SECTION I : UNE CONSÉCRATION TACITE DU PRINCIPE
DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS
Sans nécessairement employer le terme souveraineté,
la Commission semble d'avis avec la doctrine et la pratique internationale que
la règle de l'épuisement des voies de recours tend à
43 Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie
44Com. 27/89, 46/90, 49/91, 99/93 Organisation
Mondiale contre la Torture et l'Association Internationale de Juristes
Démocrates, Commission Internationales de Juristes (CIJ), Organisation
Mondiale contre la Torture, Union Interafricaine des Droits de
l'Homme/Rwanda
45Pettiti (L E), Decaux (E), Imbert (P-H), op cit,
p.592
ménager la souveraineté des États. Cette
consécration de la souveraineté des États par la
Commission a consisté à reconnaitre avec l'ensemble des
juridictions internationales, et à travers la volonté de donner
d'abord à l'État l'opportunité de redresser les tors
allégués, le principe fondateur qu'est la souveraineté
(Paragraphe I). Toutefois la Commission a concomitamment
reconnue que la règle de l'épuisement des recours internes
permettait de restreindre la mise en jeu de la responsabilité des
États (Paragraphe II).
Paragraphe I : Le respect de la juridiction souveraine des
États.
La commission affirme clairement que la règle de
l'épuisement des recours internes a pour justification de permettre
à l'État qui a violé les droits de l'homme «
d'avoir l'opportunitéde pouvoir les redresser
».46. Cette volonté de rendre la sanction
nationale prioritaire tient des
considérations relatives à la
souveraineté des États. Celles-ci ont été
développées en droit international coutumier (A)
et le principe à été consacré par les
autres instruments internationaux des droits de l'homme (B)
auxquelles la jurisprudence de la Commission fait largement
référence
A - La référence aux fonctions de la
règle en droit international général
L'art 97(c) dispose que « La Commission n'examine une
communication que dans la mesure où : La Commission s'est assurée
que tous les recours internes disponibles ont été utilisés
et épuisés, conformément aux principes de droit
international généralement reconnus ». Pour la
Commission, l'épuisement des voies de recours internes est un «
principe adopté par la Charte Africaine comme par le droit coutumier
international ».47Le préalable d'épuiser les
recours internes a en effet, d'abord été développé
en droit des gens. Cette règle, bien ancrée dans le contentieux
international fait désormais partie des règles
coutumières48. Certes, il est difficile de dire au regard du
phénomène de la conventionalisation du droit coutumier et celui
de la coutumièrisation du droit conventionnel si c'est la grande
référence à cette règle dans les traités
46Com 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98,
Malawi African Association, Amnesty International, Mme Sarr Diop, Union
Interafricaine des Droits de l'Homme et Rencontre Africaine des Droits de
l-Homme, Collectif des Veuves et Ayants Droit et Association Mauritanienne des
Droits de l'Homme c. Mauritanie, 13eme Rapport d'activité.
47Com 249/2002 Institut pour les Droits Humains et
le Développement en Afrique pour le compte des Réfugiés
Sierra-léonais en Guinée / République de
Guinée
48 Affaire de l'Hinterland Hinterland (Suisse. c.
États-Unis), Exceptions préliminaires, CIJ 27 Mars 1959, REC
CIJ 1959, p.27.
qui a conduit à sa reconnaissance en droit coutumier ou
si la reconnaissance conventionnelle n'a fait que suivre une règle
coutumière bien établie. En droit international
général, deux régimes permettent de rendre compte de cette
consécration. Il s'agit d'une part de l'arbitrage international
et d'autre part du mécanisme de la protection
diplomatique (2). Il importe néanmoins pour mieux
comprendre les principes que la règle vise à garantir, de
présenter brièvement la notion de souveraineté qui en est
le fondement. (1)
1 - Le principe de souveraineté en droit
international général
Selon Carré de Malberg, la souveraineté est une
notion française à l'origine qui apparaît au moyen
âge « où elle a d'abord eu un simple rôle
comparatif et servait à désigner le caractère d'une
autorité qui est supérieure à une autre pour se
spécifier dès le XVIème siècle dans un
rôle superlatif où elle ne servait plus qu'à
désigner le caractère d'une autorité qui ne relève
d'aucune autre et n'admet aucune puissance supérieure
».49 Elle apparaît ainsi comme une construction
théorique qui sert à affranchir le roi de l'omnipotence divine,
c'est-à-dire, à substituer à la souveraineté de
Dieu celle du suzerain.50 Devenue au fil des ans un concept
juridique autonome, elle se traduit par ces deux aspects que sont une
supériorité absolue au-dedans et une indépendance
complète au dehors.
