SECTION 2 : FORMES ET CONSEQUENCES DE LA FRAUDE
FISCALE
§1. Formes de la fraude fiscale
Selon l'article 102 de la loi n°004/2003 du 13 mars 2003
portant réforme des procédures fiscales, la fraude fiscale (ou
l'intention frauduleuse) se présente sous les formes suivantes :
A. L'omission volontaire de
déclaration
Comme c'est bien dit l'omission de déclaration doit
être volontaire, ce qui implique nécessairement la mauvaise foi du
contribuable. Et cela doit se passer dans le délai prescrit par la loi
pour la déclaration(1).
Parmi les obligations du contribuable, il y a celle de
souscrire toutes les déclarations (déclaration mensuelle pour
l'I.P.R, relevé mensuel pour déclaration hebdomadaire de
précompte BIC, déclaration récapitulative IPR,
relevé des opérations exonérées, relevé des
ventes pour fabricants en annexe à la déclaration annuelle sur le
bénéfice, etc), auprès de l'Administration fiscale
compétente tout en respectant les délais légaux. Les
formulaires de déclaration sont conçus par l'Administration et
doivent être remplis et déposés par le contribuable,
même si il a réalisé une perte ou bénéfice
d'un régime d'exception(2).
B. La dissimulation volontaire des sommes sujettes
à l'impôt (ou soustraction d'impôt)
C'est lorsque le contribuable ne déclare pas tous les
revenus ou ne déclare rien du tout.
(1) Mémento Francis Lefebvre, op.cit, p.
628.
2) BATUMONA KANDE, droits et obligations du
contribuable en RDC in Finances et Démocratie en République
Démocratique du Congo, impôt sans l'impôt, Kinshasa :
publication de l'institut pour la démocratie et le leadership politique,
1999, pp. 20-21.
La tentation est grande ici car nous savons que le
système fiscal congolais, comme ceux de la plupart des pays
francophones, est du type déclaratif et les moyens mis à la
disposition des agents pour le contrôle fiscal restent encore
insuffisants(1).
Les éléments constitutifs de la soustraction
d'impôt comprennent tout d'abord trois éléments objectifs :
une perte financière pour la collectivité publique (l'Etat par
exemple), par suite d'une taxation incomplète ou de l'absence de
taxation en matière d'impôt direct ; l'illicéité du
comportement du contribuable : il n'y a soustraction que s'il y a eu violation
d'obligations imposées par la loi fiscale ; enfin une relation de
causalité entre la violation d'obligations par le contribuable et de
perte financière pour la collectivité. En outre, il y a un
élément subjectif : il faut qu'une faute (intention ou
négligence) puisse être reprochée au contribuable.
1° Perte financière pour la
collectivité publique.
La soustraction d'impôt suppose tout d'abord,
objectivement, une insuffisance, totale ou partielle, dans le montant
d'impôt qui résulte d'une taxation. Il y a là une atteinte
portée aux intérêts pécuniaires de la
collectivité publique concernée, et le dommage correspondant est
égal à la différence entre le montant de l'impôt qui
a été fixé dans la décision arrêtant
définitivement la taxation, et le montant qui aurait été
dû dans le cas où le contribuable n'avait pas violé ses
obligations. L'élément objectif à la base de la
soustraction d'impôt est en fait très proche de la notion de
dommage en matière de droit des obligations, c'est-à-dire qu'elle
correspond à une diminution de patrimoine. Par exemple, en
matière d'impôt direct, le contribuable qui se met au
bénéfice de l'imposition globale expressément
réservée aux personnes qui n'exercent pas d'activité
à but lucratif, alors qu'il exerce en fait une telle activité,
commet une soustraction d'impôt dans la mesure où cela a
entraîné une insuffisance de taxation.
Pour que l'élément objectif de l'atteinte
portée aux intérêts financiers de la collectivité
soit réalisé, il faut bien entendu qu'il y ait une personne
assujettie et un élément imposable au pays (au Congo par
exemple).
(1) Amadou YARO N., op. cit,
La soustraction d'impôt renvoie donc à l'ensemble
des dispositions qui déterminent les personnes assujetties et les
éléments imposables ; ces dispositions doivent être
examinées, à titre de question préalable, pour savoir s'il
y a effectivement une atteinte portée aux intérêts
pécuniaires de la collectivité publique concernée.
