Paragraphe II - Des recours internes efficaces : Les
critères de satisfaction et d'effectivité
A côté du critère de disponibilité,
la Commission n'exige l'épuisement des recours internes que s'ils sont
effectifs et satisfaisants. L'efficacité et la satisfaction comme
caractère fondamental des recours à épuiser ont fait
l'objet d'une définition substantielle devant la Commission. Celle-ci
porte sur l'admission exclusive des modes juridictionnels comme gage
d'efficacité des recours (A), et les modes de
réparation qui en détermine la suffisance
(B).
A- L'admission exclusive des modes
juridictionnelles
La jurisprudence de la Commission donne la preuve que les
recours à épuiser ne peuvent être efficace que s'ils sont
d'abord judiciaires. Elle souligner que : « aux termes du
présent Article [art 56(5)], tout ce que la Commission Africaine
souhaite entendre du plaignant est qu'il s'est approché des organes
judiciaires internes ou nationaux ».208 Ceci se confirme
au regard de la définition que l'organe a donné au terme
efficacité (1) et au vue de la pertinence des recours
juridictionnels (2).
1 - La signification de l'effectivité et de la
satisfaction des recours
internes
Dans la jurisprudence Jawara c. Gambie, la Commission
s'était limitée à exiger que soit pris en compte le
critère de l'efficacité des recours, entendu comme des recours
qui « offrent une perspective d'aboutissement ». C'est dans
l'affaire Anuak justice, que la Commission va définir le terme efficace
comme étant ce qui est « adéquat pour accomplir un
objectif ; produisant le résultat recherché ou attendu
». Elle ajoutera qu'il s'agit d'un recours « opérant,
utile, utilisable, exécutable, en ordre, pratique, courant, effectif,
réel, valide ».209Deux tests permettent
208 Com 221/98 Alfred B. Cudjoe c/ Ghana
209Com 299/2005, Anuak Justice Council c
Éthiopie.
d'apprécier l'efficacité d'un recours. Le
premier est que ce recours doit présenter toutes les garanties
permettant d'obtenir la solution recherchée. Il ne s'agit pas de relever
que le recours doit absolument aboutir à cette solution, mais de
considérer qu'il doit offrir de manière certaine des perspectives
probantes pour la solution. En d'autres mots et plus commodément,
l'efficacité de recours se mesure, à sa plausibilité
à résoudre le problème.
La seconde possibilité est que le recours doit
être praticable c'es-à-dire à mesure d'être
utilisé. Elle fait allusion à la mécanique interne qui
assure le fonctionnement du recours et partant sa validité.
Pour réunir ces deux exigences fondamentales de
l'efficacité, le recours ne peut être que juridictionnel. La
Commission va d'ailleurs le rappeler dans plus d'une espèce, notamment
l'affaire Amnesty International et Autres c. Soudan ; où il est
clairement affirmé que l'épuisement des voies de recours internes
n'est exigible que si « les recours existent et sont
juridictionnels ».
En substance, elle affirme qu'elle « exige
l'épuisement des voies des recours internes si elles existent, si elles
sont juridictionnelles (...) et ne dépendent pas du pouvoir
discrétionnaire de l'autorité publique ». En examinant
la communication Cudjoe c. Ghana (com. 221/98), la Commission
reconnaît que « les recours internes dont fait mention
l'alinéa 5 de l'art. 56 cidessus, s'entendent des recours introduits
devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire». Il y a là une
affirmation péremptoire de la nature juridictionnelle du recours qui
confirme bien le fondement de la règle suivant laquelle : «
l'État visé doit d'abord avoir l'opportunité de
redresser par ces propres moyens dans le cadre de son système judiciaire
les tords qui auraient été causés à l'individu
»210. Le choix des modes juridictionnels des jugements
s'explique en raison de leur indépendance à l'égard du
pouvoir politique.
2 - La pertinence des recours juridictionnels
Dans Malawi African Association et autres c.
