B - L'exemption en cas de prolongement anormal des
procédures
L'alinéa 5 de l'article 56 admet clairement
l'inapplicabilité de la règle dès lors « qu'il est
manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se
prolongent d'une manière anormale ». Dans l'affaire Zimbabwe
for Humans Rights et Institute for Humans Rights and Development c.
Zimbabwe, la Commission reconnaît que « ce qui constitue la
prorogation de façon anormale de la procédure, n'a pas
été définie par la Commission
africaine.»245 Plus loin, elle avoue qu'« il
n'existe donc pas de critères standards employés par la
Commission africaine pour déterminer si une procédure a
été indûment prolongée ». Cette position
lui permet de garder une certaine flexibilité pour considérer
chaque situation dans ses spécificités246 . Ainsi la
Commission recours à certaines alternatives dans une logique qui
emprunte à la doctrine anglaise du « test de l'homme raisonnable
» (1). Il est par contre possible de dégager
à travers la jurisprudence de l'organe ce qui pourrait être
considéré comme étant la durée moyenne de
l'instance nationale (2).
243Com, 241/2001, Purohit et Moore c. Gambie
§36. Voir aussi Guide pour comprendre et utiliser la Cour Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples, op cit, p.55.
244Ibid,§38.
245Com292/2004, Zimbabwe for Humans Rights et
Institute for Humans Rights and Development c. Zimbabwe §58.
246Guide, Ibid, p. 56.
1 - Les alternatives à l'absence de
critères standards
N'ayant pas défini des critères à partir
desquels l'ont apprécie la prorogation des recours, la Commission «
a tendance à traiter chaque communication dans le fond [et] dans
certains cas, la Commission tient compte de la situation politique
prévalant dans le pays, de l'histoire judiciaire du pays, et dans
d'autres la nature judiciaire de la plainte. »247.
La prise en compte de la situation politique du pays, consiste
à considérer que le prolongement anormal des procédures
n'est pas causé par la volonté manifeste du pouvoir en place. En
fait, « Indûment » est le qualificatif que l'article 56(5)
donne à la prolongation anormale des procédures. Ce terme a
été défini comme signifiant « excessivement
» ou « de façon injustifiable»248. La
Commission a alors conclu que « s'il y a une raison justifiable pour
prolonger l'affaire, elle ne peut être qualifiée d'indue
»249. Elle cite l'exemple d'un pays qui est pris dans une
agitation civile ou une guerre. Dans ce cas, les recours ne sont pas
considérés comme indûment prolongés.
A contrario, lorsque le comportement de la victime est la
cause du prolongement des procédures, l'exception ne peut être
invoquée. Ceci est vrai, si le retard même en partie est
causé par la victime elle-même, sa famille ou ses
représentants, le prolongement des procédures étant par
ces facteurs justifié.
Par ailleurs, la Commission a recours à la doctrine
anglaise du « test de l'homme raisonnable». Cette doctrine de Common
Law, révèle une certaine équité dans
l'administration de la justice. Dans ce sens, la Commission cherche à
« découvrir compte tenu de la nature et des circonstances
entourant un cas particulier quelle serait la décision d'un homme
raisonnable »250. (§60). Dans l'espèce
considérée, ayant fait remarquer que « les
résultats électoraux sont supposés être rendus le
plus rapidement possible, de manière à permettre aux concurrents
de connaître les résultats »251, que la
plupart des juridictions mettent en place, des mécanismes pour assurer
cette diligence dans le traitement. La Commission parvient à la
conclusion qu'un homme raisonnable finira par croire que l'affaire a
été prolongée de manière anormale. Cette conclusion
tient du fait que, plus de quatre ans après l'introduction des
requêtes en contestation d'élection, les Tribunaux
247Com292/2004, Zimbabwe for Humans Rights et
Institute for Humans Rights and Development c. Zimbabwe.
248 Idem
249 Idem
250 Idem
251 Idem
de l'Etat défendeur ne sont pas parvenus à
statuer et les fonctions que les victimes contestent sont toujours
occupées alors que les mandats sont presque arrivés à
terme». La communication fut déclarée recevable. Ce qui fait
jouer l'exception, ce n'est pas nécessairement le prolongement des
procédures, mais ce sont les anomalies directement imputables à
l'Etat ou au plaignant, qui vicient ce prolongement. La Commission tient
également compte de l'histoire judiciaire du pays.
2 - La durée moyenne de l'instance
nationale
En prenant en compte l'histoire judiciaire du pays, la
Commission analyse au regard du fonctionnement des juridictions nationales si
l'on est à même de dire que la procédure se prolonge de
façon anormale. Elle interroge ainsi la jurisprudence nationale pour
voir quelle est la durée moyenne de l'instance dans l'ordre interne.
