Le Conseil constitutionnel sénégalais et la vie politique( Télécharger le fichier original )par Mamadou Gueye Université Cheikh Anta DIOP de dakar - Doctorant en science politique et droit public 2011 |
Paragraphe I : L'autorité nommante« Une institution, surtout lorsqu'elle se construit, dépend toujours pour une part, de la personnalité des hommes qui l'incarnent et la font vivre »152(*). Cette assertion du doyen Rousseau révèle l'importance accordée à la politique de nomination par la classe politique qui reste encore à la recherche d'un mode idéal, non politisé de désignation. Ils s'agit pour la classe politique de s'assurer de la haute qualité morale des futurs membres du conseil et surtout de le changement du système de nomination destiné à garantir leur totale indépendance et la dignité de leurs fonctions. En effet, s'il ya parfois quelque doute sur les préférences politiques des membres « ordinaires » du conseil constitutionnel, il y en a toujours eu sur celle de son président. Les présidents de la République ont à quelques exceptions153(*) prés désigné à cette fonction des personnalités plus ou moins politiquement engagées à leurs cotés. C'est ainsi que beaucoup voit dans les décisions du conseil la manifestation de préférences politiques ou partisanes. En effet les personnalités désignées pour siéger au conseil constitutionnel sont choisies prioritairement dans le cercle des amis politiques154(*) de l'autorité de nomination. Souvent, elles sont choisies en relation avec un engagement partisan. Or les procédures du contrôle de constitutionnalité leur imposent de trancher à chaud des conflits dans lesquels ont pris positions des formations auxquelles elles ont appartenu- auxquelles elles peuvent d'ailleurs toujours appartenir. Il existe donc d'excellentes raisons d'imaginer les membres de l'institution transportant au conseil des solidarités, des réflexes qui ne céderont pas facilement, quelque que soit la bonne volonté des intéresses et malgré le serment prêté, en investissant leurs nouvelles fonctions, « de les exercer en toute impartialité ». D'autant qu'aux solidarités politiques s'additionnent souvent des relations personnelles - d'allégeance et des amitiés anciennes. Sans prétendre en aucune manière que les personnalités nommées se soient comportées en représentants zélés, on doit souligner que ce risque existe. Le mode de nomination met à l'abri bien qu'imparfaitement, les membres du conseil de pressions qui viendraient des pouvoirs publics. Le président de la République en procédant discrétionnairement à la nomination des conseillers constitutionnels va certainement, comme on le disait du président de la cinquième République française, exercer « une magistrature d'influence » en privilégiant ses amis politiques155(*). Cette prérogative est plus ou moins critiquable en comparaison avec d'autres institutions dans les pays souvent cités comme modèle de démocratie. On peut citer par exemple cette observation d'un auteur, caractéristique d'une certaine démarche doctrinale : « le Président des Etats-Unis choisit ordinairement les juges de la Cour Suprême au sein de son propre parti ; l'élection par les chambres de membres du Tribunal de Karlsruhe est finalement sous la sauvegarde des partis politiques, sans garantie qu'ils en fassent usage innocent. Même la désignation d'une partie des membres de la Cour Constitutionnelle italienne par les magistrats n'échappe pas au phénomène partisan »156(*) Cette liberté dans la nomination des membres du conseil laisse supposer la présence ou l'entrée au conseil de personnalités choisies sur des critères ouvertement partisans et possédant souvent une expérience juridique inférieure à celle des conseillers constitutionnels. Au Sénégal l'autorité exclusivement compétente pour nommer les membres de droit du Conseil est et demeure le Président de la République. En France certains auteurs considèrent que la nature politique d'une juridiction constitutionnelle est tributaire de sa composition. Désignés très souvent par les élus les plus en vue de l'Etat, tous les membres sont des hommes ou des femmes, des conseillers choisis comme tels, ou à tout le moins, des amis politiques. D'ailleurs