Compte tenu de ce lien entre élément imposable
et infraction fiscale, on classe généralement le cas de
soustraction en fonction de l'élément imposable qui n'a pas
été déclaré correctement. Pour les personnes
physiques, les cas de soustraction fiscale les plus fréquents selon la
jurisprudence concernent les revenus accessoires, en particulier lorsqu'il y a
activité indépendante accessoire, alors que la soustraction
fiscale est moins fréquente pour les salariés, compte tenu du
certificat de salaire à annexer à la déclaration. En
revanche, en matière de revenu de la fortune mobilière, la
jurisprudence donne quantité d'exemples de cas de soustraction, pour
revenus provenant des intérêts sur créances ainsi que les
cas de prestations appréciables en argent.
2° Illicéité du comportement du
contribuable
Pour qu'il ait soustraction fiscale, il ne suffit pas qu'il y
ait insuffisance ou absence de taxation ; il faut encore que le contribuable,
par son activité ou par son inaction, ait violé une obligation
que la loi lui impose.
Parmi les obligations violées par le contribuable qui
commet une soustraction, on peut notamment mentionner l'obligation de remplir
la formule de déclaration d'impôt de << manière
conforme à la vérité et complète »,
l'obligation de faire << tout ce qui est nécessaire pour assurer
une taxation complète et exacte », etc.
3° La faute du contribuable
La soustraction est punissable lorsqu'elle est commise
intentionnellement. Le contribuable commet intentionnellement une soustraction
d'impôt lorsqu'il la commet avec conscience et volonté.
a) En cas de déclaration préparée
par un représentant contractuel
Des problèmes analogues en matière d'intention
se posent lorsque c'est le représentant du contribuable qui a
porté dans la déclaration d'impôt de ce dernier des
indications inexactes et, de ce fait, il y a eu taxation insuffisante du
contribuable. Suivant un arrêt du tribunal fédéral suisse
de 1986, le contribuable doit se laisser imputer à faute cet acte dans
la mesure où il aurait été en mesure de
reconnaître les erreurs de son représentant en
faisant preuve de la diligence nécessaire.
Il existe en outre certaines décisions dans lesquelles
le tribunal fédéral a considéré que le comportement
du contribuable, dans le contexte d'une déclaration inexacte ou
incomplète remise à l'administration à la suite d'une
intervention de la fiduciaire (soit que la fiduciaire adresse directement la
déclaration à l'administration après qu'elle ait
été signée par un employé de la fiduciaire, soit
que le contribuable la signe, mais affirme ensuite qu'il ne l'a pas vraiment
lue), relève du dol éventuel, c'est-à-dire que sa faute
est intentionnelle.
b) Lorsque le contribuable est une personne
morale
S'agissant de la faute lorsque le contribuable est une
personne morale, la circulaire n°21 de l'administration
fédérale suisse a indiqué lorsque l'auteur de la
soustraction est une personne morale, l'intention ou la négligence ne
peuvent exister que vis-à-vis des organes ou des représentants
des personnes morales.
4° Le lien de causalité entre le
comportement du contribuable et l'atteinte aux intérêts
pécuniaires de la collectivité publique
Pour qu'il ait soustraction, il faut que l'atteinte aux
intérêts pécuniaires de la collectivité publique
soit imputable au contribuable, c'est-à-dire qu'il y ait un lien de
causalité entre le comportement du contribuable, et l'insuffisance de la
taxation.
C. La passation délibérée des
écritures fictives ou inexactes dans les livres comptables
Le contribuable a l'obligation de tenir les livres comptables
suivant les prescrits du plan comptable général congolais,
principalement le journal, la balance, le bilan, le tableau de formation de
résultat, le tableau économique, fiscal et financier, ainsi que
les pièces justificatives en appui à cette
comptabilité(1).
(1) BATUMONA KANDE, op. cit, p. 20.
L'élément matériel de ce délit est
constitué par l'action de passer où de faire passer des
écritures inexactes ou fictives au livre-journal et au livre
d'inventaires prévus dans le code de commerce ou dans les documents qui
en tiennent lieu(1). Le caractère volontaire du manquement
est expressément exigé d'après l'article 227 du livre de
procédure pénale français.
