SECTION II - LES CRITÈRES MATÉRIELS : LA
DISPONIBILITÉ, LA SATISFACTION ET L'EFFECTIVITÉ DES RECOURS
À ÉPUISER
En cette fin de XXIe siècle et la
cinquième décennie des indépendances approchant, il se
dégage de la pratique que l'administration de la justice sur le
continent se heurte à plusieurs difficultés liées à
l'indépendance, à la crédibilité et à
l'effectivité des institutions judiciaires.
Consciente de cette réalité, la Commission a
fait oeuvre de médiation à travers sa jurisprudence. Elle a
réconcilié le justiciable africain avec ses tribunaux. Pour ce,
elle a mis à la charge de l'État défendeur, la
responsabilité d'assurer que les recours internes à
épuiser remplissent un certain nombre de condition faute de quoi, le
requérant en est exonéré. Un recours interne a
été défini comme étant « toute action
juridique interne pouvant donner lieu à la résolution de la
plainte au niveau local ou national. »181 Selon l'organe
de Banjul : « Les organes internationaux reconnaissent effectivement
que, dans de nombreux pays, les voies de recours sont inexistantes ou
illusoires. En conséquence, ils ont élaboré des
règles sur les caractéristiques que devraient présenter
les voies de recours, la manière dont ces recours devront être
épuisés et les circonstances particulières où il
pourrait ne pas s'avérer nécessaire de les épuiser.
La Commission africaine a considéré que, pour être
épuisées, les voies de
181Com 60/91 constitutional right project c.
Nigeria, et Com 299/2005 Anuak Justice Council c.
Éthiopie.
recours locales doivent être accessibles,
effectives et suffisantes. Si les voies de recours internes
qui existent ne remplissent pas ces critères, une victime peut ne pas
avoir à les épuiser avant de porter sa réclamation devant
un organe international. Toutefois, le plaignant doit pouvoir démontrer
que les voies de recours ne remplissent pas ces critères in practice, et
non pas seulement dans l'opinion de la victime ou de son représentant
léga »182. Ainsi, trois critères pertinents
ont ainsi été dégagés depuis la jurisprudence
Jawara. Ils concernent la disponibilité (Paragraphe
I) l'effectivité et la satisfaction des recours
internes183 (Paragraphe II).
Paragraphe I - Des recours internes effectifs : Le
critère de disponibilité
Selon les termes de l'Article 56 (5), les recours doivent
être épuisés « s'ils existent ». Il y a là
une condition qui laisse supposer que l'inexistence des voies de recours
constitue la première exception à la règle. Cependant, les
dispositions textuelles inter alia ne déterminent pas les
conditions qui permettent de valider l'existence d'un recours. Dans plus d'une
espèce la Commission a précisé que l'existence dont il
s'agit est la disponibilité des recours. Celle-ci est
déterminée par certains traits (A) et, elle vise
à garantir l'effectivité du droit à un recours
(B).
A- La caractérisation de la disponibilité
des recours internes
En examinant l'affaire Jawara c. Gambie (com.
147/95), la Commission, a évoqué l'idée de
disponibilité des recours internes. Elle, pose clairement qu' «
une voie de recours est considérée comme existante lorsqu'elle
peut être utilisée sans obstacle pour le requérant
». Selon l'organe de Banjul, « l'existence d'une voie de recours
interne doit être suffisamment certaine non seulement en théorie
mais aussi en pratique » Il ressort de cette définition que la
disponibilité des recours est à la fois théorique
(1), et pratique (2).
1 - Une disponibilité théorique :
l'existence des recours internes
Certes l'existence d'une voie de recours est d'abord une
prérogative républicaine, mais elle est surtout une obligation
conventionnelle. Suivant l'article 7 de la charte, l'État a le devoir de
mettre en place des voies juridictionnelles pour assurer à toute
personne « le droit à ce que sa
182 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.
183Communication 147/95 et 149/96 Sir Dawda K
Jawara c. Gambie, et com. 275/2003, Art 19 c.
Érythrée.
cause soit entendue ». La Commission
interprète l'article 56(5) concomitamment avec l'article7184.
L'existence renvoie donc à la mise en place d'un système
judiciaire identifiable et effectif. Or ce qui est effectif, c'est «
le caractère de ce qui existe en fait. C'est la qualité d'une
situation juridique qui correspond à la réalité, d'une
compétence qui s'exerce réellement »185. La
Commission indique que. Cela traduit le souci de l'évidence des voies de
recours et c'est à l'État qu'incombe la charge de prouver que les
recours existent. Il peut le faire en convoquant et en présentant tous
documents officiels tels que les textes légaux qui instituent ces
recours ou la jurisprudence des recours en question. Dans l'affaire
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme c.
Zambie (Com 71/92), la Commission a observé que « lorsque
le gouvernement zambien affirme que la communication devait être
déclarée irrecevable parce que les voies de recours non pas
été épuisées, il lui incombe de démontrer
l'existence de ces recours ». Le gouvernement zambien s'est ainsi
référé sur la loi relative à l'immigration et
à la déportation, qui prévoit une procédure d'appel
contre les mesures d'expulsion. Dans l'affaire Art 19 c.
Érythrée la Commission a fait remarquer que « la
partie État a généralement réfuté les
plaintes alléguées et a insisté sur le fait qu'il existe
des voies de recours en Érythrée et que le plaignant ne s'est pas
efforcé de les épuiser ».
La Commission s'est rapprochée de la Cour
européenne dans la définition de l'exigence de recours
disponibles. La Cour européenne est d'accord qu'une voie de recours, aux
termes de l'article 35 de la Convention européenne des droits de
l'homme, doit nécessairement satisfaire au critère de
disponibilité. Pour l'essentiel, la cour énonce en des termes
à peu près similaires à ceux de la Commission, ce qu'elle
entend par disponibilité des recours.