certains professeurs, comme P.Jan et J.P. Roy sont allés jusqu'à parler de « composition suspecte »157(*) sous prétexte que « l'article 56 de la constitution donne un pouvoir discrétionnaire au Président de la République et aux présidents des assemblées pour désigner les membres nommés du Conseil constitutionnel, puisqu'il ne définit aucune condition, notamment de compétence et de qualification juridique. Ils peuvent donc y nommer des amis politiques, et comme ces trois autorités peuvent appartenir pendant une longue période à la même famille politique, cela peut permettre au pouvoir en place de s'assurer une certaine allégeance de la part du Conseil constitutionnel »158(*) En toute logique, le mode de désignation et la composition qui en résulte ne sont pas sans conséquence sur la production décisionnelle du conseil. En effet ces textes rendus ne naissent pas par magie. Ils sont le fruit de recherches, de réflexions, de préférences individuelles et de délibérations collectives qui conduisent à ces décisions imputées au conseil constitutionnel. Les institutions n'ont pas d'autre volonté que celle des individus qui les composent. En effet « l'interprétation, l'attribution d'un sens n'est jamais un acte de pure connaissance juridique mais un choix, une décision, qui engage nécessairement, consciemment ou non, les valeurs et les préférences de ceux qui interprètent »159(*). Sans doute, les membres du conseil ne sont jamais totalement libres de leur interprétation : ils doivent tenir compte de leurs décisions antérieurs, des analyses de la doctrine, des réactions de la classe politique, de l'état de l'opinion....mais ces contraintes sont plus « politiques » que juridiques. En réalité même si on appliquait le système français de nomination. Il faut remarquer comme le souligne à juste titre Rousseau « qu'en France les autorités nommantes peuvent appartenir, pendant une longue période à la même famille idéologique ». Cette remarque est valable pour le Sénégal. A l'heure actuelle les présidents du Sénat et de l'Assemblée Nationale sont membres du parti au pouvoir à savoir le Pds. Dans une démocratie juvénile, dotée de justice constitutionnelle, peu expérimentée et moins « prouvée par le temps, avec le mission combien importante que le Conseil constitutionnel est appelé à accomplir dans son travail de protection des droits fondamentaux et de régulation de la vie politique, la désignation exclusive des membres par le chef de l'Etat est révélateur d'un péril certain. Péril accentué par une certaine crainte qui se justifie par le fait du monolithisme politique. Depuis l'accession à la souveraineté internationale du Sénégal, le parti au pouvoir sous la bannière du Président de la République qui est la clé de voute et la plaque tournante du pouvoir exécutif, a toujours obtenu la majorité au Parlement. Etant donné qu'une loi ordinaire ou organique, d'origine parlementaire ou gouvernementale, est susceptible de bafouer un principe constitutionnel, il serait très préjudiciable qu'elle incorpore le droit positif sous l'action partisane des juges constitutionnels. Même s'il est possible de relativiser cette position, à l'instar du doyen Roussillon, l'idée selon laquelle les autorités chargées de nommer les membres du Conseil choisissent des personnes plutôt proches de leurs idées politiques ne favorise pas systématiquement la politisation de l'institution. Par conséquent, il est loisible d'admettre que « le fait d'avoir été nommés majoritairement par des autorités appartenant à tel ou tel courant politique ne suffit pas pour en conclure que le Conseil est de cette tendance »160(*). Ce constat du doyen Roussillon ne dissipe pas les fortes présomptions de partialité qui pèsent sur la Haute juridiction. On trouve difficilement de cas ou d'hypothèse où l'institution constitutionnelle aurait le courage de s'opposer fermement à la volonté présidentielle au point de préférer démissionner plutôt que de valider une loi inconstitutionnelle. L'exemple de la présidente de la Cour constitutionnelle nigérienne en particulier et des membres de cette même Cour est salutaire dans la mesure où bien qu'étant nommée par le Président Tandian, elle