B- La relative effectivité du règlement
international
La Commission a affirmé que la règle de
l'épuisement des recours internes se justifiait par le fait que
« les recours internes sont normalement plus rapides, moins
onéreux et plus efficaces que les recours internationaux. Ils peuvent
être plus efficaces au sens qu'un tribunal d'appel peut casser la
décision d'un tribunal inférieur alors que la décision
d'un organe international n'a pas
149 Com 269/2003, Interights (on behalf of Safia Yakobu
Husaini & Others) v Nigeria 18 rapport d'activité
150Com 224/98Media Rights Agenda c/ Nigeria, Com 225/98 -
Huri-Laws c/ Nigeria.
151 Olinga (A-D), « L'Afrique face à la globalisation
des techniques de protection des droits de l'homme », op cit, p.158.
cet effet, bien qu'elle engage la responsabilité
internationale de l'État concerné ».152
Ainsi comparativement au règlement national qui jouit de la force
obligatoire et des mécanismes coercitifs d'application, tel le recours
à la police judiciaire ou à la contrainte par corps, le
règlement international est relativement efficace. Ceci s'explique par
la nature de ses décisions (1) et l'absence d'une
autorité d'appel pour les réviser (2).
1 - La nature et la portée des règlements
internationaux
La juridiction internationale donne des décisions
obligatoires pour les parties. On parle de la force obligatoire des
décisions de juridictions internationales. Par contre, les quasis
juridictions à l'instar de la Commission, émettent des
décisions qui n'ont pas de force Obligatoire Elles ont l'autorité
de la chose constatée, contrairement à celle des juridictions qui
ont l'autorité de la chose jugée.
La typologie de ces décisions en est une illustration.
Si les juridictions rendent des arrêts et que les arbitres prononcent des
sentences, les quasi juridictions ne font elles, que des recommandations ce que
la doctrine a défini comme des résolutions d'un organe
international, dépourvu en principe de force obligatoire pour les
États parties153.
Cependant au-delà du plan théorique il n'ya pas
de grande différence entre les recommandations et les arrêts pris
dans le cadre des droits de l'homme. Comme l'écrit le professeur Karel
Vasak « il n'existe pas d'institution de droit de l'homme
exerçant une fonction de sanction »154. Le fait est
que la mise en oeuvre d'une recommandation comme celle d'un arrêt,
dépend encore de la bonne foi de l'État mis en cause. Il n'y a
pas de mesure de contrainte directe sur l'État, sinon celle touchant sa
réputation et son honorabilité. Aucune institution chargée
du respect des droits de l'homme ne dispose d'un pouvoir coercitif efficace.
2 - L'absence d'une juridiction d'appel
La décision d'un tribunal international est
irrévocable. Cette situation s'explique par l'absence d'une
véritable hiérarchie des tribunaux internationaux tels que
précédemment
152 Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie
153Guilien (R) et Jean Vincent, lexique des termes
juridiques (dir) Serge Guinchard et Gabriel Montagnier,
8ième éd, Dalloz, 1990, p.409.
154Vasak (K), « Les institutions internationales
de protection et de promotion des droits de l'homme », in Les
dimensions internationales des droits de l'homme, dir Karel Vasak UNESCO,
Paris, 1978, p. 244.
évoqués. Elle ne peut faire l'objet d'un autre
examen par un autre organe. Cette situation qui concerne le jugement au fond
est confortée par la règle contenue à l'article 56(7)
selon laquelle les communications sont recevables si elles n'ont fait l'objet
d'un examen devant une autre juridiction. Cet article, est commun aux
instruments régionaux de protection des droits de l'homme et traduit le
principe classique « electa una via, non datur recursus ad
alteram »155.
La question reste de savoir si dans un système comme
celui Africain, qui consacre l'attelage Commission-Cour, une affaire
examinée au fond par la commission, peut faire l'objet d'un appel devant
le Cour africaine ?
155Olinga (A.D) « Le contentieux camerounais
devant le CDH et la Commission Africaine de Banjul », op cit, note
n°7, p.116.