La célérité de la procédure est un
principe dans la conduite du procès. Pradel disait dans ce sens que
« le temps qui passe c'est la vérité qui s'enfuit
». Il poursuivait qu' « une justice tardive équivaut
à l'injustice »252. La
célérité de la procédure est de
l'intérêt de la victime selon que la Charte parle d'être
jugée dans un délai raisonnable253. Le droit
d'être jugé dans un délai raisonnable, est le droit d'une
application régulière de la loi. Le droit d'avoir sa cause
entendue dans un délai raisonnable, intègre non seulement le
moment auquel le procès devrait commencer, mais également le
moment auquel il devrait prendre fin et le jugement rendu aussi bien en
première instance qu'en appel.
Malheureusement, les législations nationales ne sont
pas assez élaborées à ce sujet. Au Cameroun par exemple,
aucune disposition légale ne fait obligation au juge de conduire les
procès dans un délai bien déterminé. Certes, il
faut nuancer qu'en matière de contentieux administratif, l'issue du
recours contentieux doit être connue dans un délai de 60 jours
après dépôt du recours gracieux préalable. La
pratique révèle que les systèmes judiciaires africains
sont caractérisés par une lenteur. Cette lenteur est due à
la carence du personnel de justice, l'engorgement des tribunaux internes et
parfois, l'ingérence du politique dans la pratique judiciaire. Dans
Modise c. Botswana, la Commission a admis que le fait que le dernier
recours
252Pradel (J), La procédure
pénale, CUJAS, 11 édition, 2002-2003, P.307.
253Article 7 (5) Charte africaine des droits de l'homme et des
Peuples.
du requérant soit toujours en instance 16 ans plus tard
permet de conclure à la réalisation par le plaignant de la
condition d'épuisement des recours internes254.
Dans la communication 204/97, Mouvement burkinabè
des droits de l'homme et des peuples c. Burkina Faso, la Commission estime
que « 15 ans sans qu'aucun acte de procédure ne soit prit et
sans aucune décision ne se prononçant sur le sort des personnes
concernées, ni sur les réparations sollicitées, constitue
un déni de justice et une violation de l'article 7(1) ». Dans
la jurisprudence Art 19 c. Érythrée, la Commission a
jugé qu' « En l'absence de mesures concrètes de la part
de l'État pour faire comparaître les victimes devant un tribunal
ou pour leur permettre d'avoir accès à leurs représentants
légaux trois ans après leur arrestation et leur détention
et plus d'un an après avoir été saisie de la question, la
Commission africaine, en toute conviction, conclut que les voies de recours
érythréennes, même si elles sont accessibles, ne sont ni
effectives ni suffisantesi255
La Cour européenne dans son arrêt Kulda c.
Pologne, rendu en Grande Chambre le 26 Octobre 2000, a innové en
mettant les États parties face à leur responsabilité en
les incitant à créer dans leurs systèmes juridiques
nationaux un recours effectif permettant aux justiciables de se plaindre de la
durée excessive d'une procédure.256 Aujourd'hui,
« plusieurs des États parties à la Convention ont
intégré dans leurs systèmes juridiques internes, un
recours qui permet aux justiciables de se plaindre du caractère
déraisonnable d'une procédure et que les requérants sont
désormais tenus d'exercer avant de s'adresser à la Cour
européenne des droits de l'homme. C'est notamment le cas des
systèmes français et italien ».257Il s'agit
d'un précédent dont la Commission africaine devrait s'inspirer
pour assurer aux justiciables africains le droit à un procès
rapide.
En marge de ces exceptions qui sont liées à des
raisons objectives, il est facile de remarquer que la Commission a
également admis des exceptions à la règle de
l'épuisement des voies de recours internes, sur la base des
considérations purement subjectives.
254Com. 97/93 John K. Modise c.
Botswana§19.
255Com. 275/2003 Article 19/Etat
d'Érythrée §82.
256Voir aussi les arrêts confirmant la
jurisprudence Kulda, notamment Horvat c. Croatie, arrêt
du 26 Juillet 2001, Selva c. Italie, arrêt 11 Décembre
2001, Nouhaud et autres c. France, arrêt du 09 Juillet 2002,
Konti-Arvaniti c. Grèce, arrêt du 10 Avril 2003,
Hartman c. République Tchèque arrêt du 10 Juillet
2003.
257Beernanert (M-A), « De l'épuisement des
voies de recours internes en cas de dépassement du délai
raisonnable », Revue trimestrielles des droits de l'homme,
n°60, 2004, p. 906.
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