SECTION I- UNE PRISE EN COMPTE DE LA
SUBSIDIAIRITÉ DES RECOURS INTERNATIONAUX.
Les juridictions internationales ne ressemblent que
très peu aux juridictions internes. Un ensemble d'éléments
théoriques participent à différencier les deux ordres. Il
tient du caractère primaire de la justice internationale.
La justice internationale est primaire en ce que sa saisine
dépend largement du consentement des parties,
lesquelles déterminent également son rôle
(Paragraphe I) et sa place. (Paragraphe
II)
Paragraphe I- La reconnaissance du caractère
supplétif des recours internationaux.
L'instance judiciaire internationale est une instance
exceptionnelle. Normalement, le règlement de litiges internationaux se
fait par voie diplomatique pour ce qui est des différends
110Com 74/92 et 155/96, Social and Economic Rights
Action Center, Center for Economic and Social Rights c. Nigeria
entre États, et à travers les juridictions
nationales pour ce qui est des différends mettant au prise État
et particuliers.
Le juge international n'est saisi qu'en cas d'échec des
modes ordinaires de règlement susévoqués. La CPJI
considérait déjà qu' « il apparaît bien
désirable qu'un État ne procède pas à une
démarche aussi sérieuse que l'assignation d'un autre État
devant la Cour sans avoir auparavant, dans une mesure raisonnable
tâché d'établir clairement qu'il s'agit d'une
différence de vue qui ne peut être dissipée autrement
».111 La Commission a estimé que, la règle
de l'épuisement des recours internes évite que la Commission ne
devienne un tribunal de première instance, « une
fonction qui ne lui est pas dévolue »112.
Elle reconnaissait ainsi le caractère supplétif de la juridiction
internationale. L'idée selon laquelle la Commission est une instance
supplétive est traduite par le fait que sa mise en oeuvre n'est pas
obligatoire (A) et que son mandat de protection ne s'inscrit
que dans une logique d'harmonisation et de coordination
(B).
A - La Commission : une instance consensuelle
Dans l'ordre interne, la justice est obligatoire. Toute partie
à un litige est en droit de saisir les tribunaux compétents.
Cette action oblige la partie adverse à comparaître sauf
engagement légal contraire.
Autre est la situation devant la justice internationale. Le
recours à une procédure de type juridictionnel est
subordonné au consentement des parties (2). Par contre
il est avéré que la règle de l'épuisement des
recours internes autorise une juridiction internationale à statuer sur
un cas déjà solutionné par la plus haute juridiction d'un
État. La première question qui se pose est inéluctablement
celle de savoir si la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples
est une juridiction internationale. (1)
1 - De la juridictionalité de la
Commission.
La question de savoir si la Commission est une juridiction
internationale, ne manque pas de pertinence. En effet, dans sa décision
du 5 mars 1964 relative aux affaires linguistiques belges, la Commission
européenne s'était auto qualifiée de « juridiction
internationale ». Dans l'affaire Anuak Justice contre Ethiopie,
la Commission affirme clairement que « dans la mesure du
111Interprétation des arrêts n°7 et
8, usine de Chorzów arrêt n° 11 du 16
décembre 1927, CPJI, Série A, n°13. 112Com 74/92
et 155/96, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic
and Social Rights c. Nigeria
possible, un tribunal international y compris la
présente Commission ne devrait pas jouer le rôle d'une
première instance, rôle qui ne saurait s'arroger en aucune
circonstance ». Le « y compris » conduit à assimiler
l'organe de Banjul à un tribunal c'est-à-dire à un organe
de type juridictionnel. Cependant, définir la notion de juridiction
n'est pas une entreprise consensuelle, il est généralement
invoqué l'un ou l'autre des points que sont : le point de vue formel et
le point de vue matériel.
Au point de vue formel, il s'agit d'analyser à quels
signes se reconnaît une juridiction, question qui «
intéresse aussi bien le droit interne que le droit
international »113. Il a été
suggéré de considérer l'ensemble des règles de
forme et de procédure auquel l'organe est soumis. Cellesci ont trait
à la composition, à l'organisation et au fonctionnement de
l'organe selon qu'elles offrent aux plaideurs les garanties essentielles qu'ils
sont en droit d'attendre d'une bonne justice. Ainsi, un organe de
règlement a le statut de juridiction dés lors qu'il se soumet
à des règles dont l'objet est d'assurer le respect du
contradictoire c'est à dire l'égalité des parties. La
Commission africaine, à en croire les articles du chapitre III de la
Charte, obéis bien à cette exigence du contradictoire et de
l'égalité des parties.
Au point de vue matériel, une juridiction se
singularise par sa vocation à trancher des litiges avec force de
vérité légale. Ainsi et à tout le moins, l'organe
exerçant des fonctions juridictionnelles se distingue par le contenu de
sa décision. Celle-ci résulte d'un exercice qui consiste à
constater les faits d'une situation pour en apprécier la
légalité. C'est donc l'autorité de l'interprétation
légale qui fonde la juridiction.
