SECTION II- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX
CIRCONSTANCES PERSONNELLES DU REQUERANT
Les dérogations relatives aux circonstances
personnelles du requérant traduisent l'option de la Commission
d'examiner les requêtes in situ. Dans cette optique, la
disponibilité des recours et même leur efficacité
avérée est occultée par la situation particulière
dans laquelle le requérant se trouve. Il en est ainsi lorsque celui-ci
se trouve soit hors du territoire de l'État mis en cause
(I), soit dans une situation extrême
(II).
Paragraphe I- L'impossibiité pour le
requérant de mettre en oeuvre les recours internes
Il importe de dire que les exceptions relatives aux
circonstances personnelles du requérant ou de la victime sont admises
dans un contexte où les recours internes existent, et sont en
règles générales efficaces. Toutefois, en raison des
circonstances spécifiques à l'espèce, la Commission
considère que ces recours n'existent pas pour le requérant ou lui
sont manifestement impropres. Il en est ainsi dans les cas d'exil et de
déportation. Pour cela, un certain nombre de conditions doivent
être remplies (A), et l'exception traduit une protection
contre les représailles politiques (B).
A - Les conditions d'admission de l'exception
C'est dans la communication, 307/2005 M. Obert Chinhame c.
Zimbabwe, la Commission a exposé de manière
détaillée les conditions dans lesquelles s'applique cette
exception. Dans cette espèce, il est manifeste que la Commission a
exigé un élément matériel en cas de
déportation (1) et un élément
psychologique en cas d'exil (2).
1 - Un élément matériel en cas de
déportation : la détention et
l'expulsion consécutive
Dans Rights International c. Nigeria, la Commission a
retenu que l'inaptitude d'un plaignant à poursuivre les recours
internes, à la suite de sa fuite au Bénin, suffisait à
établir une norme d'épuisement effectif des recours internes.
Dans Institute pour les Droits Humains et le
Développement des Droits en Afrique c. République d'Angola,
la Commission fait remarquer que la condition de l'article 256(5), « n'est
pas une condition stricte à remplir toujours». Il en est ainsi
lorsqu'il n'existe pas de recours interne disponible. Car « le fait
que les expulsés aient été rassemblés
détenus et expulsés de telle sorte qu'ils n'ont pas
collecté leurs effets personnels, ou les confier à leurs parents
ou les garder, sans parler de saisir les autorités compétentes
pour contester la manière dont ils ont été et l'expulsion
consécutive »258. De même, « des
excursions massives, en particulier suites aux arrestations et
détentions consécutives, dénient aux victimes l'occasion
d'établir la légalité de ces actions au niveau des
tribunaux »259. Dans de telles circonstances et suivant
les jurisprudences Civils Liberties Organisations c. République
Fédérale du Nigeria, Civils Liberties Organisations (pour le
compte de la Nigerian Bar Association) c. République
Fédérale du Nigeria, et Rights International c. République
Fédérale du Nigeria,260 la Commission est d'avis
que « le fait que les plaignants ne se trouvent plus dans le pays
d'où provient la plainte et qu'ils le ne peuvent y retourner à
des fins de réparation, constitue un épuisement implicite des
recours internes ». Cette position se justifie par le fait qu' «
il serait absurde de demander au plaignant de retourner dans le pays
d'où provient la plainte [en Angola], pour chercher réparation
auprès des tribunaux nationaux261.
L'arrestation, la détention et l'expulsion
consécutive sont le fondement de l'exception à la règle en
cas de déportation. C'est-à-dire des cas où les plaignants
ont été involontairement expulsés par les agents de l'Etat
mis en cause. Qu'en est-il des cas où le plaignant décide par
luimême de s'exiler ?
2- Un élément psychologique en cas d'exil :
La crainte pour sa vie
perpétrée par des institutions
identifiée de l'Etat
A cette date, l'exposé le plus riche de la jurisprudence
de la Commission concernant cette question, a été fais dans
l'affaire M. Obert Chinhame c. Zimbabwe. Dans cette espèce,
le
258Com. 292/2004, Institute pour les Droits
Humains et le Développement des Droits en Afrique c. République
d'Angola.
259Com. 71/92, Rencontre africaine pour la
défense des droits de l'homme c. République de Zambie.
