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Le Conseil constitutionnel sénégalais et la vie politique

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par Mamadou Gueye
Université Cheikh Anta DIOP de dakar - Doctorant en science politique et droit public 2011
  

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Paragraphe II : Le profil des juges constitutionnels

En effet le serment prêté d'exercer les fonctions de juges en toute impartialité ne peut empêcher les effets d'inclinations spontanées, plus dangereuses, puisque, à supposer qu'ils en aient conscience, les membres du Conseil leur opposeraient moins de résistance qu'à des pressions caractérisées.

En outre une longue expérience de la vie politique montre qu'on introduit au Conseil des gens pour lesquels c'est généralement le couronnement et souvent la fin de carrière, « ce sont généralement des magistrats à la retraite, agés, dociles, liés d'une quelconque manière au pouvoir. En tout cas ce ne sont pas les meilleurs qu'on nomme »166(*). Cette façon de procéder peut figer les attitudes, enfermer les acteurs dans leurs convictions. Le souci de continuité et de cohérence des choix personnels pèsera lourd, au détriment de la perspective juridique qui devrait prévaloir dans leurs nouvelles fonctions. On peut appliquer au juge constitutionnel sénégalais ce qui pourrait passer pour un aveu d'un ancien membre du Conseil constitutionnel français, un « politique » : « c'est un corps composé de neuf personnes qui ont beaucoup vécu ; ils ne vont pas faire un lavage de cerveau en arrivant. Ce ne sont pas des voyageurs sans bagages. On ne va pas se transformer, transformer ses habitudes de pensée. On vous a fait venir parce que vous avez des bagages, par conséquent vous n'allez pas prendre une position de voyageur sans bagage une fois que vous entrez au Conseil constitutionnel »167(*)

L'exercice du contrôle de constitutionnalité par des personnalités engagées, amenées par intérêt ou conviction à se comporter en mandataires de ceux qui les ont désignées, et qui, même animées de la volonté d'agir en toute impartialité, ne sauraient en arrivant au Conseil, abandonner le point de vue sur les affaires publiques qui les inspirait jusque là. Alors « la décision collégiale serait le terme d'un processus comptable : la somme des préférences individuelles ».168(*)

Dans cette partie on se proposera d'étudier le profil des présidents qui ont eu à diriger la haute juridiction de certains vices président et des professeurs d'universités. L'explication du choix des deux premiers réside dans l'importance de leur prérogative et de leur influence dans le fonctionnement de l'institution. L'option pour les universitaires est à chercher dans l'influence qu'ils peuvent avoir dans l'orientation de la jurisprudence du Conseil. En effet aux termes de la loi organique 92-23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel modifié par la loi 99-71 du 17 février 1999, le président du Conseil détient d'importantes attributions, il est chargé de l'administration du Conseil169(*). Il supervise le secrétariat qui est le centre nerveux, intellectuel, juridique et politique du Conseil et désigne le conseiller rapporteur, qui joue un rôle important dans l'orientation de la décision170(*). Il est à la tête du Conseil qui établit son règlement intérieur171(*), dirige les débats et a voix prépondérante en cas de partage172(*).

Avec l'existence du poste de vice président173(*) le constituant sénégalais a choisi de se démarquer du modèle français. Ainsi en cas d'empêchement, le Conseil ne se réunit pas sur convocation de son doyen d'âge comme en France. L'article 22-1 de la loi organique 92-23 dispose que « si l'un des membres du Conseil est temporairement empêché, est le président, le vice président assure son intérim »

Les quatre présidents qui ont eu à occuper les postes de président du Conseil à l'exception du président Kéba Mbaye ont tous vu leur nomination critiquée soit par la presse soit par les partis politiques en raison de leur appartenance ou de leur proximité par rapport au parti au pouvoir.

Il faut dire que le profil des juges constitutionnels a à certains égards provoquer la méfiance ou susciter la confiance des leaders politiques en l'institution qu'est le Conseil constitutionnel. C'est ainsi que la nomination de Keba Mbaye à la présidence du Conseil à contribuer à l'acception de l'institution ou sa reconnaissance par les leaders politiques. En effet Keba Mbaye à présidé aux destinées de la défunte Cour Suprême avant de se retrouver à la Cour Internationale de justice de la Haye au Pays-Bas, Keba Mbaye est un homme salué par l'ensemble de la classe politique pour son intégrité et son indépendance. Il affirmait au lendemain de sa nomination le 17 juin 1992 à la tête du Conseil constitutionnel « le président de la République me connaît très bien. Nous avons depuis longtemps des rapports personnels. Je dirais même que nous avons des liens d'amitiés. Mais il sait très bien que je préfère ma réputation de juge à son confort à lui comme président de la République »174(*) Ces propos ont par delà du parcours et du prestige de l'homme contribué à rassurer l'ensemble de la classe politique. Cependant peu de temps après sa nomination le président Kéba Mbaye démissionnera de son poste de président du Conseil.

