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La condition de l'épuisement des voies de recours internes devant la Commission africaine des Droits de l'Homme et des peuples

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par Josep Martial ZANGA
Université Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies en droit international et communautaire 2008
  

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DEDICACES

A mes parents,

NIEME ZANGA Denis,

MINX° Germaine.

Trouvez ici C~aurore des moissons,

De vos sacrifices ensemencés.

'line gratitude, pour votre soCCicitu de 'line béatitu de de vos expectations,

'lin encouragement pour votre ministére.

REMERCIEMENTS

R&diger la page de remerciements est toujours un exercice difficile. Tellement de rencontres et de personnes contribuent en effet a faire de nous ce que nous sommes.

Ma profonde gratitude s'exprime:

Au Professeur Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU' qui m'a propos& ce sujet et a accept& de diriger cette recherche malgr& ses plurielles occupations. Pour sa sollicitude' sa rigueur' la qualit& de ses contributions et son sens du magister.

Au Professeur Bernard Raymond GUIMDO' qui m'a &veill& a la recherche et n'a pas m&nag& son conseil a mon endroit.

Au Professeur Alain Didier OLINGA' pour m'avoir permis de puiser dans sa riche exp&rience en Droit International des Droits de l'Homme.

A l'ensemble de mes Enseignants de DEA Droit International Public et Communautaire.

A mon pere NLEME 2ANGA Denis et ma mere NLEME Germaine n&e MINKO' qui m'ont initi& depuis ma tendre enfance a la religion du travail et au culte de l'excellence' qui ont cru en moi et l'ont manifest& en assurant chaque ann&e mes frais de scolarit& et les charges connexes.

Au Docteur Doreen BRADY WEST' a Maitre DISSAKE Dorette' au Colonel OYONGO Francois' a Mme MOFIRE Lucie et M. NJOYA Israel' qui sont depuis de longues ann&es mon soutien et ne cessent de sacrifier a l'autel de ma r&ussite.

A Roger Emmanuel LINGOM' St&phan BANGOUB' Patrick NDJOMNNANG' Willy ENDAMEYO' Sandrine NJEUNGA' Jeanne Mercise OBOUNOU AMOUGOU' amis de destin&e' sans vous rien de ce qui est aujourd'hui ne serait possible.

A Mme BOMBANG Marie qui a accept& de relire le manuscrit.

A tous mes camarades de promotion de DEA Droit International Public et Communautaire' particulierement' Carole NOUA2I et Ghislain BOMBELA MOSOUA pour les &changes enrichissants.

Je remercie Dieu' le Pere des lumieres' de qui je tiens l'etre' le mouvement et l'&tincelle de l'&rudition' pour la richesse de sa faveur' l'huile de sa grace' constante et incontestable dans mes existences.

AVERTISSEMENT

L'Université de Yaoundé II n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le présent mémoire. Ces opinions devront être considérées comme propres à leur auteur.

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

AFDI : Annuaire Français de Droit International

AHRLJ : African Human Rights Law Journal Art : Article

CEDA : Centre d'Edition et de Diffusion Africaines

CEDH : Cour Européenne des droits de l'Homme

CEDIC : Centre d'Études et de Recherche en Droit International et Communautaire

CIRDI : Centre international de règlement de différends relatifs aux investissements CIJ : Cour Internationale de Justice

CPJI : Cour Permanente de Justice Internationale

CDH : Comite des Droits de l'Homme

Charte : Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Com : Communication

Commission : Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Conf : Confère

Cour africaine : Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.

DIP : Droit international public

DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

EJLS : European Journal of Legal Studies

FIDH : Fédération Internationale des Droits de l'Homme

JCL : Journal of Criminal Law

IRIC : Institut des Relations Internationales du Cameroun.

LGDJ : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

OACI : Organisation de l'Aviation Civile Internationale

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

OUA : Organisation de l'Unité Africaine

PIRDCP : Pacte International relatif au Droits Civils et Politiques PIRDSE : Pacte International relatif au Droits Sociaux et Économiques

PUF : Presse Universitaire Française.