260Respectivement, com. 87/1993, com. 101/93 et com. 215/98
261Com. 159/96 Union Interafricaine des droits de
l'homme, Rencontre Africaine des Droits de l'Homme, Organisation Nationale des
Droits de l'Homme au Sénégal et Association Malienne des Droits
de l'Homme c. République d'Angola
plaignant prétend avoir été
arrêté, détenu et relâché sans être
inculpé, ni informé des motifs de son arrestation. Il
prétend également qu'à la suite des menaces de mort qui
lui ont été faites à plusieurs reprises, il a fini par
fuir son pays, par crainte pour sa vie, en abandonnant sa famille. Il estime
que cet argument suffit à lui faire bénéficier de
l'exception de non épuisement des voies de recours, conformément
aux jurisprudences Jawara c. Gambie, Alhassam Abubakar c. Ghana et Rights
International c. Nigeria. Il avait été décidé
dans ces espèces « qu'on ne pouvait s'attendre à ce que
les plaignants dans ces cas poursuivent les recours internes dans leurs pays en
raison du fait qu'ils avaient fuit leurs pays par crainte pour leur vie
».
Après une étude comparative262, la
Commission conclue que « les quatre cas ci-dessus ont une chose en
commun, un établissement clair de l'élément de peur
perpétré par les institutions identifiés de
l'État». La peur comme élément
déterminant dans l'exception relative à l'impossibilité du
requérant de saisir les recours internes est justifiée. En effet,
la Commission estime que dans de telles circonstances ce serait «
inverser le cours de la justice en demandant que le plaignant tente les
recours internes » ce qui « serait un affront au sens commun
et à la logique que de demander au plaignant de retourner dans son pays
pour y épuiser les recours internes».
L'élément important qui fait défaut
à la communication Obert Chinhama, est que la peur doit
être imputée à l'État, ce n'est qu'alors qu'elle
rend indisponible les recours internes à l'égard du plaignant.
Dans le cas contraire, la Commission estime que le plaignant n'a pas besoin
d'être
262La Commission a procédé à
une comparaison des arguments invoqués et est parvenue à une
conclusion. Dans Jawara, le plaignant était un ancien chef
d'État renversé par un coup d'État militaire. Le
gouvernement militaire a instauré un régime où
sévissait « une peur
généralisée.» Cette peur ne faisait aucun doute,
ce « sentiment suscité non seulement dans l`ésprit de
l'auteur mais dans celui de toute personne sensée, était que
retourner dans son pays à ce moment précis pour quelque raison
que ce soit, mettrait sa vie en péril. » Dans Alhassam
Abubakar c. Ghana, le plaignant un gouverneur, arrêté et
détenu sans procès pendant 7ans pour cause de collaboration avec
des dissidents politiques, s'était évadé vers la
Côte d'Ivoire. Malgré la possibilité à lui offerte
pour retourner au Ghana, le plaignant invoquait l'existence d'une loi
ghanéenne, infligeant des peines de 2 à 6 ans de prison aux
évadés de prison quelque soit la légitimité des
causes de leur évasion. La Commission affirma que «
considérant la nature de la plainte, il ne serait pas logique de
demander au plaignant de retourner au Ghana pour chercher une solution
auprès des autorités. Les recours internes n'étaient donc
pas disponibles. » Dans Rights International c.
Nigéria, l'étudiant Charle Baridom a fuit le Nigéria
après avoir subi des tortures pendant sa détention dans un camp
militaire. Il a également été menacé de mort par
les agents du gouvernement. Dans ce cas, la Commission a déclaré
la communication recevable « aux motifs qu'il n'existait pas de
recours internes disponibles et efficaces pour les violations des droits de
l'homme au Nigéria sous le régime militaire. » Elle a
ainsi affirmé que « la norme d'épuisement des recours
internes est satisfaite lorsqu'il n'existe pas de recours efficacse ou
adéquats pour l'individu. » Dans le cas particulier, M.
Wiwa « ne pouvait poursuivre aucun recours interne après sa
fuite par crainte pour sa vie vers la République du Bénin
». Dans Gabriel Choumba c. Zimbabwe, le plaignant
après avoir subi un harcèlement politique, arrêté,
détenu, torturé sans procès et menacé de mort,
s'est enfuit du Zimbabwe par crainte pour sa vie.
physiquement présent dans un pays pour avoir
accès aux recours internes263. Ce fut le cas de l'affaire
Chinhama, le requérant n'ayant pas pu établir qu'il a
fuit le pays contre sa volonté en raison des agissements de
l'État. Ainsi, « si le plaignant ne peut pas aller vers le
tribunal de son pays, parce qu'il a peur pour sa vie ou pour celle des membres
de sa famille, les voies de recours internes sont considérées
comme inexistantes pour lui ».264 Cette exception, a une
certaine portée dans le champ de la protection des droits de l'homme.
|