H - ARTICULATION ET JUSTIFICATION DU PLAN
L'interprétation et l'application de la règle
par la Commission suggèrent une approche en deux parties. Non pas qu'il
faille distinguer le moment de l'interprétation de celui de
l'application car il n'existe pas de frontière étanche entre
l'interprétation et l'application. En effet s'il est évident que
la Commission africaine énonce certaines considérations avant de
mettre la règle en oeuvre, il reste tout aussi évident que cette
mise oeuvre pourrait comme cela est fréquemment le cas trahir une
interprétation implicite de la règle. Cette conjonction entre
l'interprétation et l'application de la règle rend difficile une
distinction entre l'activitée interprétative et la mise en oeuvre
proprement dite. De plus, ces deux moments de la mise en oeuvre se recoupent et
s'entremêlent en raison des logiques par lesquelles ils sont
menés. Suivant celles-ci, la Commission africaine interprète la
règle à la lumière de son devoir de protéger les
droits de l'homme et des peuples tel que stipulés par la Charte. Elle
l'applique cependant en tenant compte des particularités de chaque
communication. D'une part l'interprétation téléologique,
c'est-à-dire finaliste aboutit à une variabilité de
l'appréhension suivant les cas examinés. La Commission africaine
donne à la règle le sens qui permet le mieux la protection des
droits de l'homme dans la circonstance considérée. D'autre part
l'application in situ se manifeste par une inconstance des solutions.
La Commission africaine décide d'appliquer ou de ne pas appliquer la
règle suivant que celle-ci permet ou ne permet pas une meilleure
protection des droits de l'homme dans la circonstance particulière de la
communication examinée. Il n'est alors pas surprenant qu'on retrouve des
interprétations ou des solutions différentes pour des
communications fondées sur des faits similaires.40
Néanmoins il est possible de tirer des éléments de
constance de cette jurisprudence arc-en-ciel. Ceux-ci émergent
dès lors qu'on jette un regard sur la règle pour en souligner la
substance. En passant en revue la jurisprudence de ces deux dernières
décennies, on arrive à constater que deux arguments communs
à toutes les espèces imprègnent l'interprétation et
l'application de la règle.
Le premier ressort du fait que la Commission réaffirme
toujours les fondements, la finalité ou les fonctions de cette
règle telles que reconnues par le droit international. La Commission
prend ainsi en compte la définition fonctionnelle élaborée
en droit international laquelle vise à
40Comparé les faits de la Com 219/98,Legal
Defence Center c. Gambie à ceux des Com93/93,International Pen
c. Ghana et com.147/95,149/96, Sir Dawada K. Jawara c. Gambie.
assurer la primauté du règlement national et la
subsidiarité du règlement international (PREMIERE
PARTIE).
Le second se dégage au cours de la recherche de la
preuve de l'épuisement des recours internes. Au cours de cette
étape, la Commission rappelle constamment les critères formels et
substantiels qui conditionnent l'application du principe d'épuiser les
recours internes. A défaut de ceux-ci, elle procède à une
application extensive des exceptions en raison du contexte de la protection des
droits fondamentaux. L'affirmation et le respect de cette définition
matérielle sont un axe essentiel de l'interprétation et de
l'application de la règle (SECONDE PARTIE).
LA REAFFIRMATION D'UNE DEFINITION
FONCTIONNELLE DE LA REGLE.