RADDH : Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme RASJ : Revue africaine des sciences juridiques

RCEI : Revue camerounaise d'études internationales RIEJ : Revue Interdisciplinaire d'Études Juridiques. RGDIP : Revue Générale de Droit International Public

RJ PIC : Revue Juridique et Politique Indépendance et Coopération

RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme
R.UDH : Revue Universelle des Droits de l'Homme.

TANU : Tribunal Administratif de Nations Unies

UA : Union Africaine

UIDH : Union Interafricaine de Droits de l'Homme

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour la Science et la Culture

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : LA REAFFIRMATION D'UNE DEFINITION 21

FONCTIONNELLE DE LA REGLE

CHAPITRE I : LA GARANTIE DU PRINCIPE DE LA PRIMAUTÉ DE LA 23

PROTECTION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

Section 1 : Une consécration tacite du principe de la souveraineté des États 23

Section 2 : Une présomption et une incitation indirecte à l'effectivité des droits de 39 l'homme dans l'ordre juridique interne

CHAPITRE II : LA SAUVEGARDE DU PRINCIPE DE LA SUBSUSDIARITÉ 51 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

Section 1 : Une prise en compte de la subsidiarité des recours internationaux 51

Section 2 : Une prise en compte des contraintes du règlement international 64

75 77 77 85

100

101

SECONDE PARTIE : L'AFFIRMATION D'UNE DEFINITION MATERIELLE DE LA REGLE

CHAPITRE I : L'EDICTION RESTRICTIVE DES CRITERES D'APPLICATION DU PRINCIPE

Section 1 : le critère formel : le contrôle systématique de l'épuisement des voies de recours interne

Section 2 : Les critères matériels : la disponibilité, la satisfaction et l'effectivité des recours à épuiser

CHAPITRE II : L'ENONCIATION NON LIMITATIVE DES CIRCONSTANCES D'EXCEPTION

Section 1 : Les exceptions relatives aux circonstances exceptionnelles d'ordre politique et juridique

Section 2 : Les exceptions relatives aux circonstances personnelles du requérant 113

CONCLUSION GENERALE 122

BIBLIOGRAPHIE 126

ANNEXE 145

TABLE DES MATIERES 187

RESUME

Depuis plus de deux décennies, la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples oeuvre à assurer aux populations africaines, l'effectivité des droits que leur confère la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans un contexte marqué par l'instabilité de la règle de droit, la précarité des institutions judiciaires et les ingérences politiques dans la pratique juridictionnelle, la règle de l'épuisement des recours internes, consacrée par l'art. 56(5) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, semble être un obstacle insurmontable pour les victimes qui réclament justice devant l'organe de Banjul.

La présente étude relève les difficultés de la pratique de la justice en Afrique et, le rôle de coordination et de conciliation, que la Commission assure dans ce domaine. En effet, pour éviter le déni de justice, la Commission a opté pour une interprétation téléologique et une application in situ de la règle.

Entre nécessité et flexibilité, la Commission a élaboré à travers sa riche jurisprudence une véritable définition fonctionnelle et matérielle qui guide désormais sa pratique de la règle. En dépit de quelques novations, cette définition s'harmonise parfaitement avec l'ensemble de la pratique de la règle devant les mécanismes universels ou régionaux des droits de l'homme. Elle rappelle aux justiciables demandeurs, qu'il revient d'abord aux États d'assurer la réalisation et le redressement des violations des droits humains. Il n'est meilleure protection en matière des droits de l'homme que celle assurée par l'État. Cette position est respectueuse de la structure de l'ordre juridique international, de son droit, ainsi que des récents développements qui y sont advenus. En effet, aux États ainsi mis en confiance, l'organe conventionnel souligne de manière péremptoire l'obligation qui leur incombe de garantir, l'efficacité des recours, aux risques de voir leur responsabilité internationale engagée.