Mauritanie, la Commission rappelle que l'une des justifications de la
règle est que « l'État mis en cause, doit être
informé des violations des droits de l'homme dont il est accusé
afin d'avoir l'opportunité de pouvoir les redresser ». Elle ne
précise pas par quels moyens l'État mis en cause devra redresser
les violations, il en est de même dans l'affaire Commission des
Droits de l'Homme et des Libertés c. Tchad (com. 74/92) où
la Commission parle simplement de « la possibilité d'y
remédier» sans préciser comment. La
210Com. 71/92, Rencontre Africaine pour la
Défense des Droits de l'Homme c. Zambie.
position de l'organe reste tout aussi équivoque dans
Jawara c. Gambie, puisqu'elle parle de « remédier
à la situation par son propre système national. » Mais
qu'est-ce que le système national ? Les jurisprudences RADDH c.
Gambie et Diakate c. Gabon semblent répondre unanimement
avec plusieurs autres espèces qu'il s'agit du « système
judiciaire ». Dans ces espèces, la Commission précise
clairement que l'État doit avoir « l'opportunité de
redresser par ses propres moyens dans le cadre de son propre système
judiciaire ». Ainsi, «les recours internes dont fait mention
l'alinéa 5 de l'art. 56 ci-dessus, s'entendent des recours introduits
devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire ». la Commission a tenue
à préciser qu' « il demeure cependant que dans
l'acception généralement admise, les voies de recours, dont
l'épuisement est requis avant d'engager une procédure de
communication - plainte devant la Commission africaine, sont les voies de
recours ordinaires de droit commun, disponibles devant les juridictions et
normalement accessibles au justiciable ».211 En tout
état de cause, le système judiciaire dans ce contexte est
synonyme d'ordre judiciaire ou d'organisation judiciaire. A en croire le
Professeur Guimdo : « Organiquement la justice est l'ensemble des
institutions juridictionnelles chargées de régler des
différends par voie de jugement au terme d'une procédure
donnée. Fonctionnellement, elle est l'activité qui consiste
à juger, mieux à «trancher les litiges sur la base du
droit»»212.
Celle-ci varie selon les traditions juridiques des
États. L'on s'accorde à dire que cette organisation est faite
suivant plusieurs ordres. Selon le droit applicable l'on distinguera les
juridictions de l'ordre administratif et celles de droit commun. Selon la
nature du litige, l'on distinguera les juridictions pénales, les
juridictions civiles et les juridictions administratives. Suivant l'objet du
litige on distingue les juridictions de fond (premier degré et appel, et
les juridictions de cassation). Selon la matière du procès, on
distinguera les juridictions de droit
211 Com. 242/01 Interights, Institut de droits humains et
développement en Afrique et Association mauritanienne des droits de
l'homme/République islamique de Mauritanie, 17ème Rapport
annuel d'activités.
Il faut relever également qu'au cours de l'examen de la
recevabilité de la communication 254/02 Mouvement des
Réfugiés Mauritaniens au Sénégal c.
Sénégal la Commission a indiqué que le plaignant
avait la possibilité d'intenter une action contre l'arrêté
incriminé qui est un acte administratif susceptible de deux voies de
recours dont : Le recours administratif qui consiste à saisir
l'autorité hiérarchique pour excès de pouvoir, notamment
le gouverneur, le Ministre de l'Intérieur, le Premier Ministre et enfin
le Président de la République conformément à loi
organique no. 92-24 du 30 mai 1992 sur le conseil d'État telle que
modifiée et l'article 729 du Code de Procédure Civile ; Le
recours juridictionnel, par la saisine du conseil
d'État en annulation pour excès de pouvoir de l'acte
administratif incriminé. La représentante de l'État
Défendeur a démontré que ces voies de recours existent et
que le plaignant n'a utilisé aucune des deux. Elle a indiqué par
ailleurs que dans les cas d'urgence, le recours à la procédure de
référé d'heure à heure est également ouvert
aux justiciables. Elle a conclu que le plaignant n'a pas épuisé
les voies de recours internes.