La passation délibérée des
écritures fictives ou inexactes dans les livres comptables se fait dans
le but de minorer les recettes ou les revenus.
Par ailleurs, il faut signaler que même si le
résultat fiscal est différent du résultat comptable (du
fait de l'indépendance du droit comptable et du droit fiscal), il faut
savoir que c'est le second résultat (à savoir le résultat
comptable) qui détermine le premier résultat (fiscal). On
détermine tout d'abord le résultat comptable, puis on applique
ensuite les règles propres à la fiscalité pour parvenir au
résultat fiscal. Cela a pour conséquence, si en
comptabilité toutes les écritures ne sont pas passées, il
y a le risque de fraude fiscale(2).
Quelques problèmes liés au concept de bilans et
comptes de résultats « inexact quant à leur contenu
»(3):
1° L'inexactitude du contenu des comptes
Une comptabilité est inexacte quant à son
contenu lorsqu'elle fait apparaître les événements de la
vie des affaires de manière incorrecte ou incomplète. Dans un tel
cas, le bilan et le compte de résultats sont également inexacts
quant à leur contenu. Souvent la difficulté est de
déterminer s'il y a véritablement inexactitude de la
comptabilité et non conformité des documents comptables avec les
règles comptables, ou si, au contraire il s'agit d'un domaine qui
relève du libre exercice du pouvoir d'appréciation du chef
d'entreprise.
S'il y a en plus inexactitude sur le plan formel, alors le
délit de passation délibérée des écritures
fictives ou inexactes dans les livres comptables entre en considération.
Par exemple en cas d'actifs non comptabilisés, de passifs
(1) Pratiques Lamy, Fiscal 1993, éd. Lamy,
Paris, 1993, p. 1446.
(2) Amadou YARON N., op. cit
(3) Conférence du 16 mars 2006, op.cit.
fictifs, de comptabilisation sous une rubrique ou une date, ou
dans un compte inexacts,etc.
2° Distribution de bénéfices
dissimulés (prestations appréciables en argent), créance
en restitution et inexactitude des comptes
Sont des distributions de bénéfice toutes les
prestations appréciables en argent faites par la société
au porteur de droits de participation, et qui ne constitue pas un remboursement
de parts au capital existant. Ces prestations peuvent être ouvertes ou
dissimulées. Les prestations ouvertes sont faites au début du
compte bénéfice reporté, ou du compte de réserves.
Elles n'affectent pas le compte de pertes et profits et n'ont aucune
conséquence sur le résultat imposable de la
société. Les distributions de bénéfices
dissimulés affectent en revanche le compte de pertes et profits.
Les notions de distributions de bénéfices sont
des notions économiques, si bien que les autorités fiscales n'ont
pas à tenir compte des conditions de l'évasion fiscale pour
déterminer le traitement fiscal d'une transaction sur la base de la
réalité économique. La prise en compte de la
réalité économique de la transaction soulève
toutefois des questions d'appréciation et d'évaluation.
Parfois, la distribution d'un bénéfice
dissimulé ne dépend pas d'une question d'appréciation ou
d'évaluation ; c'est par exemple le cas chaque fois que les
distributions de bénéfice dissimulé se fait sous la forme
de la renonciation par la société à un produit, par
exemple lorsqu'en cas des ristournes versées parles fournisseurs, la
société ne comptabilise pas les montants ristournés
à son avantage, mais les remets directement à ses actionnaires.
Dans ce cas, il est manifeste qu'il y a non seulement soustraction (la
société n'a pas indiqué dans la déclaration
d'impôt les « prestations fournis gratuitement à des tiers ou
à des actionnaires de la société »), mais
également la passation délibérée des
écritures inexactes, dans la mesure ou la comptabilité de la
société est inexacte (elle fait état d'un produit). Ces
situations où la prestation appréciable en argent s'accompagne
d'une inexactitude des comptes peuvent se produire également dans les
autres catégories de prestations appréciables en argent ; Ainsi,
par exemple, en cas d'achat d'un actif fictif entraîne une inexactitude
formelle de la comptabilité. De même, en cas de simulation, par
exemple, dans le cas où un contrat de travail entre la
société et l'actionnaire, où une
personne proche de l'actionnaire, est simulé. Dans ces
cas, en effet, la comptabilisation ne doit pas se faire sur la base du contrat
simulé, mais sur la base de « la réelle et commune intention
des parties, sans arrêter aux expressions ou dénominations
inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour
déguiser la nature véritable de la convention.
D. L'émission de fausses factures
Quelqu'un qui fournit intentionnellement de fausse
donnée ou qui fournit des indications erronées et qui joint des
justificatifs falsifiés commet une infraction de fraude fiscale. Il fait
parti de ce qu'on appelle sous d'autres cieux d'organisation par le
contribuable de son insolvabilité. Il s'agit pour le contribuable de
montrer à l'Administration fiscale que la matière imposable
n'existe plus, suite à des mauvaises affaires ou de faillite de son
entreprise(1).
E. L'opposition à l'action de l'Administration
des impôts
En droit congolais, le fait de s'opposer à l'action de
l'Administration des impôts constitue une infraction ; cela constitue une
intention frauduleuse. L'action de l`Administration des impôts peut
être soit le contrôle, la demande des documents auprès du
contribuable.
F. L'incitation du public à refuser ou à
retarder le paiement de l'impôt
En droit congolais, le fait seulement d'inciter le public
à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt constitue
une infraction.
G. Les formes de fraude fiscale spécifiquement
internationales(2)
1° La majoration du prix d'achat à
l'étranger
(1) Amadou YARO N, op cit.
(2) KOLA GONZE, Cours de droit fiscal international,
inédit, UNIKIN, IIème Licence droit, 2005- 2006.
La fraude est plus nettement caractérisée
lorsque l'achat à l'importation avec un prix majoré est
effectué par l'intermédiaire d'une société
établie dans un paradis fiscal.
2° La minoration des prix de vente à
l'exportation
Il y a plusieurs manoeuvres pour minorer le prix du point de
vue international. L'exemple suivant peut bien l'illustrer : un exportateur du
pays A vend des marchandises à un importateur du pays B, puis à
la suite d'une dévaluation (clause d'indexation), il émet une
note de débit représentant un supplément de prix. Ce
dernier n'est pas comptabilisé mais donne lieu à un versement de
montant donné dans un paradis fiscal. La Banque de l'importateur dans le
paradis fiscal prêtera alors une partie de ce montant versé aux
dirigeants de l'entreprise du pays A. Le solde est employé pour un
placement ou un investissement en faveur des dirigeants de l'entreprise du pays
A.
3. Le transfert de bénéfices par
majoration ou diminution du chiffre d'affaires ou des charges
Cela permet de diminution du bénéfice imposable
d'un groupe international par la majoration ou la minoration artificielle des
charges ou du chiffre d'affaires, c'est-à-dire par relations directes
entre des variétés d'un même groupe. En effet, dans un
groupe important, les filiales ont des liens de dépendance et des
mouvements de biens et de marchandises sont nombreux. Le transfert de
bénéfices pourra s'effectuer par la vente de biens par une
entité située dans un pays à forte imposition à une
filiale située dans un paradis fiscal à bas prix, suivie d'une
vente par la filiale à un prix élevé. Un
bénéfice important sera ainsi localisé dans le paradis
fiscal. Les transferts de bénéfices se réalisent
également en minorant ou majorant artificiellement les charges d'une
société comme les rémunérations de service, les
intérêts et les redevances(1).
4° La rémunération des services
fictifs(2)
(1) Pierre Aubry, La Suisse et l'Europe : la Suisse dans la
constellation des paradis fiscaux, Séminaire de science politique,
mars 2003, p. 10.
(2) KOLA GONZE, op. cit.
La fraude peut être décelée à
l'occasion de versement d'une redevance issue d'une étude
effectuée au profit d'une personne morale ou privée. Elle peut
être constatée lors de versement d'une redevance pour
l'exploitation d'une marque commerciale.
Dans la première hypothèse, il s'agit par
exemple d'une société qui paie très cher un mémoire
à une société d'étude installée dans un
paradis fiscal (plus on a une charge moins on paie l'impôt).
Dans la deuxième hypothèse, il s'agit d'une
concession fictive de marque commerciale autrement dit la société
A cède une marque dont elle est propriétaire à une
société étrangère dans des considérations
irrégulières.
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