Mots clés: Règle, recours internes, recevabilité, droits de l'homme, procédures, réparation, subsidiarité, exception, contrôle, effectivité, efficacité, règlement, justice.

ABSTRACT

Since more than two decades, the African's human and peoples rights works to ensure that African population enjoys effectively the right acknowledged to them by the African Charter of human and people's rights. In a context where the rule of law is unstable, where judicial institutions are substandard and under the influence of politics, the local remedies exhaustion rule, provided by art 56(5) of the Charter, seems to be a hindrance to victims who claim justice to the Banjul organ.

The current survey highlights the difficulties in the practice of justice in Africa and the role of coordination and conciliation that the Commission is playing in this domain. In fact, to avoid a denied of justice the Commission has opted to a finalistic interpretation and an application in situ of the rule.

Between necessity and flexibility, the Commission has constructed trough its rich jurisprudence a genuine functional and substantive definition that guides its practice of the rule. Despite some innovations this definition well harmonizes with others universal and regional institutions practice of the rule. This definition reminds the requester that it is primary to States to supplied remedies to human's rights violations. The best protection as far as human rights are concerns is of States. Such a position line up with the international juridical order, its law and the recent developments that had occurred in this realm. As a matter of fact, to the now confident States, the conventional organ firmly updates their duty to guaranty the efficiency of the local remedies, on plausibly to see their international liability undertaken.

Key words: Rule, local remedies, admissibility, human rights, procedure, remedies, subsidiarity, exception, control, effectiveness, efficiency, settlement, justice.

INTRODUCTION GENERALE

La place de l'individu en droit international fait l'objet d'un débat récurrent et la question reste d'actualité. Ce qui par contre ne fait aucun doute, c'est que sa prise en compte par ce droit a été facteur d'évolution voire de révolution. La raison est que son avènement dans la société internationale s'est fait par le vecteur d'une notion très féconde, qui s'est imposée à l'ensemble des domaines des relations internationales. Les droits de l'homme puisqu'il s'agit d'eux, sont nés sur le champ des idéologies, et renvoient à des idéaux ayant donné lieu à des combats politiques. Ils peuvent se définir comme étant à la fois, « des droits individuels, naturels, primitifs, absolus, primordiaux ou personnels. Ce sont des facultés, des prérogatives morales que la nature confère à l'homme en tant qu'être intelligen1. Cette conception ancrée dans le jus naturalisme, avait déjà fait l'objet d'une théorisation par les théologiens espagnols de l'école de Salamanque. Francesco de Vitoria (1483-1546) à travers les principes de droit naturel qu'il a formulé et son oeuvre contre la colonisation des Indiens par les Portugais et les Espagnols, avait démontré que les droits naturels de l'individu sont opposables aux États. Une telle approche qui plaçait déjà l'individu comme potentiel sujet de droit international, s'est trouvée minorée par la doctrine souverainiste dominante. Quatre siècles plus tard, notamment en 1948, sans pour autant renouer avec le jus naturalisme, les droits de l'homme deviennent des normes au sens le plus juridique du terme. Entendus comme l'«ensemble des droits et libertés fondamentales inhérents à la dignité de la personne humaine et qui concernent tous les êtres humains »,2 les droits de l'homme vont rentrer dans le dispositif normatif, c'est-à-dire intégrer le droit positif. Cette mutation fondamentale consistait à reconnaître aux individus de véritables droits subjectifs et à considérer comme fautive la violation de ses droits par l'État. Elle constitue donc une évolution du droit international jusqu'alors strictement interétatique.

L'autre révolution résulte de la prise en charge institutionnelle dont les droits de l'homme ont fait l'objet. Cette avancée est d'autant plus significative qu'elle s'opère dans le domaine de la justice internationale où les États sont exclusivement, sinon principalement les justiciables.

1Hersch (J),« Le droit d'être un Homme »Anthologie mondiale de la liberté, JCL, UNESCO, 1990, p.129. 2Salmon (J), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p.396-397.

Au sens du droit international classique, les différends entre personnes privés et l'État sont des différends intra-étatiques, donc en principe irrecevables devant les juridictions internationales. Le principe est infléchi lorsque la personne privée en question est le national d'un autre État ; alors, ce type de différend peut provoquer la naissance d'un différend interétatique, par le jeu de la protection diplomatique, au demeurant, institution coutumière très ancienne du droit international.3 Cette pratique introduisait déjà pour les individus, la possibilité d'un accès indirect à la justice internationale. Toutefois, ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale, dans les hypothèses du règlement des litiges économiques internationaux, et du contentieux international des droits de l'homme, que l'individu accède de façon immédiate à la juridiction internationale.

La reconnaissance des droits de l'homme proclamée au plan universel avec l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, a donné lieu dans le cadre régional européen et interaméricain à la mise en place d'un appareillage normatif et institutionnel. Du point de vue normatif, il s'agit des Conventions européenne et américaine des droits de l'homme. Le cadre institutionnel, quant à lui, renvoie aux mécanismes de contrôle, notamment la Commission européenne des droits de l'homme, aujourd'hui, Cour européenne des droits de l'homme et la Commission interaméricaine des droits de l'homme, à laquelle s'est ajoutée, la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

Ce schéma a été reproduit en Afrique, puisque les États africains ont adopté dans le cadre de l'OUA, une convention multilatérale, ouverte à la signature et à la ratification des membres : La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Celle-ci constitue, comme en témoigne le professeur Paul Gérard Pougoué, « un point de non retour et un espoir pour l'avenir4A la différence des instruments de même nature, le texte panafricain est un carrefour tant pour les traditions positives et la modernité que pour les droits individuels et les droits collectifs. Elle s'affirme comme étant le consensus entre l'universalité des droits de l'homme et les spécificités africaines, ainsi que permet de le voir un regard croisé des §5 et §10 du préambule.

3Voir affaire des concessions Mavromatis en Palestine, arrêt du 30 Août 1924, CPJI, Ser A, n°2...C, n°5-I, p.637. 4Pougoue (P.G), « Lecture de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples », Droits de l'homme en Afrique centrale, Acte de colloque de Yaoundé 9- 11 Nov. 1994 UCAC- Karthala. Yaoundé, Paris 1996, p. 31

Par ailleurs, la proclamation des droits de l'homme en Afrique a été conjointe à la prévision des mécanismes institutionnels, gardiens de l'effectivité desdits droits. Il ne pouvait en être autrement, puisque la pratique révèle comme l'écrit le Professeur Frédéric Sudre que « la justiciabilité de la règle conditionne l'efficacité de la garantie et de la sanction » et qu' « aucune protection internationale des droits de l'homme ne peut sérieusement être mise en oeuvre si elle ne s'accompagne pas de mécanismes juridictionnels appropriés. »5Il revient donc aux institutions juridictionnelles de veiller à la mise en oeuvre des dispositions consacrées. Cette mission incombe, au premier plan, aux juridictions nationales. En réalité, la justice interne est le lieu par excellence où les victimes des violations des droits de l'homme doivent réclamer le respect de leurs droits et la réparation des préjudices subis. La justice interne est « la pierre angulaire » de la protection des droits de l'homme dans une société démocratique. Elle est suppléée dans cette charge par les juridictions internationales qui ne peuvent être saisies qu'en cas d'échec du règlement interne. C'est ce postulat qui justifie le caractère classique dans les Conventions de droits de l'homme, de la condition d'épuisement des voies de recours internes. L'article 56(5) de la Charte africaine de droits de l'homme et des peuples dispose inter alia « Les communications visées à l'article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l'homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : (...) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale ». Celle-ci est la seule condition de recevabilité commune aux deux types de communications que sont les communications interétatiques6 et les « autres communications »7. Cette règle est appelé à s'appliquer aux requérants dans un contexte africain particulièrement délicat,

A - CONTEXTE DE L'ÉTUDE

Les obstacles à l'accès à la justice et à sa bonne administration caractérisent à suffisance la crise de l'État de droit en Afrique. Trois points de vue permettent de le signifier. Il s'agit respectivement du contexte politique, juridique et social.

