B - L'affirmation de l'indivisibilité et de
l'interdépendance des droits de la Charte
Bien que la Commission ait affirmé avec force, «
qu'aucun État partie à la Charte Africaine ne devrait fuir
ses responsabilités en ayant recours aux limitations et aux clauses de
limitation de la Charte Africaine. Il a été
déclaré, suite aux développements dans d'autres
juridictions, que la Charte Africaine ne peut pas être utilisée
pour justifier des violations de certaines de ses parties. La Charte Africaine
doit être interprétée comme un tout et toutes les clauses
doivent se renforcer mutuellement. »101.
Cette position de la jurisprudence de la Commission reste originale
(2) en ce qu'elle déroge à la distinction
classique affirmer en droit international des droits de l'homme
(1).
1 - La distinction classique droits intangibles et droits
conditionnels.
En droit international des droits de l'homme il est classique
de constater que le principe de l'applicabilité directe tend à
être relativisé par la distinction102 droits
intangibles, droits conditionnels.
La notion de droits intangibles renvoie à l'ensemble
des droits conventionnels ne pouvant faire l'objet d'aucune restriction ou
dérogation par les États parties à la Charte. Ce sont des
droits individuels relatifs à l'intégrité physique et
morale de la personne et à sa liberté. La Convention
européenne en énonce cinq. Ce sont notamment, le droit à
la vie (art 2), le droit de ne pas être torturer ,ni de subir des
traitements inhumains ou dégradants (art 3) le droit de ne pas
être placé en esclavage ou en servitude et de ne pas être
astreint à un travail forcé (art 4), le droit à la non
rétroactivité pénale (art 7) et la règle non bis in
idem qui interdit aux juridictions d'un même État de poursuivre ou
de punir pénalement pour une même infraction quiconque a
déjà été acquitté ou condamné par un
jugement définitif. Le Pacte international sur les droits civils et
politiques reprend la liste des droits intangibles de la CEDH à
l'exception de la règle non bis in idem
101Com 218/98, Civil Liberties Organisation,
Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project / Nigeria 102
Il existe d'autres classifications des droits de l'homme notamment la
distinction droits classiques, droits sociaux proposé dans l'ordre
communautaire européen (voir, Human rights handbook publier par
le Ministère néerlandais des Affaires Étrangères,
(1995) p.4-7.) Citons aussi, la classification droit processuels/droits
substantiels. La classification la plus largement acceptée reste celle
qui distingue les droits de la première génération de ceux
de la seconde génération. On parle même, suivant le
développement historique des droits de l'homme, d'une troisième
génération des droits de l'homme.
et l'élargit à trois autres droits : le droit
à la reconnaissance de la personnaliste juridique (art. 16), le droit
à la liberté de penser, de conscience et de religion (art. 18) et
le droit de ne pas être emprisonné pour dette (art. 11).
Le régime juridique des droits conditionnels quant
à lui n'est pas homogène. Certains droits sont susceptibles de
dérogations et peuvent alors faire l'objet, à titre exceptionnel,
d'une non application provisoire mais non de restrictions103.
D'autres droits conditionnels sont susceptibles à la fois de
dérogations et de limitations.104 Les restrictions peuvent
aussi prendre la forme d'une clause générale d'ordre public.
Cette clause autorise l'État à limiter l'exercice du droit
proclamé tout en laissant subsister le droit: selon elle, l'exercice du
droit en cause peut faire l'objet des seules restrictions prévues par la
loi et lesquelles sont nécessaires à la protection de l'ordre
public dans une société démocratique.
Cette distinction qui contribue à la mise en ouvre des
droits de l'homme n'est pas défendable au regard de la jurisprudence de
la Commission, qui s'avère distinctive sur la question.
2 - L'originalité de la jurisprudence de la
Commission
Contrairement aux autres instruments internationaux des droits
de l'Homme, la Charte ne possède pas de clause générale de
dérogation, qui permet aux États, en cas de
situation d'urgence nationale, de suspendre l'application de certains droits
fondamentaux. Certes il existe dans la Charte africaine des clauses de
réserve associées à plusieurs articles, par lesquelles la
jouissance d'un droit ou d'une liberté peut être limitée
par les lois nationales. Par exemple, la liberté d'association est
protégée «sous réserve de se conformer aux
règles édictées par la loi » (art. 10).