Dans son premier aspect, il s'agit de la possibilité
qu'à l'État souverain d'imposer sa volonté à
l'intérieur de son territoire, non seulement aux individus, mais
à tout groupement publique et ou privé. La souveraineté
interne est un « pouvoir de droit originaire et suprême »
(Jules Laferière). Envisagée sous l'angle de la compétence
étatique, elle se résumerait à l'exclusivité de la
compétence, l'autonomie de la compétence, et la plénitude
de la compétence. C'est au nom de ce pouvoir supérieur et
originaire que l'État déciderait lui-même de sa propre
organisation. La souveraineté assoit l'autorité de l'État,
se définissant comme les attributs essentiels de l'État, qui lui
permettent d'influer directement les politiques sociales, économiques et
culturelles d'un groupe identifier de citoyens.
Il appartient donc à l'État de définir le
régime des libertés publiques qui s'applique sur son territoire
et à sa population. La souveraineté interne implique donc
qu'aucune autre autorité ne peut jouir et exercer quelques
compétences que ce soit sur le territoire de l'État souverain.
Elle
49Benyekhlef (K), « internet : un reflet de la
concurrence des souverainetés », lex electronica, vol 8,
n° 1 automne 2002, p.6.
50Ibidem, p.7
implique l'exclusivité de juridiction, postulat qui
s'applique à tout État. Cette souveraineté absolue
au-dedans est complétée par une indépendance totale au
dehors.
Le second aspect quant à lui, part de la doctrine que
la prééminence du pouvoir étatique se traduit par
l'absence de toute sujétion à l'égard d'autres
États ou de toute autre autorité. La souveraineté externe
est donc la liberté qu'a l'État d'agir sans contrainte
extérieure. C'est ce que consacrer l'article 2 de la Charte des Nations
Unies qui reconnaît un principe d'égalité souveraine entre
États. L'État, n'est pas soumis à un droit
Extérieur à lui-même. La paix de Westphalie aura ainsi
constitué la naissance d'un ordre international fondé sur la
pluralité d'États indépendants qui ne connaissent aucune
autorité supérieure à eux. L'Assemblée
Générale des Nations Unies condamne depuis 1965 les atteintes
à la souveraineté de l'État à travers sa «
déclaration pour l'inadmissibilité de l'intervention dans les
affaires intérieures des États et la protection de leur
indépendance et de leur souveraineté. » Celle-ci proclame
Qu'« aucun État n'a le droit d'intervenir directement ou
indirectement pour quelques raisons que ce soit dans les affaires
intérieures ou extérieures d'un autre État
»51. Ainsi pour qu'un État intervienne dans une affaire
qui relève de la compétence première des juridictions d'un
autre État, il est nécessaire que cette intervention soit
antérieure à l'épuisement des recours internes.
Certes, la souveraineté n'est pas une donnée
figée, inaltérable et transcendante. Elle est simplement un
concept médiateur du pouvoir et de la force. Des ses origines, la notion
s'est transformée pour passer du ciel à la terre, et aujourd'hui
encore, le concept est en pleine mutation, puisque les États
reconnaissent en même temps les limites imposées par le droit
international.
2 - Le rôle de la règle dans la pratique
de l'arbitrage international et de la protection diplomatique.
La pratique de l'arbitrage internationale et celle de la
protection diplomatique suffisent à démontrer que la règle
est un principe bien établi de droit international ayant une
justification certaine.
Pour ce qui est de l'arbitrage international, l'article 37 de
la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 pose clairement que, «
l'arbitrage international a pour objet le règlement des
51Résolution 2131 (XX) AG /NU
litiges entre les États par des juges de leur choix
et sur la base du respect du droit. » La pratique de l'arbitrage
international52 a prospéré dans le domaine des
investissements étrangers53.
Dans les cas de règlement des litiges entre deux
États ou un État et un particulier, investisseur étranger,
l'épuisement des recours internes est de règle. Il permet de
réduire la portée du contentieux des investissements
étrangers. C'est une application directe de la doctrine Calvo (1865)
dont les postulats sont les suivants : les étrangers ne peuvent pas
revendiquer du pays d'accueil plus de droits que les nationaux,
spécialement en ce qui concerne la liquidation des dommages subis ; en
conséquence, le pays d'origine ne peut pas intervenir dans ce sens en
faveur de son citoyen ; au contraire, les étrangers restent soumis
exclusivement au droit matériel et à la juridiction de
l'État d'accueil.54 Ce n'est qu'après avoir
épuisé les recours internes qu'ils peuvent évoquer la
protection diplomatique de leur État.
Concernant la protection diplomatique55, le projet
d'articles sur la protection diplomatique bien que n'étant pas
rentré dans le droit positif, joue un rôle normatif incontestable.
Élaboré par la Commission de droit international sous les
auspices des Nations Unies, il sert de référence à plus de
150 États parties à la Charte des Nations Unies. En son article
14, il est explicitement reconnu que « l'État de la
nationalité ne peut formuler une réclamation internationale
à raison d'un préjudice causé à une personne ayant
sa nationalité ou une autre personne visée dans l'article 8 avant
que la personne lésée ait sous réserve de l'article 16
épuisé
52L'arbitrage international repose avant tout sur
le consentement et la confiance des parties. L'arbitrage est le plus souvent
rendu par un organe ad hoc établis pour le règlement d'un litige
généralement pour une durée indéterminée.