5Sudre (F), Droit international et européen des droits de l'homme, 3e Edition, Paris, PUF, 1997, p. 13.

6 Art 50 Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art 90 [2(d)], 93[2(b)], 97(c) Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

7 Art 55, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art 104(f) Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

Sur le plan politique, Il est en effet facile de constater que la crise de la démocratie a transformé l'Afrique en un vaste champ de bataille. Actuellement, il y a plusieurs foyers de tension avérés ou potentiels. Ces conflits armés qui affectent 15 pays soit le tiers du continent,8 menacent la paix et la sécurité dans leurs sous régions respectives avec des risques d'extension dans les pays voisins. Les conséquences sont plurielles et ont pour dénominateur commun la violation des droits humains.9

Que ce soit en période de conflit ou de post-conflit, le contexte d'urgence, provoqué, hypothèque l'administration d'une justice équitable. Les réfugiés et les personnes déplacées rencontrent des obstacles parfois insurmontables pour accéder à la justice. De plus, les régimes militaires qui arrivent au pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat ont l'habitude de suspendre certaines compétences des tribunaux. A l'occurrence, la pratique des clauses dérogatoires dans le droit interne a, pendant près d'une décennie, occasionné une situation au Nigeria où il semblait ne pas avoir de justice disponible. Cette pratique au Nigeria comme en Gambie, au Soudan en Mauritanie s'est compliquée avec de violations graves des droits de l'homme tel qu'il a été observé au Bénin, au Tchad, au Togo au Malawi au Zaïre.

L'état actuel des droits de l'homme en Afrique rend compte de violations constantes et flagrantes des droits constitutionnellement proclamés. Ces violations vont s'installer, par leur

8 Les droits de l'homme en Afrique : Rapport 2004-2005 Union interafricaine des Droits de l'Homme (UIDH), p.12.

9 D'une part, les conflits armés entraînent un drame humanitaire. Ils favorisent la prolifération des armes légères, le développement du grand banditisme, de la criminalité transfrontalière et du mercenariat sources s'insécurité pour les populations. Ainsi plus d'un million de personnes ont perdues la vie lors du génocide rwandais en 1994 les femmes et les enfants en particulier sont exposées aux violences sexuelles ; les prises d'otage et le recrutement d'enfants soldats sont des pratiques fréquentes. En même temps, ces crises occasionnent des déplacements massifs de populations. Le Sénégal à l'instar des autres pays d'Afrique et conformément aux instruments régionaux et internationaux, accueille sur son sol des réfugiés en provenance du Libéria, de la Sierra Léone, du Rwanda, du Burundi etc. Ces personnes déplacées et autres réfugiés sont très souvent victimes de violations graves et systématiques des droits de la personne dans leur Etat où régions d'accueil. Les conflits armés représentent un des périls majeurs pour la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme en Afrique.

D'autre part, les conflits armés qui ravagent le continent conduisent très souvent les protagonistes des Etats concernés à brader les ressources naturelles pour s'équiper en armement, mettant ainsi à nu des fonds qui auraient pu servir pour renforcer l'économie, l'éducation, la santé, etc. Ils sont aussi obligés de s'endetter et de subir par la même occasion les pressions des multinationales qui les ont aidés à s'équiper. L'économie des Etats est ainsi fragilisée et les droits de la personne humaine tels que l'alimentation, le droit au développement, sont compromis. Cette situation est lourde de sens dans les Etats en situation de post conflits comme en Angola, au Mozambique, au Liberia, en Sierra Leone, au Rwanda, au Burundi, au Congo-Brazzaville, en Guinée Bissau etc.

étendue et par leur constance parce qu'elles n'épargnent aucune catégorie de droits. Cinq ordres d'arguments sont convoqués pour justifier cette situation : la nécessité de la construction nationale10, la spécificité du pays résultant d'une longue guerre, la jeunesse de la démocratie, la sauvegarde des institutions républicaines, le développement de l'économie. Les institutions républicaines vont être largement perverties pour cette besogne.

Sur le plan juridique, il est facile de constater qu'en Afrique, la pratique quotidienne de la justice révèle sa forte dépendance à l'autorité politique. Cette institution est sinistrée parce ce qu'elle semble ne pas toujours être un véritable pouvoir. Il a été observé au sujet des garanties normatives qui assurent la séparation des pouvoirs que, « (...) dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone, les codes et les constitutions clef en main ne sont bien souvent que des façades destinées à l'extérieur (le retour à l'envoyeur !). »11. Ce qui conduit à un contexte où les mutations de l'ordre politique, se manifestent par l'instabilité de la règle de droit de sorte que le fondement juridique du pouvoir politique change au rythme du changement des hommes, et l'ordre juridique paraît subir les caprices des saisons. « Des constitutions sont élaborées, abrogées" et remplacées. » alors même qu' « elles comportent toutes l'affirmation des mêmes principes au service d'un même idéal de progrès dans l'ordre et la liberté. ».12 Il faut convenir avec le Professeur Atangana Amougou, que de nos jours encore, les révisions constitutionnelles « participent souvent de la volonté des gouvernants d'en faire un usage instrumental, généralement tourné vers un renforcement de leur attributions. Les dernières révisions constitutionnelles en Afrique s'inscrivent dans cette logique. »13. Il en résulte que le fonctionnement de l'institution judiciaire ne donne pas toujours cette belle image de « dame justice » qui châtie les coupables, acquitte les innocents, répare les torts, lave l'honneur bafoué des plaignants, sanctionne l'arbitraire et les injustices. Elle apparaît plutôt dominée par le pouvoir exécutif et les puissants qui la manipulent et l'utilisent pour écraser leurs adversaires et

10 Kamto(M) Pouvoirs et droit en Afrique, LGDJ, 1987 ; voir également, Atangana Amougou (J-L), L'Etat et les libertés publiques au Cameroun, Essai sur l'évolution des libertés publiques en droit camerounais. Thèse de droit Université Jean moulin Lyon 3,1999.

11Nambo (J), « Le droit et ses pratiques au Gabon », KUYU Camille (éd.), Repenser les Droits africains pour le XXIème siècle », Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp.89-104.

12Kouassigan (G.A), Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Lyon, Éditions A, Pédone, 1974, p.202.

13 Atangana Amougou (J-L), « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionalisme africain », Politea, n°7, 2005 p.608. ATANGANA AMOUGOU (J-L) « Rigidité Instabilité constitutionnelle dans le nouveau constitutionalisme africain», Afrique juridique et politique, Vol 2, n°2, Juil-Dec.2006, pp. 42-87.

les faibles. La dépendance des institutions judiciaires du pouvoir politique constitue une menace sérieuse pour une meilleure garantie des libertés individuelles et collectives car c'est le pouvoir judiciaire qui est gardien des droits et libertés définis par la Charte et repris par les constitutions. Cela passe nécessairement par la garantie de l'exécution des décisions de justice.