n'a pas hésité à s'opposer à son projet monarchique. Ce faisant, le fait que des autorités politiques élues choisissent des amis politiques ne suffit pas pour en conclure que le Conseil est de cette tendance. En effet en parodiant M.R.Badinter, un bon juge constitutionnel doit avoir une obligation de fidélité aux citoyens et « un devoir d'ingratitude » envers ceux qui l'ont nommé.161(*) Si au Sénégal on redoute la nomination sans partage du Président de la République, c'est parce qu'il est, comme le signale le professeur El Hadj Mbodj, une sinon, la « pièce maitresse du dispositif constitutionnel tant par son statut que par l'étendue de ses prérogatives »162(*) la conséquence logique de son élection au suffrage universel. Il jouit d'une légitimité démocratique et populaire qui est la conséquence logique de son élection au suffrage universel direct. Au Sénégal le Président de la République est à la fois chef de l'Etat et de l'exécutif. En tant que tel, « il est le gardien de la constitution.»163(*). L'illustration de cette toute puissance ou autorité du Président de la République à l'égard du Conseil164(*) est fournie par la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2001 sur l'affaire relative à l'effigie du Président de la République. Selon le Conseil le « nom Wade et la photographie du Président de la République ne doivent pas figurer sur le bulletin de vote de la coalition Wade ». Cette décision du Conseil a suscité une désapprobation du Président qu'il n'a pas manqué de porter par à l'attention du Conseil à partir d'une lettre. Il s'en est suivi un échange de correspondances. D'ailleurs Doudou Ndoye dans son ouvrage La Raison, valeur de modernité pour l'Afrique, qualifie la lettre du Président de la République de « demande d'explication injonctive faite au Conseil constitutionnel »165(*) Ayant analysé le régime juridique du mode de désignation inhérent aux autorités nommantes, on peut maintenant étudier le profil de ceux qui composent ou devraient composer le Conseil constitutionnel * 152 Dominique Rousseau, Droit du Contentieux constitutionnel, Paris, 8ème Edition, Montchrestien, 2008, p.37 * 153 Le seul qui, à l'époque de sa nomination n'exerçait pas un role politique et dont la désignation fut favorablement accueillie, M Kéba Mbaye, fut aussi le premier à abondonner la présidence avant le terme de son mandat. M Youssoupha Ndiaye a également démissionné de son poste de président du conseil. * 154 Kéba Mbaye affirmait le 17 juin 1992, au lendemain de sa nomination à la tete du conseil constitutionnel : « le président de la République me connaît très bien. Nous avons depuis longtemps des rapports personnels. Je dirais meme que nous avons des liens d'amitié » in SudHebdo n°21, 03 mars 1993 * 155 Entretien avec le professeur Elhadj Mbodj * 156 J.P.Lebreton, « Conseil constitutionnel et initiative financière dans le cadre de la procédure législative », RA, 1978, p.421-422 * 157 P.JAN et J.P. ROY, Le Conseil constitutionnel vu du Parlement, Ellipses, 1999 p. 170 * 158 Ibidem * 159 Dominique Rousseau, Droit du Contentieux constitutionnel, Paris, 8ème Edition, Montchrestien, 2008, p.59 * 160 Henry Roussillon, Le Conseil Constitutionnel, Dalloz, 5ème édition, 2004, p. 16et 17 * 161 R.Badinter, « Condorcet et les droits de l'Homme », in Etudes politiques, Edition Gallimard, 1972, p. 51 * 162 EL. MBODJ, « Le Sénégal : un régime présidentiel hétérodoxe », in Les Nouvelles constitutions africaines : la transition démocratique, Presse I.E.P. Toulouse, 1995, p.165 * 163 Voir article 42 de la constitution du Sénégal de 2001 * 164 Conscient de cette `anomalie', le professeur B.Kanté, vice président du Conseil constitutionnel, souhaitait une réforme du système d'organisation des juridictions constitutionnelles africaines notamment en ce qui concerne la désignation des membres. Pour lui, il serait salutaire que la composition soit hétérogène et que d'autres organes puissent également participer à la désignation des conseillers constitutionnels * 165 Doudou Ndoye, La Raison, Valeur de modernité pour l'Afrique, EDJA, 2007, collection l'Afrique du XXIe Siècle, p.57 |
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