Quant au président Youssoupha Ndiaye jusqu'avant sa nomination à la présidence du Conseil, il était le président de la Cour de Cassation. Il arrive à la tête de cet organe juridictionnel à un moment particulièrement difficile. A l'instar de son prédécesseur, il occupera les fonctions les plus prestigieuses de notre système judiciaire : président du tribunal de première instance de Dakar, conseiller secrétaire général de la Cour Suprême, premier président de la cour d'Appel, président de la Cour de cassation. Youssoupha Ndiaye dont la science juridique n'est contestée par personne est présenté dans certain milieu comme proche du pouvoir175(*). Il détient le record de longévité à ce poste jusqu'à ce jour. Deux ans après la survenance de l'alternance politique, il démissionnera de son poste pour occuper la fonction de ministre plus prestigieuse.176(*)

Enfin le dernier président nommé et qui préside actuellement l'institution est Mireille Ndiaye. Sa nomination a été fortement critiquée par la presse qui voit en sa nomination comme une simple promotion voire une récompense de la part du président de la République. En effet Mireille Ndiaye serait l'épouse d'un ancien proche du président Wade et numéro 2 du Pds dans les années 80. De sérieux soupçons de partialité pèsent sur elle.

En ce qui concerne les vices présidents, d'abord le premier vice président à savoir maitre Babacar Seye, la presse le décrit comme une personne ne présentant aucune ambiguïté dans son profil. Militant du parti socialiste, maitre Seye à été député-maire de Saint Louis et figure de proue de la politique. Selon Abdou Latif Coulibaly « il a un long passé de militantisme dans le PS »177(*). Lors des élections présidentielles de 1993, à la veille de la proclamation des résultats, il a été assassiné. Ce qui à provoquer l'arrestation de quelques leaders politiques de l'opposition dont le plus charismatique et le plus populaire de l'époque à savoir l'actuel président de la République maitre Abdoulaye Wade.

Il faut noter que ces dernières années le poste de vice président est confié au professeur de droit. Il ya eu d'abord la nomination du professeur agrégé de droit public en la personne de Babacar kanté. Ensuite celle récente du professeur Isaac Yankhoba Ndiaye en remplacement au professeur Kanté. La nomination d'Isaac Yankhoba Ndiaye n'a pas échappé à la critique de la doctrine et de certains ses collègues professeurs. D'abord parce qu'il est un professeur au surplus agrégé de droit privé. Or on considère que le droit constitutionnel ne peut s'épanouir qu'en présence des spécialistes du droit constitutionnel178(*). Ensuite la doctrine juridique considère que « le conseil a pour rôle principal d'interpréter la constitution, ce qui exige de ses membres des connaissances techniques approfondies179(*) ». Et J.Robert résume bien cette idée : « il faudrait, bien sur, qu'ils aient tous une compétence juridique leur permettant d'apprécier et d'assimiler rapidement les problèmes juridiques, qu'ils soient dégagés de toute appartenance politique partisane et qu'ils ne soient peut-etre pas tous très agés »180(*)

En réalité l'impact du mode de désignation sur les membres du Conseil et le profil des conseillers constitutionnels expliquent dans une certaine mesure le comportement du Conseil dans la vie politique et révèle les liens étroits qui peuvent exister entre le pouvoir politique et le comportement du Conseil. En effet le pouvoir politique influence la jurisprudence du Conseil. Ce dernier est très permissif par rapport au pouvoir.

Section II : Le lien entre l'hypertrophie du pouvoir politique et la position de faiblesse du Conseil et ses conséquences sur la vie politique

Dans cette partie nous montrerons que la stabilité ou l'instabilité constitutionnelle est dans une certaine mesure la conséquence de l'attitude du conseil dans la vie politique. En effet en prenant une position déterminée par rapport à sa mission, le Conseil est facteur d'équilibre ou de déséquilibre du régime politique.

* 166 Entretien avec Abdou Latif Coulibaly

* 167 Jacques Meunier, Le pouvoir du Conseil constitutionnel. Essai d'analyse stratégique, PUR n°198, LJDG, 1994, p.65

* 168 Ibid

* 169 Article 9 al 1er : «le président est chargé de l'administration du conseil»

* 170 Voir article 12 al 2

* 171 Article 10

* 172 Article 22

* 173 Article 3 de la loi organique 92-23 «le conseil comprend cinq membres nommés par décret pour 6 ans non renouvelables, dont un vice président''

* 174 Sud au Quotidien du 02 mars 1993, p.1

* 175 Sud au Quotidien du 03 mars 1993, n°21, p.1

* 176 Voir commentaire du professeur Ismaila Madior Fall in Recueil des Décisions et Avis du conseil constitutionnel. D'ailleurs cette la démission du président et sa nomination au poste de ministre est décrite par la presse comme un arrangement avec le président de la République qui pourra ainsi nommer au conseil une personne qui lui serait proche idéologiquement.

* 177 Propos recueillis lors de l'entretien avec Abdou L. Coulibaly

* 178 Entretien avec le professeur Elhadj Mbodj

* 179 Maurice Duverger, institutions politiques et droit constitutionnel

* 180 in Bulletin bibliographique, RDP, 1978, p.1511

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams