Le Conseil constitutionnel sénégalais et la vie politique( Télécharger le fichier original )par Mamadou Gueye Université Cheikh Anta DIOP de dakar - Doctorant en science politique et droit public 2011 |
Paragraphe II : Le conseil constitutionnel apprécié par rapport à son degré d'indépendance du pouvoir politique.D'après M. Samb, « l'indépendance de la justice s'exprime, de prime abord, par une autonomie à l'égard du pouvoir politique »97(*). Malgré les garanties textuelles d'indépendances98(*), les rapports entre pouvoir judiciaire et politique laissent apparaitre la domination du politique sur le pouvoir judiciaire. En effet depuis quelques années une séries d'incidents entre ces deux pouvoirs a fait croire à la majorité des sénégalais l'inefficacité de leur justice judiciaire et constitutionnel compris. L'image de la justice est ternie par plusieurs séries d'événements99(*) parmi lesquels on peut citer par exemple l'affaire opposant le Président du tribunal départemental de Dakar et l'une des épouses du ministre de la justice Serigne Diop. En effet il est établi que son départ est lié à l'incident qu'il a eu avec l'épouse du ministre. S'agissant du cas de M. Ba, Président du tribunal hors-classe de Dakar, il est fait état d'un appel du ministre en question lui faisant injonction sur une affaire concernant le partage du patrimoine d'Air Afrique, « conformément au voeu qu'aurait exprimé le chef de l'Etat en personne »100(*). Lui avait refusé catégorique de se plier à la volonté du ministre, ce qui lui a valu la détérioration de ses relations avec ce dernier. Ces histoire anecdotique montre que la situation actuelle aboutit à faire des magistrats des complices de l'exécutif. Celui ne manque pas de moyen pour contraindre des magistrats récalcitrants. Si un ministre de la justice a autant de moyen ou d'influence face au pouvoir judiciaire alors on peut se poser la question de savoir qu'elle est l'état des rapports entre le Président de la République, autorité toute puissante dont les pouvoirs sont hypertrophiés face au constitutionnel. En effet en France tout comme au Sénégal, le Président de la République n'a jamais déféré une loi au Conseil. Cette abstention peut se comprendre en période d'accord politique entre la majorité parlementaire, le Premier ministre et le Président de la République, ce dernier n'ayant aucune raison de contester les lois dont il est alors, peu ou prou, l'inspirateur. En période de cohabitation (ce qui peu probable au Sénégal) l'usage de ce pouvoir présidentiel peut paraitre plus facile, dans la mesure où, le chef de l'Etat n'ayant plus de responsabilité dans la détermination de la politique législative, il se trouve libre de contester les lois élaborées par un premier ministre et votées par une majorité parlementaire qui lui sont politiquement hostiles. Cependant, le face-à-face Conseil constitutionnel-Président de la République risquait de créer une situation politique délicate pour les deux institutions : pour le Conseil, qui serait accusé de soumission s'il donnait raison au Président, et d'usurpation s'il donnait tort au Premier magistrat de l'Etat, gardien de la Constitution ; pour le Président de la République, qui verrait son autorité morale et politique atteinte par un désaveu constitutionnel. C'est pourquoi le chef de l'Etat semble avoir préférer laisser ses amis parlementaires contester devant le Conseil la politique législative du Premier ministre....et saisir lui même l'opinion publique par l'usage d'une parole critique.101(*) Au Sénégal le Président ne se gêne pas à attaquer ouvertement le Conseil. Ce qui parait à la fois être une tentative d'intimidation et de domestification. On se rappelle de la colère du Président Wade suite à la décision du Conseil sur l'affaire relative à l'effigie du Président de la République102(*). Selon le Conseil constitutionnel, le « nom de Wade et la photographie du président de la République ne doivent pas figurer sur le bulletin de vote de la coalition Wade ». Cette décision a suscité une vive désapprobation du président Wade qu'il n'a pas manqué de porter à l'attention du Conseil à partir d'une lettre. Il s'en est suivi un échange de correspondances103(*). D'ailleurs Doudou Ndoye qualifie la lettre du Président de « demande d'explication injonctive faite au Conseil constitutionnel »104(*). D'ailleurs cet incident semble avoir provoqué la peur du conseil qui n'ose plus s'aventure hors des champs de ses compétences, c'est un conseil qui reste hermétiquement enfermé sur lui-même, sur ses compétences. D'ailleurs l'attitude de la présidente du Conseil avait été fortement décriée par l'ensemble de la classe politique et de la presse, qui lors de la prestation de serment du président Wade en 2007, n'a cessé de tarir d'éloge le Président Wade.105(*)Beaucoup d'observateurs avait analysé cette attitude de la présidente du Conseil, comme un acte d'allégeance faite au président Wade. N'en faut-il pas convenir avec Dominique Rousseau lorsqu'il affirme : « principe sans doute important, l'indépendance des juridictions se mesure cependant véritablement à l'indépendance de ses membres »106(*). Dans cette ambiance des rapports entre l'exécutif et le judiciaire, marquée de plus en plus par une prééminence de l'exécutif sur le judiciaire, le Conseil n'a pas voulu s'opposer à la toute puissance de l'exécutif, de devenir l'instrument de la société civile contre la société politique. Cette situation ternie beaucoup l'image du Conseil. De façon il est à noter que l'image du Conseil dans la vie politique n'est pas très reluisante. * 97 M. Samb, « La gouvernance politique : changement ou continuité ? », in Diop (M-C) (sous la dir. de), Gouverner le Sénégal. Entre ajustement structurel et développement durable, Karthala, 2004, p.41-69. * 98 Art. 88 : « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat, la Cour de Cassation, la Cour des Comptes et les Cours et tribunaux » * 99 Le limogeage de 3 juges. Sous la présidence du chef de l'Etat, l'instance supérieure des magistrats a prononcé le limogeage de M. Abdoulaye Ba, Président du tribunal hors-classe régional de Dakar, de M. Mamadou Dème, Président du tribunal départemental de Dakar et de M. Mamadou Baal, doyen des juges d'instruction du Tribunal régional de Dakar à la suite d'un différend de taille qui les opposait au ministre de la justice, le professeur Serigne Diop. Cf.., Sud Quotidien du 19 avril 20003, « Serigne Diop règle ses comptes » ; ou encore « le glaive contre la balance », in www.sudonline.sn * 100 Ces propos sont du ministre, il a même précisé que : « j'avoue que j'ai effectivement appelé le juge pour lui dire que l'Etat en l'occurrence, le ministre de l'économie et mon département qui était concernés par cette affaire aimeraient, conformément même à sa décision, voir remplacer le deuxième syndic qui ne voulait pas travailler. Et ainsi procéder à la nomination d'un second syndic. Je ne vois pas en la matière, une quelconque violation » in Sud Quotidien du 19 avril 2003 * 101 Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, 8ème édition Montchrestien, 2008, p. 186 * 102 Voir J.O du 28 juin 2001, p. 156 * 103 Voir le Soleil du mardi 10 avril 2001. * 104 Doudou Ndoye, La Raison. Valeur de modernité pour l'Afrique. EDJA. 2007. Collection l'Afrique du XXIe Siècle, p.56 * 105 Même certains ont contesté le fait que le Conseil se soit déplacé pour recueillir le serment de Wade au Stade Léopold Sédar Senghor. * 106 Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit, p 278 |
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