SECTION I- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX
CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES D'ORDRE POLITIQUE ET JURIDIQUE
La logique finaliste qui guide la pratique de la Commission,
conduit celle-ci à déclarer une communication recevable,
dès lors qu'il est établi que des circonstances empêchent
le recours aux juridictions internes. Ces circonstances, peuvent être
politiques notamment en cas d'Etat d'urgence avec des violations graves et
massives des droits humains (Paragraphe I). Elles sont d'ordre
juridique lorsqu'elles ont trait à une mauvaise configuration de l'ordre
juridique ou des procédures judiciaires. (Paragraphe
II)
232Com. 260/02 Bakweri Land Claims Committee /
Cameroun §55. 233 Communication 275/2003 Article 19/Etat
d'Erythrée.
Paragraphe I - L'État d'urgence et les violations
graves et générales
Dans la jurisprudence de la Commission, il est clairement
admis qu'en situation d'État d'urgence où des violations graves
et générales des droits de l'homme sont perpétrées,
les plaignants sont exemptés du préalable d'épuiser les
voies de recours internes. Cette exemption n'est néanmoins admise que
sous certaines conditions (A). Elle traduit la caducité
au niveau international des solutions politiques prises au niveau interne dans
ce genre de circonstances (B).
A- Les préalables à l'exception
Pour que cette exception joue, le requérant doit
prouver qu'une situation exceptionnelle d'ordre politique avait cours dans le
pays, au moment de la commission des faits. Dans une description aux
détails près, il doit relever le caractère exceptionnel de
cette situation. La charge de la preuve qui pèse ainsi sur le plaignant,
peut être substituée à la simple constatation de la
Commission elle-même dès lors que cette circonstance est largement
connue de la Communauté internationale.234 Il doit être
prouvé ou constaté, qu'au moment de la commission des faits,
prévalait une situation de trouble politique (1), qui a
entraîné des violations graves et massives des droits de
l'homme (2).
1 - Une situation de trouble politique...
Trois clichés contribuent à caractériser
une situation de trouble politique, soit l'existence d'un climat de tension
politique ouvert. C'est la contestation de la légitimité des
gouvernants ou leur gestion du pouvoir qui ouvre très souvent les
hostilités. Il peut aussi s'agir de campagne xénophobe ou de
nettoyage ethnique. Ces contestations et revendications ouvertes, transforment
partiellement ou totalement le pays en zones rouges, où s'installent la
violence et le non droit. Soit encore, un état d'exception où les
pouvoirs des forces de sécurité (armée et police) sont
accrus et où la règle de droit souffre de violation. La
légalité dite d'exception qui caractérise de telles
circonstances, n'est souvent qu'une façade qui cache des
réalités horribles. Soit enfin, une guerre internationale qui
compromet profondément l'exercice quotidien de la fonction
juridictionnelle dans un cadre où le droit est bafoué et la
violence est de règle. Le génocide rwandais est la preuve
parfaite d'une situation de trouble politique.
234Voir les communications contre le régime
militaire au Nigeria et celles contre la Mauritanie.
La situation de trouble politique ne suffit pas à elle
seule pour constituer une exception à la règle. Il faut encore
qu'elle donne lieu à des violations graves et massives des droits
contenus dans la Charte.
2 - ... Entraînant des violations graves et
massives des droits de l'homme
Les violations des droits de l'homme observées en cas
de troubles politiques, doivent répondre aux qualificatifs de «
graves et massives ».
Les violations sont dites graves lorsqu'elles sont
multiformes, répétées, impunies et touchent les droits de
l'homme les plus élémentaires. Ce sont très souvent des
traitements cruels et inhumains tels, la torture, les viols d'enfant et de
femmes, les mutineries diverses.
Quant au caractère massif des violations, il renvoie
à leur généralité. C'est dire que les violations
doivent être de celles qui touchent un grand nombre de personnes, de
sorte qu'il soit difficile de dire qu'elles concernent quelques personnes
isolées. Les communications 27/89, 46/90, 49/91,99/93 Organisation
Mondiale contre la Torture et l'Association Internationale de Juriste
Démocrates, Union Interafricaine des Droits de l'Homme c. Rwanda,
faisaient état d'arrestations arbitraires, d'exécutions
sommaires, de détentions sur des considérations ethniques et
politiques, de milliers de personnes dans différentes parties du Rwanda
par les forces de sécurité rwandaises. Elles alléguaient
des violations graves et massives en Octobre 1990 et Janvier 1992. En
détails, les plaignants indiquent comment les violations se sont
généralisées sous formes de massacres et
d'exécution extra judiciaire des membres de l'ethnie Tutsi. La position
de la Commission africaine fut sans ambages : ces communications «
révèlent l'existence de violations graves et massives des
dispositions de la Charte ». Dans ce cas, et conformément
à ces décisions antérieures sur les cas de violations
graves et massives des droits de l'homme, il a été observé
qu'étant donné « l'ampleur et la diversité des
violations alléguées, et le grand nombre de personnes
impliquées, la Commission considèrent que les voies de recours ne
doivent pas être épuisées ». Les communications
ont été déclarées recevables.
La Commission examine conjointement les communications, qui
portent sur des faits similaires déplorant des violations graves et
massives dans un pays au cours d'une même période. Dans
l'affaire Malawi Africain Association et autres c. Mauritanie, la
Commission justifie sa position en affirmant que « dans une
situation de violations graves et massives des
droits de l'homme, il peut être impossible de donner
la liste nominative de toutes les victimes ». Elle fait valoir que la
règle d'épuisement des recours locaux ne s'applique pas «
lorsqu'il y a de nombreuses victimes. La gravité de la situation des
droits de l'homme en Mauritanie et le grand nombre de victimes
concernées, rendent les recours indisponibles en termes pratiques
». Il se dégage le contre principe selon lequel, chaque fois qu'il
est prouvé des violations graves et massives dans un État, la
jurisprudence de la Commission autorise à écarter la règle
de l'épuisement des recours internes. Une telle exception a un certain
nombre de conséquences dont la plus notoire est la caducité ou
l'effet limité des solutions nationales.
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