Néanmoins il semble que, vouloir opposer les approches
formelle et matérielle c'est s'inscrire dans une démarche
déductive qui ne peut déboucher que sur une définition
purement synthétique. Chaque point de vue repose non sur une analyse de
la pratique juridictionnelle, mais sur ce que devrait être cette
pratique. En effet, une analyse inter subjective et inductive des juridictions
existantes révèle qu'elles possèdent simultanément
les caractères soulignés séparément par les deux
points de vue. A titre d'exemple, le fondement juridique du règlement
devant la Commission comme celui devant toute autre instance judicaire
internationale réside dans la volonté des parties en conflit. Les
deux procédés étant avant tout des modes juridictionnels
de règlement internationaux effectué sur la base du respect du
droit. C'est à ce
113 Cavaré (L), « notion de juridiction »
AFDI, 1956, pp. 502-503.
titre qu'il a été relevé qu'il «
parait impossible de prendre comme critère un certain tout, au moins
tel quel, un de ceux, formel ou matériel que le droit interne
reconnaît. Il faut dans chaque cas faire état de la structure de
l'organisation de la nature des décisions rendues par lui, de la
procédure suivie devant lui, du rôle qu'il joue, c'est la seule
considération de tout cet ensemble qui peut amener à prendre
partie » 114.
A la réalité, les caractères formels ou
matériels peuvent être plus ou moins marqués selon les
juridictions. Cette gradation des caractères permet de distinguer par
exemple, le règlement devant un organe quasi juridictionnel de celui
devant un organe purement juridictionnel. Le premier n'assure qu'une fonction
juridictionnelle alors que le second jouit de la nature juridictionnelle. En
effet, cette distinction tient essentiellement de l'absence des juges et du
caractère non obligatoire des décisions lesquelles conduisent
à qualifier la Commission de quasi juridiction. Toutefois, à
l'instar des juridictions internationales proprement dites, la saisine de cette
quasi juridiction est soumise au consentement des parties.
2 - De l'expression du consentement
Le principe de souveraineté fait obstacle à
l'établissement d'une justice internationale obligatoire115.
Le Droit international n'habilite pas un État à citer
unilatéralement un autre devant une juridiction internationale, sauf
consentement actuel ou passé du défendeur.
Dans le premier cas, l'acceptation de la juridiction
internationale peut intervenir avant la naissance du conflit, on parle de
consentement ante délictum. L'acceptation est soit
conventionnelle soit, unilatérale.
L'acceptation conventionnelle correspond à un
engagement spécial ou à un engagement général.
L'engagement spécial est pris dans le cadre d'un traité dont
l'objet principal n'est pas le règlement des différends. Il vise
les litiges qui peuvent naître de l'application ou de
l'interprétation de ce traité. Il s'agit en fait d'une clause
compromissoire. Cependant, l'engagement général est
stipulé dans un traité ayant pour objet principal le
règlement des différends. L'acceptation conventionnelle peut
être assortie de réserves116 .
114Ibidem.
115George Abi-Saab parle de justice consensuelle, voir
colloque de Lyon « La juridiction internationale permanente », Paris,
Pédone, p. 409.
116Affaire du plateau continental de la mer
Égée, Grèce c. Turquie, exception de compétence
nationale reconnue contre la Grèce, CIJ 19 décembre.
L'acceptation unilatérale correspond à la clause
d'option ou clause facultative de juridiction obligatoire comme c'est le cas de
l'article 36(2) du statut de la CIJ. Cette déclaration peut être
faite simplement ou sous condition de réciprocité pour une
durée déterminée. Il s'agit d'une clause facultative en ce
sens que nulle partie n'est tenue d'y souscrire, mais sa souscription a pour
conséquence de rendre obligatoire la juridiction de la CIJ. Elle permet
une saisine par voie de requête unilatérale en dehors de tout
compromis.
Dans le second cas, l'acceptation de la Juridiction intervient
après la naissance du différend. En principe, le consentement
post delictum résulte d'un accord entre parties au
différend appelé compromis, dans cette hypothèse, la
juridiction est saisie par la notification du compromis (art 40 statuts
CIJ).
Exceptionnellement, le consentement peut être
donné par l'État défendeur après la saisine
unilatérale de la juridiction par son adversaire. Cette acceptation
subséquente peut être explicite ou implicite. Elle illustre le
principe du forum prorogatum c'est-à-dire, l'extension de la
compétence normale de la Cour à une affaire qui d'après
les règles ordinaires n'en relève pas.
Ce tempérament constitue donc un
phénomène assez exceptionnel. L'indépendance des
différentes juridictions existantes les unes par rapport aux autres est
bien caractéristique de l'ordre juridique international. Un ordre
dominé par le consensualisme et le volontarisme.
Pour ce qui est de la Charte, la ratification par un
État de cet instrument vaut instrument vaut acceptation de la
compétence de la Commission pour les litiges relatifs à
l'interprétation et à la mise en oeuvre de la Charte.
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