La condition de l'épuisement des voies de recours internes devant la Commission africaine des Droits de l'Homme et des peuples( Télécharger le fichier original )par Josep Martial ZANGA Université Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies en droit international et communautaire 2008 |
B - DÉLIMITATION DU SUJETLa question de l'épuisement des voies de recours internes est un aspect d'une problématique encore plus vaste, à savoir celle des règles de procédure devant les instances juridictionnelles internationales. Aussi pour une meilleure analyse, il serait utile de l'appréhender au regard de la pratique en cours et à partir d'un champ scientifique prédéfini. Il s'agit en effet de délimiter cette étude dans le temps, l'espace et la matière au sens scientifique du terme. Pour ce qui est de la délimitation dans le temps cette étude analyse la jurisprudence et les déclarations de la Commission à partir de l'année 1989 date à laquelle elle est saisie des premières communications à la sixième session ordinaire d'Octobre 1989 jusqu'à la date de réalisation de la présente étude. Il importe de préciser que la Commission africaine instituée par l'article 30 de la Charte africaine, est inaugurée à Addis-Abeba le 02 novembre 1987, quelques mois après que ses premiers membres soient élus par la 23e conférence des Chefs d'État de l'OUA tenue en juillet 1987.Toutefois, ce n'est qu'après l'inauguration de son Siège à Banjul que la Commission africaine commence effectivement son activité c'est-à-dire, le 12 juin 1989. En ce qui concerne la délimitation spatiale, le présent travail s'effectuera dans le cadre régional africain. Le système régional africain de protection des droits de l'homme, coexiste avec d'autres systèmes régionaux notamment les systèmes européen et interaméricain des droits de l'homme. Ces deux derniers systèmes ne seront convoqués dans la présente étude qu'à titre comparatif, tant il est vrai qu'ils auront et continuent d'inspirer le système africain. Sur le plan matériel, l'étude est intrinsèquement une étude de la procédure devant une instance internationale. Deux disciplines de droit international public serviront ainsi de cadre scientifique. La première est le droit international des droits de l'homme dont le but est de comprendre la théorie et la mise en ouvre des droits de l'homme au niveau universel et régional ainsi que les interactions entre les différents systèmes de protection des droits de l'homme. La seconde est le droit du contentieux international entendu comme l'ensemble des normes de fonds et de procédures, droit qui étudie les questions soulevées par la justice internationale et gouvernent le règlement juridictionnel de différends opposant des sujets de droit international. Ce champ matériel a entre autres caractéristiques la rigueur de sa terminologie et la précision de ses termes. Il est indispensable de restituer un sens et un contenu précis aux concepts et mots clés qui forment l'énoncé cette réflexion. B - DÉFINITION DES TERMES OU CONCEPTS Pour mieux appréhender le sujet, il importe de définir certains de ces concepts notamment les termes « condition » et les expressions « voies de recours internes » « épuisement des voies de recours internes», Littéralement, une « condition » est, en termes de synonymie, une exigence, une obligation, c'est-à-dire un pré requis auquel il faut satisfaire au risque de ne pouvoir aller plus loin dans la procédure. Bien plus, l'édition de 2004 du Petit Larousse, définit le mot « condition » comme étant la « situation, l'état général »21. Le terme « condition » aurait donc un double sens, il traduit soit une règle sine qua non, soit le sort d'une personne ou d'une chose matérielle ou théorique. En droit, le mot est employé pour indiquer les circonstances juridiques ou matérielles, déterminantes et nécessaires, préalables à l'exercice d'un droit. Cette définition ne rend pas compte de la dualité sémantique du mot. Aussi, lui adjoint-on souvent le qualificatif « juridique » et, la « condition juridique » renvoie à l'ensemble des règles relatives à certaines catégories de personnes ou de choses. Elle englobe à la fois l'état, le statut et la qualité de la personne ou de la chose. Dans ce sens elle est analogue à la situation juridique, entendue comme ensemble des conséquences juridiques qui découlent de la pratique et dont la somme caractérise la condition de la règle. Perçue comme telle, la condition de l'épuisement des voies de recours internes renvoie autant à la règle en tant que pré requis de principe pour la recevabilité devant la Commission africaine, qu'à la situation, à l'état général de cette règle au sens conceptuel. La condition de l'épuisement des voies de recours internes est donc la définition de la règle en raison de la somme des interprétations tirées de la pratique du commissaire africain des droits de l'homme. C'est cette définition que notre étude retiendra. 