Cependant, les clauses de réserve sont conformes au droit international
si : « Les raisons de la limitation se fondent sur un
intérêt public légitime et les inconvénients de la
limitation sont strictement proportionnels et absolument nécessaires
pour les avantages à obtenir. - la limitation n'a pas comme
conséquence le fait de rendre le droit lui-même illusoire.
»105.
103 Il en va ainsi du droit à un procès
équitable, du droit à un recours, du droit à
l'instruction, du droit à des élections libres
104 C'est spécialement le cas du droit à la
liberté et à la sureté.
105 Com 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96, Media Rights
Agenda, Constitutional Rights Project, Media Rights agenda and Constitutional
Rights Project c/ Nigeria
Toutefois la Commission a par ailleurs affirmé
l'indivisibilité et l'interdépendance des droits de
l'homme.106 En effet, la Commission a d'abord eu la tentation
d'écarter l'examen des violations des droits économiques et
sociaux107 au profit des droits civils et politiques. Cette
résistance a peu à peu cédé aux
réalités du continent africain rendant nécessaire la prise
en compte de tels droits.
Dans l'affaire Legal Resources Foundation c. Zambie,
la Commission a tenue à rappeler « qu'aucun État partie
à la Charte Africaine ne devrait fuir ses responsabilités en
ayant recours aux limitations et aux clauses de limitation de la Charte
Africaine. Il a été déclaré, suite aux
développements dans d'autres juridictions, que la Charte Africaine ne
peut pas être utilisée pour justifier des violations de certaines
de ses parties. La Charte Africaine doit être interprétée
comme un tout et toutes les clauses doivent se renforcer mutuellement. Le but
ou l'effet de toute limitation doit également faire l'objet d'un examen,
car la limitation d'un droit ne peut pas être utilisée pour
retirer des droits déjà acquis. Par conséquent, la
justification ne peut pas provenir de la seule volonté populaire et,
partant, elle ne peut pas être utilisée pour limiter les
responsabilités des États Parties en vertu de la Charte
Africaine »108. Dans la même affaire l'organe de
Banjul a réaffirmé avec la Déclaration et le Programme
d'Action de Vienne (1993) que «tous les droits humains sont
universels, inter reliés, interdépendants »... et, en tant
que tels, ils doivent être interprétés et appliqués
en gardant à l'esprit qu'ils se renforcent mutuellement ». En
2002, sur plus de 45 cas examinés par la Commission, 15 concernaient
différents droits économiques et sociaux garantis par la
Charte109. En admettant que le principe de l'épuisement des
recours internes permet en droit international de garantir la primauté
de la protection nationale des droits de l'homme, la Commission a reconnu le
caractère subsidiarité du mécanisme qu'elle constitue.
106Guide pour comprendre et utiliser la Cour africaine
des droits de l'homme et des peuples, op cit, p.37. 107Art. 15-18
Charte africaine des droits de l'homme.
108Com 211/98, Legal Resources Foundation c.
Zambie § 70.
109 Guide, op cit, p.37.
CHAPITRE II : LA SAUVEGARDE DU PRINCIPE DE
LA SUBSIDIARITE DE LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS DE
L'HOMME.
Pour des raisons historiques et juridiques, les États
sont, sinon exclusivement, du moins principalement les acteurs du contentieux
international. En effet, le contentieux international relève du droit
international. Or, pendant longtemps, les États ont été
considérés comme les seuls sujets du droit international. Par
conséquent, le droit du contentieux international est d'abord un droit
interétatique et le règlement international des conflits
internationaux n'est qu'un succédané du règlement
national. Pour la Commission, « la demande d'épuisement des
recours internes évite que la Commission ne devienne un tribunal de
première instance, une fonction qui ne lui est pas dévolue et
pour laquelle elle ne dispose pas des moyens adéquats
»110. La Commission prend ainsi en compte le principe de la
subsidiarité des juridictions internationales (Section
I) ainsi que les contraintes spécifiques à ce mode de
règlement des différends. (Section II).
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