B - La référence aux fonctions de la
règle dans les autres instruments internationaux des droits de
l'homme
C'est sur le fondement de la détermination
conventionnelle que l'épuisement des voies de recours va rentrer dans
les instruments de protection des droits de l'homme. Dans Ilesanmi la
Commission a déclaré que : « Le principe selon lequel
une personne qui a subi une violation des droits de l'homme épuise
d'abord ses voies de recours internes se retrouve dans la plupart des
traités internationaux sur les droits de l'homme
»58Dans Jawara c. Gambie, il est fait état de
ce que la justification de la règle de l'épuisement des recours
internes est la même « tant dans la Charte que dans les autres
instruments internationaux des droits de l'homme »59.
Cependant tous ces instruments n'indiquent pas cette justification. Il faut
nécessairement retourner à la jurisprudence des mécanismes
de sauvegarde qu'ils instituent pour retrouver cette justification. Ceci se
vérifie tant dans la jurisprudence des organes de sauvegarde de ces
instruments qu'ils soient à portée universelle
(1) ou régionale (2).
1 - La justification de la règle dans les textes
à portée universel
La déclaration universelle des droits de l'homme
n'institue pas un organe chargé de veiller au respect des droits qu'elle
prescrit. Il a fallut attendre l'adoption de deux pactes par l'Assemblée
générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A(XXI)
du 16 déc. 1966.
Si le pacte relatif aux droits socio-économiques
n'institue pas d'organe de surveillance, celui relatif aux droits civils et
politiques, institue en son art 28 un Comité dénommé
Comité des droits de l'homme. Selon l'art 41(c) le Comité ne peut
connaitre d'une affaire qui lui est soumise « qu'après
s'être assuré que tout les recours internes disponibles ont
été utilisés et épuisés, conformément
aux principes de droit international généralement reconnus. Cette
règle ne s'applique pas dans le cas ou les procédures des recours
excédent les délais raisonnables ».
Le protocole facultatif se rapportant au pacte international
relatif aux droits civils et politiques adopté par la même
résolution et entrée en vigueur dans la même date porte sur
les procédures individuelles. L'article 5(b) dispose que la Commission
ne reçoit les communications individuelles contre un État partie
que si « le particulier a épuisé tous les recours
internes
58 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.
59Com 147/95et 149/96, Sir Dawda k Jawara c.
Gambie
disponibles. Cette règle ne s'applique pas si les
procédures de recours excédent les délais raisonnables
».
De même, Le Conseil Économique et Social a
adopté une résolution en date du 27 mai 1970 qui a
été révisé par la résolution 2003/3 du
Conseil. Cette résolution 1503 (XLVIII) institue une procédure
nommée procédure 1503. Celle-ci est mise en oeuvre dans le cadre
du Conseil des droits de l'homme crée par la résolution 60/251 du
15 mai 2006, en remplacement de la Commission des droits de l'homme.
Une communication est recevable aux fins de la
procédure 1503 à la condition que « les recours internes
aient été épuisés, à moins qu'il
n'apparaisse que ces recours seraient inefficaces ou d'une durée
excessivement longue ».
2 - La justification de la règle dans les textes
à portée régionale
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme et celle de la Cour interaméricaine des droits de l'homme
suffisent à mettre en évidence la raison d'être du
préalable d'épuiser les recours internes dans les instruments de
protection des droits humains autres que la Charte.
La convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales dispose en son art 35(1) que : « 1. La
Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de
recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus, et dans un délai de
six mois à partir de la date de la décision interne
définitive ». Cette disposition est la reprise de l'ancien
article 26 puisque la reforme des organes de Strasbourg, avec l'entrée
en vigueur en 1998 du protocole additionnel n°11, n'a en rien changer les
conditions de recevabilité. Si le contrôle de recevabilité
est actuellement effectué par la Cour elle- même, « il ne
semble toutefois pas que la « fusion » de la Cour et de la Commission
en un organe unique, opérée par le Protocole n° 11, ait
entraîné des revirements de jurisprudence quant au contenu
même de l'exigence d'épuisement des voies de recours internes,
telle qu'elle avait été précisée par la Commission
européenne des droits de l'homme »60.
60Rosoux (G), « La règle de
l'épuisement des voies de recours internes et le recours au juge
constitutionnel : une exhortation aux dialogues des juges commentaire de la
décision de la Cour européenne des droits de l'homme, D.
c.
Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme a
à plus d'une fois rappelée que « la finalité de
l'article 35 est de ménager aux États contractants l'occasion de
prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux
avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la
Convention [...]. Les États n'ont donc pas à répondre de
leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la
possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne.
»61Le fait que la protection nationale doive devancer la
protection internationale traduit donc d'abord le principe de
souveraineté des États que la règle sert à
ménager. Il en est ainsi par ce que la juridiction internationale
n'existe qu'en vertu d'un acte souverain des États, lesquels l'ont
voulus et acceptent de s'y soumettre. Cette finalité de la règle
est approuvée par le système interaméricain de protection
des droits de l'homme.
La Convention américaine relative aux droits de l'homme
et entrée en vigueur en 1978, dispose en son art 46(a) que la Commission
américaine des droits de l'homme ne retient une pétition si
« toutes les voies de recours internes aient été
dûment utilisées et épuisées conformément aux
principes de droit international généralement reconnus
». Cette condition vaut également pour la recevabilité
devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Les principes de
droit international en question sont pour l'essentiel le principe de la
souveraineté des Etats qui commande l'antériorité des
mécanismes internationaux. Dans la célèbre jurisprudence
Velasquez Rodriquez, la Cour interaméricaine a reconnue que
l'obligation d'épuiser les recours internes était
justifiée car le système international de protection des droits
de l'homme garanti par la Convention, est subordonné à la
législation nationale des États interaméricains. Elle a
ainsi affirmé en substance dans l'Affaire Viviana Gallardo
qu'« aux termes des principes du droit international
généralement reconnus et des pratiques internationales, la
règle qui fait une obligation d'épuiser au préalable les
voies de recours internes est conçue pour bénéficier
à l'État, car cette règle vise à éviter
à l'État de devoir répondre à des accusations
devant un organe international pour des actes qui lui sont imputés avant
qu'il n'ait eu la possibilité d'y
Irlande, du 5 juillet 2006, et digression autour du
mécanisme préjudiciel devant la cour constitutionnelle de
Belgique », RBDI, 2008, p.15.
61Cour européenne des droits de l'homme,
Dr. h. Selmouni c. France, 28 juillet 1999, point 74. Voir
également, Kuda c. Pologne CEDH 2000-XI, § 152 ;
Andráik et autres c. Slovaquie (déc.), n° 57984/00,
CEDH 2002-IX.
remédier par des moyens internes. C'est pourquoi cette
obligation est considérée comme un moyen de défense...
»62.
La règle de l'épuisement des recours internes se
justifie, tant en droit international général qu'en droit
international des droits de l'homme, par la prise en compte de la juridiction
souveraine de l'État sur les individus vivants sur son territoire. La
Commission africaine est venue prendre acte de cet état de chose et
là consacré dans sa jurisprudence. Elle a toutefois reconnue que
la règle permet de sauver la réputation des États en ce
qu'elle limite la mise en jeu de leur responsabilité internationale.
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