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
La règle de l'épuisement des voies de recours
internes comme préalable à la saisine d'une juridiction
internationale a été développée et appliquée
en droit international général avant de s'étendre dans les
conventions internationales de protection des droits de l'homme. En faisant
constamment référence à ces cadres dans sa jurisprudence,
la Commission est venue prendre acte de l'existence d'une définition
fonctionnelle ayant cours dans la pratique de l'arbitrage international, de la
protection diplomatique et du contentieux international des droits de l'homme.
A l'occasion, elle a réaffirmé la double fonction de la
règle. D'une part elle a accepté que la règle vise
à garantir le principe de la primauté des juridictions nationales
dans le règlement des différends entre États et individus.
Ce faisant elle consacrait de manière tacite mais fort innovante, le
principe de la souveraineté des États et celui de la
primauté de la Charte dans l'ordre juridique interne. D'autre part, elle
a admis que la règle permet de s'assurer que le recours aux instances
internationales reste un mode subsidiaire de règlement de ce type de
différends. Il s'agissait pour la Commission de reconnaître le
rôle de substitut et les contraintes du règlement international.
Néanmoins, si l'emprunt de la définition fonctionnelle permet
à la Commission de circonscrire la finalité de la règle,
et partant de dégager sa légitimité, elle ne lui sert que
trop peu à la mettre en oeuvre. Aussi lui est-il apparut essentiel
d'élaborer par elle-même une définition substantielle.
L'AFFIRMATION D'UNE DEFINITION
MATERIELLE DE LA REGLE.
SECONDE PARTIE :
Il est difficile à la seule lecture des articles 56 (5)
de la Charte et 97 du règlement intérieur, de se rendre compte de
la densité normative de la règle d'épuisement des recours
internes. En effet, « cette règle simple dans sa formulation
s'avère en réalité assez complexe à mettre en
oeuvre ».156L'un des mérites de la Commission
africaine a été d'apporter une définition
matérielle à cette règle. Dans cette oeuvre
d'interprétation, la Commission d'une manière
générale ne s'est pas éloignée de la
définition substantielle pourvue par les autres mécanismes de
protection des droits humains. Elle a par contre adopté des approches
différentes sur certains points. Il ressort de la pratique de la
règle que la Commission est guidée par un souci permanent de
rester fidèle au sens matériel qu'elle a progressivement
élaboré. En effet, « En interprétant et en
appliquant la Charte Africaine, la Commission se fonde sur les
précédents juridiques de plus en plus nombreux
créés par ses décisions prises sur presque quinze ans
environ ».157 L'affirmation d'une définition
substantielle de la règle est le signal d'une volonté
d'harmonisation de la jurisprudence. Cette définition matérielle
constitue donc le modus operandis de la Commission en matière
de recevabilité. Elle a été dégagée à
l'occasion de l'établissement de la preuve de l'épuisement des
recours internes et des motivations relatives à la décision sur
la recevabilité des communications. Il s'est agi pour la Commission,
d'une part, de souligner la nécessité et de requérir des
critères fondamentaux pour l'application du principe (Chapitre
I) et d'autre part, d'indiquer et de défendre sa
flexibilité dans l'application des exceptions (Chapitre
II)
156Pettiti (L E), Decaux (E), Imbert (P-H), La
convention européenne des droits de l'homme commentaire article par
article, op cit, p.591.
157Com 218/98, Civil Liberties Organization, Legal
Defense Centre, Legal Defense and Assistance Project / Nigeria
CHAPITRE I : L'EDICTION RESTRICTIVE
DES CRITÈRES D'APPLICATION DU PRINCIPE
En droit processuel, l'établissement de la preuve est
un élément central du procès. Elle en constitue le pilier,
car la preuve est un élément déterminant dans la
résolution du litige et l'application du droit. Dans la quête de
la preuve que les recours internes ont été dûment
épuisés, la jurisprudence de la Commission témoigne de
deux conditions qui encadrent l'application du principe. D'une part, il faut un
contrôle systématique de la preuve de l'épuisement des
recours internes. (Section I) D'autre part, il faut
obligatoirement que les recours à épuiser présentent un
certain nombre de caractère (Section II).
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