Paragraphe II- L'obligation d'appliquer la Charte dans
l'ordre interne
La norme internationale de protection des droits de l'homme
s'avère être la plus efficace car elle prévaut toujours sur
les autres. Les instruments internationaux des droits de l'homme tendent en
effet à garantir au nom des valeurs communes et supra étatiques,
la protection des droits fondamentaux. La convention internationale relative
aux droits de l'homme n'est pas soumise au principe classique de
réciprocité et au caractère relatif et contingent du
traité en droit international. Les obligations conventionnelles en
matière des droits de l'homme ne s'imposent dont pas à titre de
contrepartie des droits consentis. La Cour européenne l'aura
souligné en 1978 dans l'affaire Irlande contre Royaume Unis qu'
« à la différence des traités internationaux de
type classique, la convention déborde le cadre de la simple
réciprocité entre État contractant ». Cette
particularité normative se traduit dans l'ordre interne par le principe
de l'applicabilité directe des droits de la Charte dans l'ordre
interne (A) même si celle-ci semble
tempérée par la distinction droits intangibles et droits
conditionnels. (B)
A - Le principe de l'applicabilité directe
Dans la communication Legal Resources Foundation c.
Zambie, la Commission a invoqué le commentaire
général no. 9 (XIX/1998) du Comité des Nations Unies sur
les Droits
99 Art 29 Convention de Vienne, droit des traités, art 30
et 31 projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat, Commission du
droit international
Économiques et Sociaux au sujet du devoir de donner
effet au Pacte dans la législation nationale. Il avait été
retenue que « les principes internationaux des droits de l'homme
légalement obligatoires devraient s'appliquer directement et
immédiatement dans le système juridique interne de chaque
État partie ; et ainsi permettre aux individus de faire valoir leurs
droits devant les Cours et tribunaux nationaux. » A la
différence des autres instruments internationaux le traité
international relatif aux droits humains énonce des droits erga
omnes. Il en découle qu'il jouit de l'effet direct (1)
et fait du juge interne le juge de droit commun en matière des
droits de l'homme. (2)
1 - La signification du principe
C'est la faculté qu'a l'individu d'invoquer directement
devant les juridictions internes les droits garantis par la Charte.
L'applicabilité directe suppose que les droits de la Charte n'ont
pas besoin pour être applicables qu'une disposition spéciale
les introduise dans l'ordre interne. Ce régime ne vaut que sous deux
conditions. La première est liée à la réception de
la règle conventionnelle de protection des droits de l'homme tel que
précédemment développée. En effet, la
prééminence de la règle internationale de protection des
droits humains ne signifie nullement que celle-ci va se substituer à
la règle interne. Les règles matérielles que la Charte
édicte n'ont pas pour visée de supplanter le droit interne, mais
au contraire de le compléter. Il ne s'agit donc pas pour les
États parties d'introduire dans leurs ordre interne des dispositions
identiques sur les droits humains, il s'agit simplement, par le fait de la
Charte, d'un minimum de protection définit de façon uniforme
pour tous les États parties, lequel harmonise les ordres juridiques
nationaux en fonction du standard de la Charte. Quant à la seconde, elle
a trait à la qualité de la règle internationale. En
effet, « un accord international ne peut comme tel
créer directement des droits et obligations pour les particuliers
à moins que les parties à l'accord aient exprimé leur
consentement à adopter des règles déterminées
créant des droits et des obligations pour les individus et
susceptibles d'être appliquées par des tribunaux internes
»100. L'effet direct de la norme internationale est une
exception qui tient de la volonté des parties contractante. Mais
cette exception est le caractère même des conventions des droits
de l'homme. La Charte africaine décline en son art1er que «
les États membres de l'organisation de l'unité
100Affaire de la compétence des tribunaux
de Dantzig, CPJI Avis du 3 mars 1928, Série B n°15 p17.
africaine (...) parties à la présente charte,
reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans
cette charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou
autre pour les appliquer ».
2 - Les effets du principe
L'applicabilité directe de la Charte revient in
fine au juge national. C'est dire que, l'effet direct a pour
conséquence principale de conférer au justiciable un titre
à agir et au juge national un titre à statuer.
Pour le juge, l'effet direct de la charte fait de lui, le juge
des droits communs de la charte. C'est à lui qu'il appartient en premier
d'assurer la sanction des droits garantis par la Charte. Il s'agit d'une
question de « conventionalité », et en cas de conflit entre la
Charte et une loi, le juge décide l'application de la Charte en
écartant l'application de la loi. La loi, en tant que telle, n'est pas
annulée, elle n'est pas déclarée incompatible à la
Charte, les effets de sa non application ne se produisent qu'inter
partes, et la loi continue à être en vigueur à
caractère général, pour toutes les autres personnes
juridiques et dans toutes les autres affaires, devant tout autre juge.
C'est donc le juge judiciaire qui est le principal gardien de
la « conventionalité » des lois alors que le juge
constitutionnel, en tant que juge à attribution spéciale, reste
le gardien de la constitutionnalité des lois.
Pour le plaideur, l'effet direct de la Charte lui permet une
double option à l'occasion d'une affaire judiciaire. Ainsi, s'il
considère qu'il y a contradiction entre une loi interne et la Charte,
deux voies de procédure lui sont accessibles. Il peut invoquer l'«
inconventionalité » de la loi c'est-à-dire la
contrariété directe entre la loi et la Charte, ou
l'inconstitutionnalité de la loi c'est-à-dire la
contrariété entre la loi et la Constitution. L' «
inconventionnalité » de la loi constitue une question
préalable, de la compétence du juge judiciaire où elle a
été soulevée, et qui doit statuer avant de régler
le fond de l'affaire. Par contre, l'inconstitutionnalité
représente une question préjudicielle, qui relève de la
compétence du juge constitutionnel, sous la forme d'une exception
d'inconstitutionnalité, le juge judiciaire étant obligé de
reporter l'affaire et de renvoyer l'exception d'inconstitutionnalité
devant la Cour constitutionnelle, en réinscrivant l'affaire sur le
rôle après la décision constitutionnelle.
Toutefois, la portée réelle de la norme
internationale de protection des droits de l'homme dans l'ordre interne, tient
aussi aux modalités qui assurent sa mise en oeuvre. La Commission
à ce propos souligner l'indivisibilité et
l'interdépendance des droits de la Charte.
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