Paragraphe II - Une mauvaise configuration de l'ordre
juridique ou des procédures judiciaires
L'idée selon laquelle, une mauvaise configuration de
l'ordre juridique ou de la procédure judiciaire exonère du
préalable d'épuisement des voies de recours internes peut
être affirmée au regard de la jurisprudence de la Commission. Il
s'agit en effet, de circonstances liées à des
236Com 27/89, 46/91 et 99/93 Organisation mondiale
contre la torture& al / Rwanda.
237Com 224/98, Media Rights Agenda c/ Nigeria
225/98, Huri-Laws c/ Nigeria § 37 et com. 222/98 et 229/99 Law Office
of Ghazi Suleiman / Soudan §40.
238Com 54/91. Malawi African Association et autres
c. Mauritanie
239Com 54/91. Malawi c. Mauritanie ; com. 74/92,
Commission Nationale des Droits de L'homme et des libertés c.
Tchad, §36.
clauses dérogatoires qui hypothèquent
l'administration de la justice (A). Il s'agit
également, des cas où il est prouvé que la
procédure des recours se prolonge de façon anormale
(B).
A - Les exemptions du fait de dispositions
légales
Dans cette catégorie, il est possible de ranger quatre
exceptions à la règle. Celles-ci ont été admises
par une interprétation déductive des exceptions classiques
à l'article 56(5). Ces exceptions sont admises dans les cas où
les recours internes sont rendues inexistants, inefficaces et illégaux.
Il s'agit de : l'existence des clauses dérogatoires
(1), l'existence des recours discrétionnaires ou
extraordinaires (2), la non justiciabilité de la
plainte (3), l'accès inéquitable à la
justice (4).
1 - L'existence de clauses
dérogatoires
On entend par clauses dérogatoires des clauses qui
écartent, dans des limites déterminées, la règle
normalement applicable.
La Commission a retenu dans le cas de la communication
International Penn et autres (pour le compte de Saro-Wiwa) c. Nigeria,
que tous les décrets dont il est question dans les quatre
décisions prises contre le Nigéria contiennent des clauses
dérogatoires « dans le cas des Tribunaux spéciaux, ces
clauses interdisent aux Tribunaux ordinaires d'examiner tout appel contre des
décisions prises par des Tribunaux spéciaux
»240. Dans le cas d'espèce, le décret relatif
à la suspension et modification de la Constitution qui en interdit toute
contestation devant les Tribunaux nigérians, le décret
régissant les praticiens du droit qui ne peut être contesté
devant aucun Tribunal, constituent pour la Commission, des clauses
dérogatoires qui rendent les recours inexistants, inefficaces ou
illégaux. Elle soutient que dans ces circonstances, le judiciaire ne
peut exercer aucun contrôle sur la branche exécutive du
gouvernement.
2 - Des recours discrétionnaires ou
extraordinaires
Ayant rappelé à plusieurs occasions que les recours
dont il s'agit au terme de l'article 56(5) sont des recours judiciaires, la
Commission rejette les allégations des Etats parties qui
240Com. 60/91 et 87/98
invoquent le non épuisement des recours internes en se
basant sur les recours d'une nature non judiciaire. La Commission africaine a
systématiquement rejeté la preuve des modes non juridictionnels
de règlement en matière des droits de l'homme au titre de
l'article 56 (5). Ces modes non juridictionnels sont les recours
discrétionnaires et les recours extraordinaires.
On entend par recours discrétionnaires, des moyens de
reformation de l'acte querellé ou de redressement de la situation,
soumis à l'appréciation arbitraire d'une autorité
politique ou administrative. Il s'agit en effet, des voies et moyens que la
victime peut emprunter, mais dont l'issue dépend entièrement de
la bonne volonté, et de la clémence du titulaire de cette
prérogative. Les recours politiques et hiérarchiques sont
caractéristiques de cette typologie. Dans l'affaire Diakaté
c. Gabon, la Commission a retenu que, le sieur Diakaté «
bien que revenu dans son pays d'origine entreprit des démarches
auprès des autorités politiques en vue de l'annulation de l'ordre
d'expulsion ». Qu' « il ressort pour l'essentiel que le
sieur Lamine Diakaté n'a jamais attaqué en justice,
l'arrêté d'expulsion n°148/MATCLI-DGAT-DDF-SF prit contre
lui ». Son retour sur le territoire gabonais résultant d'une
décision politique. Cette communication a été
déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de
recours internes. Dans Constitutional
Right Projet (pour le compte de Akamu) et autres c.