PREMIERE PARTIE:
A travers sa riche jurisprudence, la Commission Africaine a
réaffirmé de manière décisive et
irréfutable, les fonctions du préalable d'épuisement des
recours internes aux fins de justifier son opportunité dans la
procédure devant elle. Dans cette optique la Commission a repris les
justifications communes à l'ensemble des mécanismes de protection
des droits de l'homme. Ainsi a-t-elle reconnu que : «
L'épuisement des voies de recours locales est un principe de droit
international permettant aux États de résoudre leurs
problèmes internes conformément à leurs propres
procédures constitutionnelles avant que ne soient invoqués les
mécanismes internationaux reconnus. L'État concerné peut
donc avoir une opportunité de réparer le tort causé dans
le cadre de son propre ordre juridique. Il s'agit d'une règle bien
établie de droit international qui veut, qu'avant l'instauration de
procédures internationales, les diverses voies de recours offertes par
l'État aient été épuisées
»41. Elle s'est ainsi référée au fondement
de la règle en droit international. Ce fondement est celui du principe
de la subsidiarité des organes internationaux de protection des droits
de l'homme. A cet effet, les Professeurs PETTITI et DECAUX affirment que :
« le fondement le plus général réside dans le
principe de subsidiarité qui veut que les procédures les plus
graves, les plus solennelles, celles qui se déroulent devant les
instances les plus éloignées ou les plus élevées ne
soient entreprises que si les plus simples les plus immédiatement
offertes ne parviennent à rétablir le droit.
»42. En prenant en compte ce fondement dans sa pratique de
la règle, la Commission appréhende et applique l'art 56 (5) dans
le respect d'une véritable définition fonctionnelle. Celle-ci a
largement été élaborée par le droit international
général. En vertu des articles 60 et 61 de la Charte, la
Commission a pris acte de cette définition qu'elle a consacrée
dans sa jurisprudence. Consubstantielle au principe de subsidiarité,
cette définition fonctionnelle traduit la double finalité de la
norme : à savoir d'une part garantir la primauté du
règlement interne en matière des droits de l'homme
(Chapitre I) et d'autre part assurer que le règlement
international reste d'un recours subsidiaire (Chapitre I)
41Com.275/200, Article 19/État
d'Érythrée, voire aussi, Com. 263/02, Section Kenyane de
la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha
Sheria c. Kenya ; « La règle imposant l'épuisement des voies
de recours internes a été appliquée par les organes
internationaux chargés de l'application des traités et elle est
basée sur le principe qui veut que l'Etat défendeur doit d'abord
avoir l'opportunité de redresser, par ses propres moyens et dans le
cadre de son propre système judiciaire interne, les torts
supposés être causés aux individus »
42Pettiti (L-E), Decaux (E), Imbert (P-H), La
convention européenne des droits de l'homme commentaire article par
article (dir) Louis-Edmond Pettiti, Economica ,2e
édition, p.591.
CHAPITRE I : LA GARANTIE DU PRINCIPE DE
LA PRIMAUTÉ DE LA PROTECTION NATIONALE DES DROITS DE
L'HOMME.
L'ordre national est la pierre angulaire de la protection des
droits de l'homme. C`est la nature des droits qui explique ce fait puisque les
droits et devoirs consacrés par la Charte Africaine créent des
obligations qui ne jouent pas directement entre États, mais entre les
États et leurs sujets de droit étant donné que ces droits
sont des prérogatives attachées à la personne humaine. La
Commission a souligné que « Les droits de la personne
considèrent comme d'une importance suprême qu'une
personne dont les droits ont été violés puisse s'adresser
à des recours internes pour corriger le tort au lieu de porter la
question devant un tribunal international ».43 C'est
pourquoi elle a constamment rappelle que :« La condition
d'épuisement des voies de recours internes est fondée sur le
principe qu'un gouvernement doit être informé des violations des
droits de l'homme afin d'avoir l'opportunité d'y remédier avant
qu'il ne soit appelé devant un organe international
».44En reconnaissant qu'il faut nécessairement donner
à l'État mis en cause l'opportunité de redresser par
lui-même la violation alléguée la Commission consacre de
manière implicite deux autres principes qui relaient le principe de
subsidiarité et servent de fondements immédiats à la
règle. Il s'agit du principe de souveraineté (Section I)
et celui de la prépondérance de la Charte dans l'ordre
interne des États qui assure l'effectivité des droits dans cet
ordre et prescrit la sanction nationale prioritaire45.
(Section II).
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