SECTION I : LE CRITÈRE FORMEL: LE CONTRÔLE
SYSTÉMATIQUE DE L'ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS
INTERNES.
Le système interaméricain applique les
mêmes conditions de recevabilité que celles pratiquées par
la Commission. Devant la Commission interaméricaine rares sont, sur le
plan pratique, les obstacles à l'examen des requêtes
portées devant elle. Pour faire face à la réalité
des États de l'Amérique latine où les systèmes
judiciaires n'étaient pas susceptibles de garantir le droit à un
procès équitable, la Commission interaméricaine a choisi
de présumer l'épuisement des recours internes, laissant aux
États mis en cause le soin d'évoquer la question158
.
Autre est le cas, devant la Commission
africaine. En effet, celle-ci procède systématiquement à
l'examen de la règle de l'épuisement des voies de recours
internes. De façon constante, la Commission examine à l'occasion
de chacune des communications dont elle est saisie, que la règle de
l'épuisement des voies de recours internes a été
respectée. Pour l'organe « cette règle est l'une des
conditions les plus importantes de la recevabilité des communications,
et c'est pour cela que dans presque tous les cas ,la première question
que se pose aussi bien l'État visé que la Commission est relative
à l'épuisement des recours internes »159.
Cette phase scrupuleuse de contrôle (Paragraphe I)
aboutit fréquemment à la sanction d'irrecevabilité
(Paragraphe II).
158Guide pour comprendre et utiliser la Cour
Africaine des Droits de l'Homme, p. 52.
159Com 147/95 et 149/96, Sir Dawada K. Jawara c.
Gambie, 13eme Rapport annuel d'activités.
Paragraphe I : L'exercice du contrôle
La constance du contrôle de l'épuisement des
voies de recours internes devant la Commission, peut se vérifier dans le
dispositif de la décision par les considérations contenues dans
la partie intitulée « du droit : Recevabilité ». La
condition de l'épuisement des voies de recours internes est parmi les
sept conditions de recevabilité celle qui est la plus fréquemment
invoquée et contestée par les parties et qui « requiert
le plus d'attention »160 . Cette grande attention consiste
à examiner, que la condition de l'épuisement des voies de recours
internes a bel et bien été respectée. La Commission a
formulé une véritable méthodologie pour examiner les voies
de recours internes. Cette méthodologie s'articule autour de la charge
de la preuve (A) et des modes de la preuve
(B).
A - La charge de la preuve
Avant de comprendre comment la charge de la preuve est
répartie entre les parties au procès (2), il
convient de préciser à qui incombe la charge d'épuiser les
recours internes. (1)
1 - De la responsabilité d'épuiser les
recours internes
La première question qui se pose est celle de savoir,
qui de la victime des violations alléguées des droits de l'homme
ou de l'auteur de la communication doit épuiser les recours internes
?
Selon l'article 56(1) de la Charte c'est l'auteur de la
communication qui doit indiquer son identité. Cela laisse t'il
présupposer que c'est l'auteur qui doit épuiser les recours
internes ? Comme il a été souligné,
précédemment la Charte prend en compte les situations d'indigence
dans la mesure où elle autorise que l'auteur d'une communication ne soit
pas nécessairement la victime. Très souvent les auteurs de
communications sont des ONG agissants pour le compte des véritables
victimes. De nombreuses communications émanant de ces ONG ont ainsi
été admises devant la Commission. Pour la Commission «
il incombe à l'auteur d'une communication de prendre des mesures
concrètes pour se conformer aux dispositions de l'article 56 ou
d'indiquer
160Com. 140/90 141/94, 145/95 Civil Liberty
Organisation and Media Rights Agenda c. Nigeria
la raison pour laquelle il lui est impossible de le faire
»161. Les ONG et autres particuliers qui sont très
souvent auteurs de la communication en faveur des véritables victimes,
sont donc tenus de rapporter la preuve que les recours ont été
épuisés. La charge de la preuve qui
incombe à l'auteur de la communication ne l'est qu'au premier
degré.
2 - La rotation de la charge de la preuve
Il existe devant la Commission un cadre d'affectation de la
charge de la preuve entre les plaignants et les États
défendeurs162. La charge de la preuve pèse en premier
lieu sur le requérant. Celui-ci doit démontrer qu'à
l'occasion d'une violation actuelle des droits de la Charte, il a
épuisé ou tenté d'utiliser dans l'ordre interne toutes les
possibilités judiciaires pour obtenir réparation. La charge de la
preuve initiale, sera pour le requérant, d'établir que non
seulement la procédure n'est pas pendante devant les juridictions
internes, mais que la décision de la juridiction suprême a
été obtenue sans qu'il n'y ait eu satisfaction. La preuve
consiste donc à démontrer que l'État a eu
l'opportunité de résoudre le problème dans le cadre de son
propre système national. Il ne s'agit pas de montrer que le
problème a été résolu où qu'il ne l'a pas
été. Mais que l'État a eu l'opportunité de le
résoudre. En effet « tout ce que la Commission africaine
souhaite entendre du plaignant est qu'il s'est approché des organes
judiciaires internes ou nationaux ».163Il faut dire que
très peu de communications arrivent à prouver l'épuisement
des voies de recours internes en démontrant un jugement définitif
de la plus haute juridiction de leur pays164. La plupart prouve
plutôt l'exception de non épuisement des recours. Les
requérants y parviennent « en présentant des preuves
découlant de situations analogues ou en témoignant d'une
politique de l'État leur refusant ce recours »165 ;
ce qui fera l'objet d'un autre développement. La charge de la preuve
initiale à l'endroit du requérant a été admise dans
l'affaire Illssami c. Nigeria.
La Charge initiale de la preuve est réalisée
dans la plainte que le requérant adresse à la Commission.
Après réception de cette plainte, la Commission en adresse une
copie à l'État mis en cause. Dans son contre mémoire
celui-ci doit réfuter point par point chacune des allégations
161Com. 275/2003, Art. 19 c. Erythree
162Com. 293/2004- Zimbabwe Lawyers for Human
Rights & Institute for Human Rights and Development /République du
Zimbabwe, § 44.
163Com 221/98 Alfred B. Cudjoe c/ Ghana],et com
260/02 Bakweri Land Claims Committee / Cameroun 164Com 243/2001
Woman's Legal Aid Central, § 27; Com 49/90 Njoku c. Egypte,
§57.
165Com 299/2005 Anuak Justice Council c.
Ethiopie.
du plaignant en y apportant des réponses
spécifiques. Celui-ci doit démontrer que le plaignant avant de
saisir la Commission n'a pas préalablement épuisé les
recours internes. La preuve secondaire est consacrée dans la
jurisprudence Art 19 c. Érythrée.
Lors de l'examen de la communication la Commission, revient
sur les objections faites par l'État dans son contre mémoire. Si
l'État contredis la thèse de la partie demanderesse sur
l'épuisement des recours internes en démontrant que les recours
dans le système juridique national permettent de traiter la violation en
question, il revient alors au plaignant de démontrer que lesdits recours
ont été épuisés ou que l'exception à l'art
56(5) est applicable. Il y a donc une rotation de la charge de la preuve entre
les parties tout au long du procès.
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