Nigéria, la Commission a soutenu que la
loicontestée par la communication 60/71 « le Roberry
and Fireams act investit le gouverneur du
pouvoir de confirmer ou d'annuler la décision du
Tribunal spécial ...ce pouvoir est à considérer
comme une voie de recours discrétionnaire et extraordinaire d'une nature
non judiciaire ». La Commission motive sa décision en
soulignant que « l'objectif du recours est d'obtenir une faveur et non
de réclamer un droit ». Or le recours au sens de l'article
56(5) est un véritable droit dont la victime est titulaire : le droit
à un recours.
Le rejet des recours discrétionnaires est d'autant plus
justifié qu'ils aboutissent à une réparation
discrétionnaire et relative. Une réparation arbitraire et non
satisfaisante. Pour la Commission, « il serait incorrect d'obliger les
plaignants à user des voies de recours qui ne fonctionnent pas de
façon impartiales et qui ne sont pas tenus de statuer
conformément aux principes de droit ».241
S'agissant des recours extraordinaires, ils peuvent se
distingués suivant deux critères.
Il s'agit d'une part de la nature des justiciables et d'autre
part du droit applicable.
241Com 60/91, Constitutional Rights Project (pour
le compte de Wahab Akanu, G adega et Autres) c. Nigeria, § 8.
Suivant la nature des justiciables, les recours
extraordinaires sont ceux qui ne sont ouverts qu'à une certaine
catégorie de personnes. Suivant le droit applicable, c'est le droit
d'une catégorie spécifique de personnes qu'applique l'organe de
recours. Les Tribunaux militaires caractérisent fort bien les types de
recours extraordinaires. De jurisprudence constante, la Commission a
radicalement rejeté l'invocation des recours spéciaux comme les
Tribunaux militaires au titre de l'article 56(5). Elle a ainsi
considéré dans Media Rights Agenda c. Nigéria,
que la comparution d'un civil devant un Tribunal militaire spécial,
utilisant des procédures spéciales, étaient non seulement
en violation du paragraphe 5 des principes des Nations Unies sur
l'indépendance de la magistrature, mais aussi l'article 7 de la Charte.
Dans la communication 60/91 Constitutional Right Projet c.
Nigéria, seul le gouverneur militaire pouvait confirmer ou infirmer
la décision rendue par le Tribunal spécial. La Commission a fait
valoir qu'« une voie de recours discrétionnaire et
extraordinaire d'une nature non judiciaire », telle que le recours au
gouverneur militaire, n'était pas pertinent aux fins de l'alinéa
5 de l'article 56.
3 - La non justiciabilité de l'objet de la
plainte
La règle de l'épuisement des voies de recours
internes ne s'applique pas lorsque « au vue de la plainte, il n'y a
pas de justice où il n'y a aucun recours local à épuiser,
par exemple, lorsque le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de
l'organe exécutif, responsable de l'action illégale
»242. Il s'agit de considérer que lorsqu'un Etat n'a pas
assuré l'effectivité des droits de la Charte dans son ordre
interne il reste tenu en cas de violation desdits droits de redresser la
violation. Le cadre national n'étant pas habilité à
prendre en charge une telle situation la Commission exempte les victimes
d'épuiser les recours internes et les autorisent à saisir
directement l'organe conventionnel.
4 - Un accès inéquitable à la
justice du fait de la loi
Dans l'affaire Purohit et Moore c. Gambie, la
Commission relève que « les dispositions
générales de la loi qui pourrait offrir un recours à toute
personne lésée par la faute d'autrui, sont accessibles aux riches
et à ceux qui peuvent se payer les services d'un avocat privé.
L'on ne
242Com 275/2003, Art.19 c. Erythrée,
voir aussi com. 241/2001, Purohit et Moore c. Gambie.
peut toutefois pas affirmer comme une vérité
générale qu'il n'existe pas dans le pays des voies de recours
internes, mais elles existent pour ceux qui ont les moyens de les utiliser
»243.
L'exception est donc admise, non pas sur le fondement
subjectif de la pauvreté du plaignant, mais celui plus objectif de la
loi qui tend à écarter une catégorie sociale de personnes.
Autrement dit, l'exception ne joue pas en considération de la condition
sociale du plaignant, mais plutôt au vue de l'impartialité de la
loi à l'égard des couches socialement pauvres. Ayant
considéré dans le cas d'espèce qui portait sur les
conditions de détention et de traitement des malades mentaux en Gambie,
que « les voies de recours offertes (...) ne sont pas réalistes
pour cette catégorie de personnes et partant, pas efficaces
»244. Pour ces raisons, la Commission a déclaré
la communication recevable.
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