énonce à ce propos que «Lorsqu'un étranger
introduit une instance devant les tribunaux internes d'un État pour
obtenir réparation à raison d'une violation du droit interne de
cet État, qui ne constitue pas un fait illicite international,
l'État dans lequel l'instance est introduite peut voir sa
responsabilité internationale engagée s'il y'a déni de
justice au détriment du ressortissant étranger
»73. La Commission de droit International confirme bien
que la règle de l'épuisement des recours internes constitue bien
un préalable nécessaire à la mise en jeu de la
responsabilité internationale d'un État.
Cependant, plus qu'un préalable la règle est un
moyen de défense. En effet, la règle quiexige
d'épuiser au préalable les voies de recours internes est
conçue pour bénéficier à l'État.
Cette règle est considérée comme un moyen
de défense de l'État et, à ce titre, il peut y renoncer,
même tacitement. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a
énoncé ce principe à l'occasion de plusieurs affaires,
particulièrement l'Affaire Viviana Gallardo et l'Affaire Godinez
Cruz. Dans la première, elle a considéré que:
« aux termes des principes du droit international
généralement reconnus et des pratiques internationales, la
règle qui fait une obligation d'épuiser au préalable les
voies de recours internes est conçue pour bénéficier
à l'État, car cette règle vise à éviter
à l'État de devoir répondre à des accusations
devant un organe international pour des actes qui lui sont imputés avant
qu'il n'ait eu la possibilité d'y remédier par des moyens
internes. C'est pourquoi cette obligation est considérée comme un
moyen de défense et à ce titre, il est possible d'y renoncer,
même tacitementi74 Elle a considéré dans la
seconde affaire que, « Les principes du droit international
généralement reconnus indiquent premièrement que
[l'épuisement des voies de recours internes] est une règle
à laquelle l'État qui a le droit de l'invoquer peut renoncer,
explicitement ou implicitement». 75
72Article 11 ,deuxième rapport sur la
protection diplomatique de la CDI, disponible sur le site,
www.un.org. 73bid, art 13.
74Voir Cour interaméricaine des droits de
l'homme, dans l'Affaire Viviana Gallardo et autres, jugement sur les
exceptions préliminaires (13 novembre 1981), série A n° G 101/81,
p. 87-88, § 26.
75Voir Cour interaméricaine des droits de
l'homme, dans l'Affaire Godinez Cruz, jugement sur les exceptions
préliminaires 26 juin 1987, §88.
La CIJ est de cet avis puisqu'elle affirme que la règle
d'épuisement des voies de recours internes est un « des moyens
de défense qui visse la recevabilité de la
réclamation ».76Cette règle est
adossée d'une fiction généralement admise dans le
contentieux des réclamations internationales selon laquelle le plaignant
doit avoir les mains propres77.
2 - La règle d'épuisement des recours
internes comme un corollaire de la fiction des « mains propres
»
Pour engager la responsabilité d'un État devant
une instance internationale, il est nécessaire que l'individu victime
prouve un comportement irréprochable. Cette exigence est traduite par la
théorie des mains propres. Selon cette théorie « la
personne physique ou juridique étrangère doit avoir eu une
conduite correcte envers l'état territorial, s'en tenant à ses
lois ». Le recours à cette théorie a été
observé dans le contentieux devant la CIJ. A l'occasion de ce
contentieux les États fondent très souvent des exceptions
préliminaires, sur la conduite « anti juridique, immorale(e) ou
inconvenant(e) »78 de l'individu qui se réclame
victime d'un préjudice. La doctrine majoritaire s'accorde à dire
que la conduite blâmable et illicite de l'individu peut s'analysée
comme une cause d'exonération de la responsabilité internationale
de l'État territorial.79 Mais ce qui est entendu par
comportement blâmable reste très floue puisqu'on pourrait y
inclure un nombreux considérables de comportement individuels. Toutefois
l'on peut s'accorder à dire que le comportement blâmable peut
consister soit en comportement individuel en violation du droit interne de
l'État mis en cause, soit en une conduite individuelle en violation du
droit international. En effet, comment peut on recevoir la requête d'un
individu qui a méconnu le droit interne au risque de
méconnaître les règles du droit international lesquelles
obligent l'individu à se conformer impérativement aux lois
nationales. La condition de l'épuisement des recours internes participe
donc à exiger de la victime une conduite convenant et
révérencieuse envers l'État sur le territoire duquel il
vit. La fiction des mains propres très invoquée dans la
76Affaire Ambatielos (Grèce c.
Royaume-Uni), CIJ, 19 mai 1953.
77 Garcia-Arias(L), « La doctrine des « clean hands
» en droit international public », Annuaire des anciens auditeurs
de l'académie de droit international, vol 30, pp.14-22, cité
par Salomon(J.A), « Des « mains propres » comme condition de
recevabilité des réclamations internationales », AFDI,
1964, pp.225-266.
78Miaja de la Muela (A), « Le rôle de la
condition des mains propres de la personne lésée dans les
réclamations devant les tribunaux internationaux »,
Mélanges offerts à Juraj Andrassy, La Haye, Martinus
Nijhoff, 1968, pp.189- 213.
79A l'exemple de Perrin (g), « Réflexion sur la
protection diplomatique », in Mélanges à Bridel,
Lausanne, Imprimeries réunies, 1968, pp.379-411.
pratique de la protection diplomatique, participe en droit
international des droits de l'homme à travers l'exigence
d'épuiser les recours internes, à s'assurer que le
requérant à été loyal envers l'ordre juridique de
l'État. En effet bien qu'étant la victime, « son
comportement peut conduire à la restriction, voire à la
suppression de son droit d'agir ».80 Par contre
l'exemplarité de ce comportement, notamment en respectant la condition
d'épuisement des recours internes, justifie la recevabilité de la
communication. Cette situation selon la Commission ternie à coup
sûr la réputation de l'État mis en cause.
|