Dans l'arrêt Selmouni c. France186,
la Cour pose clairement que l'article 35 de la Convention ne prescrit
l'épuisement des recours internes que s'ils sont « disponibles et
adéquats». Elle poursuit qu' « ils doivent exister à un
degré suffisant de certitude non seulement en théorie, mais aussi
en pratique sans quoi ils leur manquent l'effectivité et
l'accessibilité voulues »187. Il incombe au gouvernement
excipant du non épuisement de convaincre la Cour que le recours
était « disponible en théorie et en pratique »
c'est-à-dire « qu'il était accessible, était
susceptible d'offrir au requérant le règlement de ses
griefs».
184Com 48/90 Amnesty Internationale c.
Soudan.
185Jean Salomon, Dictionnaire de droit
International public, op cit, pp. 411-412. 186Arrêt
Selmouni c. France n° 25803/94 ; CEDH 1999-V.
187Arrêt Vernillo c. France du
20/02/1991 série A n° 198, p. 11 -12.
Toutefois elle a souligné « que la partie
État s'est contentée d'énumérer in abstracto
l'existence de voies de recours sans les lier aux circonstances du cas et sans
démontrer de quelle manière elles pourraient permettre une
réparation effective des circonstances de ce cas ». La preuve
de l'existence des recours ne consiste donc pas en une
énumération de ceux-ci mais à la démonstration de
leur opérationnalité.
2 - Une disponibilité pratique :
l'accessibilité des recours internes
Selon la jurisprudence Anuak Justice Council c.
Éthiopie (com. 299/2005), la Commission considère qu'un
recours est disponible « si le requérant peut le poursuivre
sans empêchement ou s'il peut l'utiliser dans les circonstances entourant
son cas »188. Cette définition met en valeur deux
éléments essentiels à l'accessibilité, l'un
étant objectif et l'autre purement subjectif. L'élément
objectif de l'accessibilité renvoie selon la Commission, à ce qui
est « immédiatement possible d'être obtenue,
accessible »189 ou à ce qui est «
réalisable, joignable à la demande, à portée de
main, frais, présenté »190 ; il s'agit de
s'assurer que le recours est sans entrave , qu'il est actuel et comporte en son
sein les éléments de son opérationnalité.
Quant à l'élément subjectif, il fait
allusion à ce qui est « opportun, à son service,
à sa volonté, à sa disposition, au doigt et à
l'oeil. »191 Suivant cette approche, la
disponibilité ou plus nettement l'accessibilité s'apprécie
en fonction des possibilités qu'a le requérant d'emprunter les
recours en question. Elle emphase sur l'aptitude du requérant à
utiliser le recours invoqué. Tout compte fait, il s'agit d'une
interprétation extensive de la disponibilité qui rend compte de
la maxime selon laquelle, l'organe examine la règle de
l'épuisement des voies de recours internes à la lumière de
son devoir de protéger les droits de l'homme et des peuples tels que
stipulés par la Charte. La disponibilité peut aussi être
appréciée dans les cas où une nouvelle voie de recours
devient accessible au requérant, après le dépôt de
sa requête, mais avant que la Commission ne se soit prononcée sur
sa recevabilité. Le requérant est alors tenu d'épuiser
cette nouvelle voie de recours. C'est ce qui ressort de la Com. 263/02 -
Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of
Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya. L'État défendeur avait
informé la Commission qu'il avait mise en place des tribunaux
spéciaux d'enquête pour les
188Voir également, Com 228/99, Law Office
of Ghazi Suleiman c. Soudan §31.
189Com 299/2005 Anuak Justice Council c.
Ethiopie
190Idem. 191Idem.
membres de la magistrature soupçonnés d'avoir
pris part à des actes contraires à l'éthique dans
l'exercice de leurs fonctions. La commission a estimé que« face
à une telle information, la Commission Africaine considère qu'en
l'état actuel des choses, les plaignants peuvent approcher les tribunaux
nationaux du Kenya sans aucune appréhension d'un procès
arbitraire dans cette affaire »192 et, « En
conséquence, comme les plaignants ont maintenant un locus standi dans le
processus de révision judiciaire, ils devraient épuiser les voies
de recours internes disponibles et saisir aussi cette opportunité pour
mettre en cause devant une juridiction supérieure du Kenya les
ordonnances qui ont été émises par le Tribunal de grande
instance »193. En considérant ces motifs la
communication avait été déclarée irrecevable pour
non épuisement des voies de recours.
Cette position est similaire à celle de la
jurisprudence européenne. En effet la Cour européenne
évalue l'épuisement des voies de recours internes en fonction de
l'état de la procédure à la date de laquelle la
requête a été déposée devant elle bien. Cette
façon d'opérer connaît, toutefois, quelques exceptions
comme il a été indiqué dans l'affaire Icyer c.
Turquie194. Ainsi lorsque dans un arrêt pilote elle a
constaté des lacunes structurelles ou générales , elle
peut demander à l'État mis en cause d'examiner la situation, et
si nécessaire de prendre des mesures effectives pour éviter que
des affaires de même nature ne soient porter devant
elle.195L'effectivité avérée d'une telle voie
oblige les auteurs des requêtes analogues à l'épuiser pour
autant qu'ils n'en soient pas empêchés par des questions de
délai. A défaut de cela, elle déclare les requêtes
analogues irrecevables au titre de l'article 35 (1), même si celles-ci
ont été exercées avant la création de ces nouvelles
voies196.
A travers le critère de disponibilité la Commission
s'assure de l'effectivité du droit à un recours.
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