212Guimdo Dogmo (B-R), « Le droit d'accès
à la justice administrative au Cameroun. Contribution à
l'étude d'un droit fondamental. », op cit, p.173.
commun et les juridictions spécialisées. Ce qui
importe malgré ces distinctions c'est qu'il existe dans chaque ordre,
une hiérarchie des tribunaux coiffée par une juridiction
suprême, très souvent une Cour Suprême. La hiérarchie
des Tribunaux traduit la notion de recours en tant que voie de
réformation. Ainsi, les Tribunaux hiérarchiquement
supérieurs pourront connaître des recours portant sur les
décisions des Tribunaux hiérarchiquement inférieurs. Ces
recours peuvent être des recours en annulation, des recours en
reformation etc.
La pertinence des recours juridictionnels doit tout à
la notion de pouvoir judiciaire dont l'indépendance de la justice
constitue l'essentiel. En effet, le pouvoir judiciaire est souvent entendu
comme étant à la fois, « l'ensemble des actes par
lesquels sont jugés les procès » et « un
ensemble de Tribunaux présentant certaines propriétés
structurelles »213. Un ensemble de maximes
constitutionnelles détermine et organise l'exercice de ce pouvoir. Elles
garantissent en même temps l'indépendance et l'impartialité
des juridictions.
Par l'indépendance des tribunaux on voit une
manifestation de l'État de droit. Au nom de l'intérêt
général, les Cours veillent à ce que les
législations ne portent pas atteinte d'une manière injustifiable
à certains intérêts individuels et collectifs fondamentaux.
Les tribunaux assurent la protection des droits garantis par la Charte autour
de chaque individu. A travers cette prérogative, ils apportent des
réparations aux violations par l'État des droits humains La
Charte africaine par confère aux tribunaux un rôle important,
à savoir la défense des libertés
individuelles214 fondamentales et des droits de la personne contre
les ingérences de tout organe gouvernemental.. Il est donc capital de
donner à ce mandat tout son sens.. Ce rôle essentiel et
profondément constitutionnel, passe nécessairement par une
indépendance de la justice.
L'indépendance judiciaire stricto sensu,
renvoie à la garantie qu'ont les tribunaux contre toute influence de
l'exécutif. C'est la liberté pleine et totale des juges
d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises. Personne ne doit
intervenir ou tenter d'intervenir dans la façon dont un juge mène
l'affaire et rend sa décision. L'indépendance judiciaire a deux
dimensions. Il s'agit d'une part d'une indépendance individuelle du
juge, et d'autre part d'une indépendance institutionnelle ou collective
de la Cour ou du Tribunal auquel le juge appartient215.
213Troper (M), « Le pouvoir judiciaire et la
démocratie », EJLS vol.1, n°2, p. 1.
214 Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art
7.
215Michel Robert (J-J), « l'indépendance
judiciaire de Valente à aujourd'hui : les zones claires et les zones
grises », 6e conférence Albert Mayrand, Université de
Montréal, faculté de droit ,14 Novembre 2002, p. 8.
L'indépendance judiciaire est réalisée
à travers trois critères que sont : l'inamovibilité, la
sécurité financière et l'indépendance
administrative216. Elle assure que les recours à
épuiser ne dépendent pas « du pouvoir
discrétionnaire de l'autorité publique
»217.
L'admission exclusive des modes juridictionnels ne signifie
par contre pas que si cette action est conjointe à l'usage d'autres
modes non juridictionnels des règlements, elle tombe en
désuétude. Ainsi dans l'affaite Annette Pagnoule le
requérant qui recherchait sa réintégration dans ses
fonctions de magistrat a adressé un recours gracieux au Président
de la République et propose un arrangement à l'amiable au
ministère de la justice. Il a par ailleurs introduit une requête
auprès de la Chambre administrative et introduit d'autre recours
auprès de la Cour Suprême camerounaise. La Commission avait
retenue que : « compte tenu de toutes ses actions entreprises par la
victime, sans qu'aucun résultat ne soit atteint, la Commission
considère que les voies de recors internes ont été
dûment épuisées». Au-delà de la «
diversité des actions conjointes à l'absence des
résultats concrets »218, c'est plus le recours au
juge quoique conjoint aux recours politiques, qui a conduit à la
recevabilité de la communication. Les recours juridictionnels offrent
les garanties pour la réparation des violations de droits de la
personne.
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