Les parties peuvent néanmoins, ce qui est très rare, confier
l'arbitrage à un organe permanant qui a d'autres compétences.
C'est l'exemple du traité de paix de 1947 qui charge l'Assemblée
Générale des Nations Unies comme arbitre pour fixer le sort des
colonies italiennes. L'organe ad hoc d'arbitrage peut avoir la forme juridique
d'un arbitrage unipersonnel ou d'un arbitrage collégial par commission
ou par tribunal
53 La plupart des conventions bilatérales
d'investissement exige l'épuisement des voies de recours internes dans
un délai précis, celui-ci varie de trois mois à deux ans
et plus. A titre d'exemple, la convention sur le règlement des
différends relatifs aux investissements entre États et
ressortissants d'autres États, prescrit que si les parties s'accordent
à soumettre le litige au CIRDI (Centre International pour le
Règlement des Différends relatifs aux Investissements),
l'étranger doit préalablement épuiser les recours
internes, à moins qu'une disposition particulière en dispose
autrement. (Convention CIRDI art 26, 18 mars 1965). Les parties peuvent
s'accorder à écarter cette exigence avant la saisine du tribunal
arbitral.
54Calvo (C), Le droit international
théorique et pratique, vol II, 5eme édition, Paris 1896,
p.348-349, voir également Shea(D), The Calvo Clause : A problem of
Inter-American and International Law, Minneapolis 1955, p.16-20.
55 L'article 1er du projet d'articles sur la
protection diplomatique définit la protection diplomatique comme
consistant
dans « le recours à une action diplomatique ou
à d'autre moyens de règlement pacifique par un État qui
prend fait et cause en son nom propre pour l'une des personnes ayant sa
nationalité en raison d'un préjudice subit par cette
dernière, découlant d'un fait internationalement illicite d'un
autre État ». Ce faisant, l'État exerce son droit de
s'assurer par la personne des ses sujets le respect du droit international
public. Ce mécanisme fonctionne sur deux piliers : la nationalité
du requérant ou de la victime, et l'épuisement des voies de
recours internes.
tous les recours internes ». La règle
fait échec à l'applicabilité de la protection diplomatique
devant une instance internationale, jusqu'à ce que le règlement
national soit épuisé. Il s'agit d'un usage, non pas partiel mais
complet et exhaustif des voies de recours internes. La règle assure
l'égalité des étrangers devant la loi nationale et les
tribunaux devant lesquels les nationaux ou l'État ont été
accusés.
Dans l'affaire Hinterland qui opposa la Suisse aux
États-Unis, exception préliminaire, le juge international en
l'occurrence, celui de la CIJ avait reconnu que « la règle
selon laquelle les recours internes doivent être épuisés
avant qu'une procédure internationale puisse être engagée
est une règle bien établie du droit international coutumier
». Pour la Cour, « les motifs sur lesquels se fonde la
règle de l'épuisement des voies de recours internes sont les
mêmes, qu'il s'agisse d'une Cour internationale, d'un tribunal arbitrale
ou d'une Commission de conciliation». 56Ces motifs se
résument à la garantie de l'exercice plein et entier de la
souveraineté de l'État territorial sur les individus se trouvant
sur son territoire. Comme l'a fait valoir le juge Cordova dans son opinion
dissidente à l'occasion de l'affaire Hinterland, l'existence de
cette règle tient de « la nécessité absolue
d'harmoniser les juridictions internationales et nationales assurant ainsi le
respect dû à la juridiction souveraine des États (...) L'on
parvient à cette harmonie, à ce respect de la souveraineté
des États, en accordant priorité à la juridiction des
tribunaux internes de l'État » 57
Au delà de la compétence de la juridiction,
l'exception préliminaire du préalable d'épuiser les voies
de recours internes doit être d'abord considérée comme
dirigée contre la recevabilité de
la requête. La Cour prend acte du fait que, cette
règle a été généralement observée
dans le cas oàun État prend faits et cause pour son
ressortissant dont les droits auraient été lésés
dans un autre
État en violation du droit international. Elle affirme
de façon péremptoire que « La règle subordonne
l'action judicaire internationale à l'épuisement préalable
des recours internes ».
Il ne fait pas de doute qu'en droit international
général, la finalité de la règle
d'épuisement des voies de recours internes est de ménager la
souveraineté des États. Il en est de même en droit
international des droits de l'homme.
56Affaire de Hinterland (Suisse. c.
États-Unis), Exceptions préliminaires, CIJ 27 Mars 1959 ; voir
également Aff. des Concessions Mavrommatis en Palestine
(Grèce c. Grande-Bretagne) CPJI 30 Aout 1924 Ser. A.
57 Affaire de l'Hinterland, opinion dissidente du juge
Cordova, Recuiel CIJ, 1959, p.45.
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