21Petit Larousse, édition 2004. S'agissant de l'expression « voies de recours internes», il importe préalablement de définir ce que l'on entend généralement par « recours ». En effet ce terme est défini par le Petit Larousse 200422, comme étant l'action de recourir, du moins de courir à nouveau. Plus loin, le dictionnaire spécifie qu'en droit le mot se réfère à la procédure permettant d'obtenir un nouvel examen d'une décision judiciaire. Le recours serait donc une procédure dont la finalité est l'obtention d'une réexamination de la requête. Aux fins de la présente étude, cette définition présente un défaut majeur ; elle tend à assimiler le recours à l'acte par lequel il est mis en oeuvre (appel, opposition, tierce opposition etc.) et fait ainsi abstraction de ce que le recours est constitutif d'un droit au sens le plus complet du terme. La signification que donne le Professeur Gerald Cornu, constitue donc une étape intéressante vers une définition plus adéquate : « tout droit de critique ouvert contre un acte, quelque soit la nature de cet acte (décision administrative ou juridictionnelle etc.), et la qualité de l'autorité de recours (juridiction ou autorité administrative etc.) »23. En liant ainsi « recours » et « droit » il inscrit le terme au répertoire des voies de droit. La jonction entre le mot « recours » et l'expression « voies de recours » est ainsi faite, puisque les voies de droit en question, s'entendent des moyens offerts par la loi aux citoyens pour faire reconnaître et respecter leurs droits, ou défendre leurs intérêts, c'est-à-dire simplement des voies de recours. Le mot « recours » comme le souligne d'ailleurs le Professeur Gerald Cornu, est synonyme de « voies de recours », même s'il est plus exact de dire qu'il est synonyme « d'une voie de recours. » A la vérité, si « une voie de recours » est un moyen ou une procédure permettant de reconsidérer une décision prise par une autorité public ou privée, administrative ou juridictionnelle, les « voies de recours », comme le précise l'auteur précité, « englobe (...) toutes les voies de recours ou l'ensemble de ses voies, à l'exception du pourvoi en cassation. ». L'auteur entend par voies de recours « les moyens juridictionnels, tendant à la fois à la reformation, à la rétraction ou la cassation d'une décision de justice. »24 Il s'agit en effet, de « l'ensemble des procédures destinées à permettre un nouvel examen de la cause. Soit que la procédure ait été irrégulièrement suivie, soit que le juge n'ait pas tenu compte d'un élément de fait présenté par la partie, soit que le jugement n'ait pas été motivé 22Ibidem 23Cornu (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitan, 4e Edition, PUF, Quadrige, mai 2002, p.743-745. 24Ibid, p. 935. ou ait été insuffisamment motivé, soit qu'il contienne une erreur de droit ».25Appréhender ainsi, l'expression « voies de recours » est nécessairement une notion qui s'applique à un ordre juridique spécifique pris dans sa globalité. S'il est vrai qu'elle peut renvoyer à l'ordre juridique international, il reste tout aussi vrai que l'expression est fréquemment utilisée par référence à un ordre interne ; d'où l'adjectif interne qu'on lui adjoint. Les « voies de recours internes » sont donc, l'ensemble des moyens juridictionnels prévues par la législation d'un État, en vue de permettre un nouvel examen de la cause. Cette définition est celle qui est retenue à l'occasion de cette étude26. Cette définition permet de comprendre l'expression, « épuisement des voies de recours internes ». En effet cette expression traduit une règle de droit international commune au contentieux des réclamations internationales. Si épuiser est dans ce contexte synonyme d'achever, de terminer et de finir, l'épuisement est forcement, soit le processus qui traduit l'action par laquelle l'on est entrain de finir, soit l'état de ce qui est terminé. L'épuisement des voies de recours internes ne peut alors signifier que l'utilisation de toutes les procédures 25 Braudo (S), Dictionnaire du droit privé, disponible sur le site www.dictionnairejuridique.com 26 Mais alors, s'il est vrai qu'aucune analyse approfondie ne peut se faire sur la question de l'épuisement des voies de recours internes, en faisant l'impasse sur la typologie des recours à épuiser, il importe de dire que les auteurs s'accordent difficilement sur les critères de distinction et la pertinence de l'action en recours. Tel est en tout cas ce qui ressort au regard des développements de Gérard Cornu, qui en ne retenant que les recours juridictionnels, qui plus est à l'exception du pourvoi, s'écarte de la position défendue par Messieurs Valère Eteka Yemet et Fatsah Ouguergouz.Pour le premier, le terme « recours » dans le contexte de la Charte africaine « désigne toute démarche auprès d'une autorité compétente : il renferme donc aussi bien les recours administratifs que juridictionnels, ordinaires qu'extraordinaires.» (Voir, Eteka Yemet (V), La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Étude comparative, Harmattan, Paris, 1996, p.308.) Il est d'avis que ce n'est pas la nature du différend qui détermine les types de recours à épuiser, mais plutôt la nature de