Sur le plan social et culturel, Le transfert de l' « État de droit » occidental14 et de la vision du monde qui le sous-tend démontre pleinement « l'exogénéité de la justice »15tel qu'instituée en Afrique. Cela se manifeste par la carence des demandes en justice comparativement aux violations des droits. Le fossé entre les offres et les demandes de justice pose problème par sa permanence et son intensité avec des origines plus profondes tel qu'en témoigne le Doyen Kamto lorsqu'il observe que « si l'on considère que la culture des sociétés africaines traditionnelles est dominée par le souci de préserver la cohésion et l'harmonie du groupe, c'est-à-dire par les valeurs collectives, alors que la culture occidentale tourne autour de la préservation des valeurs individuelles, on peut dire que la coexistence ou la superposition des deux cultures dans les États africains indépendants renvoie à une opposition des conceptions de la fonction sociale de la Justice dans ces pays : opposition entre l'équité et le glaive, entre l'esprit de la conciliation et l'esprit de combat. »16 La justice moderne est certes présente. Elle déploie ses mécanismes et ses méthodes, mais force est de reconnaître qu'elle ne réussit pas à s'intégrer dans les mentalités et ne touche finalement qu'une infime partie des populations souvent décrites comme « occidentalisée ». Certes le règlement à l'amiable est reconnue et encouragé par la justice moderne. Il y'a néanmoins une telle crise de la justice moderne au point où le justiciable préfère subir le préjudice plutôt que de saisir des juridictions auxquelles il n'a pas confiance au risque du déni de justice entre autres caractéristiques de la crise de l'État de

14Du point de vue de l'histoire il y'a lieu de dire qu'il existe une contradiction fondamentale entre la conception de la justice dans l'Etat moderne et sa caractérisation au sein des civilisations de l'Afrique traditionnelle. En Afrique traditionnelle l'administration de la justice ce fait par le biais de la « juridiction de la parole » à travers le procédé de la palabre. Il ne s'agit pas de répartir tort et raison à travers l'application de normes générales et impersonnelles par une instance tierce et supérieure, mais de négocier, lors du processus de palabre, un compromis qui puisse rétablir une harmonie entre toutes les parties concernées. Il ne s'agit pas de s'en remettre à un tiers, de se soumettre à la pyramide judiciaire et d'en attendre une solution. La solution revêt de l'autorité non pas parce qu'elle est imposée par une autorité légitime, mais parce qu'elle se dégage dans la négociation entre tous les acteurs concernés et en vertu d'un idéal partagé par tous, celui de rétablir l'harmonie sociale troublée. Cet objectif prime même celui de l'exigence de vérité. Voire Bidima (J-G), La palabre. Une juridiction de la parole, France, Éditions Michalon, Col. Le bien commun, 1997, p.8.

15Leroy (E), « Contribution à la refondation de la politique judiciaire en Afrique francophone à partir des exemples maliens et centrafricains », afrika Spectrum n° 32, 1997, p.312.

16Kamto (M), « Une justice entre tradition et modernité », Afrique Contemporaine, 4e trimestre, n° 156 (spécial) 1990, p.58.

droit. Pour Michel Alliot, « des sociétés africaines, trop réalistes pour admettre les mythologies européennes, nous donnent une grande leçon. Elles ne font pas confiance au droit de l'État pour garantir les individus et les groupes contre l'État : elles tiennent pour illusoire l'image occidentale du droit de l'État conquis sur l'État par les individus auquel il assurerait les garanties fondamentales. Elles comptent bien plus sur les solidarités de groupe, la structure sociale, la diversité et l'interdépendance des pouvoirs, le droit non étatique. (...) Le droit n'a point de force par lui-même. Il a besoin des hommes ».17

Par ailleurs, les justiciables en Afrique sont très souvent ignorants de leurs droits, et partant, des différents recours qui leurs sont ouverts.