la revendication dont le recours fait l'objet. Ainsi, il est tenu de respecter uniquement « les recours susceptibles d'apporter une solution à la revendication d'un droit et non ceux qui ont pour objet l'obtention d'une faveur. »( Eteka Yemet, p308). M. Ouguergouz est du même avis quand il affirme « l'épuisement des recours internes doit être apprécié sans qu'il y ait lieu de distinguer entre recours ordinaires et recours extraordinaires, recours juridictionnels et recours administratifs ; la seule exigence en la matière, est que le plaideur ait exploité tous les moyens et voies juridiques adéquates et `efficaces' mis à sa disposition par le système juridictionnel et procédural de l'Etat mis en cause »( Fatsah Ouguergouz, La Charte la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples: Une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, PUF, 1993, p.325.) . Cette controverse marquée par le silence des textes nous autorise à convoquer la « jurisprudence de la Commission africaine » comme arbitre et c'est ce qui se fera dans le cadre de cette étude. Parallèlement la traduction anglaise parle de « locals remedies ». La notion anglaise de « remedies » couvre deux aspects. Le premier est procédural et le second substantiel. Au sens procédural les « remedies » renvoient aux différentes voies de droits offertes à la victime de la violation d'un droit. Ils s'assimilent au droit à un recours et englobe ainsi le recours en appel, le recours en opposition, le recours en cassation etc. Au sens substantiel les « remedies » se rapportent à l'issue de la procédure et la solution accordée au plaignant. Dans ce sens ils sont synonymes de droit à la réparation et correspondent au recours en réparation, recours en annulation. La réparation est l'essence même du mot recours elle traduit les diverses voies par lesquelles l'État, auteur d'une violation du droit international redresse la violation alléguée. La réparation couvre aussi bien l'aspect procédural que substantif d'un recours. disponibles dans un pays pour protéger ses droits. Il s'agit de mettre en oeuvre et ce de manière exhaustive tous les moyens juridictionnels prévus par la législation nationale. Les recours sont réputés épuiser lorsque la cause a fait l'objet d'un jugement définitif, c'est-à-dire obtenu valeur de la chose jugée. En effet, lorsque après un jugement en première instance, une des parties exerce son droit d'appel, la cause reste "pendante" devant la Cour d'appel et l' autorité qui s'attache au jugement encore appelée " force de chose jugée ", est conservée jusqu'à ce que la juridiction du second degré ait statué. Si le jugement de première instance est infirmé, ou s'il est seulement réformé, l'autorité de la chose jugée s'attache alors à la nouvelle décision. Si le jugement de première instance est confirmé, l'autorité de la chose jugée continue à s'appliquer. Après sa signification l'arrêt de la Cour d'appel, devient exécutoire. Ce principe qui pose le principe hiérarchique réglant les rapports des tribunaux, interdit, sauf s'il s'agit d'une juridiction supérieure saisie d'un recours légal (opposition, appel ou pourvoi en cassation), de revenir sur les dispositions d'une décision précédente devenue définitive. Il impose, sous certaines conditions, au second tribunal devant lequel l'exception est soulevée, de tenir compte du contenu de la ou des décisions définitives déjà prononcées par un autre tribunal d'un même Ordre (juridictions civiles entre elles, juridictions pénales entre elles). L'autorité de la chose jugée agit à l'égard des parties, dans son double effet positif et négatif : elle constitue une présomption de vérité d'une part et d'irrecevabilité de la nouvelle demande d'autre part à la condition, d'une triple identité de parties, d'objet et de cause. Ces conditions sont cumulatives. L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions définitives, à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et ce qui a été tranché dans le jugement ou l' arrêt27, et encore à la condition que la juridiction ait jugé au fond et non sur un incident de procédure. Cette irrecevabilité devant les juridictions de l'ordre interne, justifie que de manière exceptionnelle et suivant les prescriptions conventionnelles, ladite demande fasse l'objet d'un examen au fond devant une instance internationale. Il faut retenir qu'aux fins de cette étude, l'épuisement des voies de recours internes s'entend de la règle de droit international, suivant laquelle la réclamation internationale ne peut être déclarée recevable, qu'à la triple condition qu'elle ait fait l'objet d'une procédure devant les juridictions internes, que toutes les degrés de juridiction de l'ordre juridictionnelle concerné aient été saisies de la procédure, et qu'a l'issue de cette procédure, il y'ait eu un jugement définitif. 272e Civ., 10 juillet 2003, Bull., II, n°237, p. 197, 1ère CIV. ; arrêt du 22 novembre 2005, BICC 1er mars 2006 n°358 ; 17 janvier 2006. BICC n°638 du 15 avril 2006 |
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