Que dire du grand nombre de justiciables qui vivent en zones rurales où des familles sont privées illégalement de leurs terres et de leurs moyens d'existence sans annonce préalable, sans compensation ni relogement, où les veuves sont déshéritées par leur belle famille qui s'approprie les biens du mari décédé ? L'État africain a le plus souvent éprouvé de grandes difficultés à garantir l'existence de mécanismes de justice, et en permettre l'accès. Pour les rares cas dont les besoins en termes de justice reçoivent quelque attention, la signification même de la justice est incertaine, son contenu varie d'une place à l'autre et le rendu de la justice dépend inévitablement de l'endroit où les justiciables vivent, de leur réseau de connaissances, de leurs ressources financières, et de la mesure dont l'autorité de l'État se fait sentir sur la zone dans laquelle ils se trouvent. Il est possible de dire que pour la majorité des habitants du continent, le champ assez limité de l'État africain effectif fait en sorte que la plupart de leurs besoins en termes de justice sont pris en charge à l'extérieur des mécanismes judiciaires de l'État.

L'instance y dure très souvent des années avec des renvois répétés à outrance. Le principe conventionnel de l'égal accès de tous à la justice se heurte au coût élevé de la justice qui exclut, de fait, l'immense majorité des Africains des prétoires parce qu'elle n'est pas en mesure de faire face aux contraintes financières qu'impose un procès civil, pénal ou commercial. Ce sentiment de l'injustice de la justice fige les justiciables dans les positions inflexibles à l'égard de l'institution qu'ils ont tendance à considérer comme une structure étrange et étrangère à eux. Plus graves, les pratiques coutumières l'emportent sur toutes autres considérations juridiques.

17Alliot (M), « La coutume dans les droits originellement africains », Bulletin de Liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris, n° 7-8, 1985, p 79-100.

Au moment où l'avènement de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples attise l'espoir des gouvernements et peuples africains, parce que pressentie comme constituant « sans aucun doute une avancée importante dans le système africain de protection des droits de l'homme dans la mesure où la Cour assurera un meilleur respect de la Charte et pourra à terme faire triompher la démocratie et l'État de droit, »18 il est judicieux de constater que « des interrogations subsistent, notamment en matière d'accès des requérants, qui pourraient hypothéquer le fonctionnement et l'efficacité de la nouvelle Cour»19. Cette remarque nous paraît essentielle. Elle invite à relire le système africain de protection des droits de l'homme dans une perspective d'efficacité et d'effectivité. Dans cette optique, il y a lieu au premier plan, de faire un bilan critique du rôle qu'aura joué la Commission africaine dans la mise en oeuvre des droits de l'homme en Afrique. La fonction de la Commission ne s'exerçant qu'à l'amont d'un examen du respect de la règle. L'épuisement des voies de recours internes occupe une place de choix dans le contentieux africain des droits de l'homme. Elle constitue d'ailleurs, de l'avis de la Commission, le coeur du contentieux des droits de l'homme, l'exigence majeure, lorsque la Commission est saisie d'une communication. En effet, il s'agit d'une condition qui détermine très souvent fatalement la suite de la requête, et qui se trouve être la courroie de transmission permettant aux justiciables de passer des juridictions nationales à la juridiction internationale. Dans le chantier de la relecture de l'activité de la Commission, une étude sur la pratique de cette règle telle que dégagée des interprétations du commissaire africain des droits de l'homme, se révèle impérative. Elle est d'autant pertinente en ce que la Commission africaine est appelée à jouer un rôle déterminant dans la recevabilité des requêtes devant la Cour africaine, qui suscite toutes sortes de passions. Aussi, en accord avec Paul Reuter sur le fait que « la construction juridique, dans son austère édification, mène ceux qui la tentent dans une voie ou clarté et sérénité doivent faire reculer les intérêts et les passions »20, cette recherche dans le système régional africain de protection des droits de l'homme, se doit d'être clairement délimitée.

18Atangana Amougou (J-L), « Avancées et limites du système africain de protection des droits de l'homme : la naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », Revue de Droits fondamentaux, n°3, janvierdécembre 2003, pp.175.

19Idem.

20Reuter (P), Plaidoirie devant la CIJ, 17juillet 1952, dans l'affaire Anglo-iranien, oil, compagny (exceptions préliminaires).

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