III REPONSE PROPOSEE : PROJET D'AIDE A LA MAITRISE DES
OUTILS DE LA CULTURE ECRITE A L'INTENTION DES JEUNES DE 16 A 25 ANS EN RUPTURE
SCOLAIRE
3 4. Cadre théorique retenu pour mon projet de
mise en place d'une action de remédiation et d'aide aux jeunes de 16
à 25 ans en situation d'illettrisme
a) Raisons et explications de cette forme d'illettrisme
Gérard Marandon, psychologue, nous permet d'entrevoir
des voies nouvelles possibles pour déterminer, avec précision,
l'enjeu d'une certaine forme d'illettrisme que je qualifierais, à l'aide
de ses réflexions, de situation d'illettrisme des jeunes de 16 à
25 ans du type« réfractaires » à l'institution
scolaire.
En effet, dans son article L'effet interculturel : du
décalage psychoculturel à la brèche psychoscociale
6, M. Marandon a distingué une classe de sujets
réfractaires à la formation et qui continuent à
résister aux contraintes des apprentissages formels et intentionnels et
à l'écriture. Il a remarqué qu'ils « sont
psychologiquement tout à fait structurés, malgré le
handicap socio-professionnel que constitue pour eux leur problème
d'alphabétisation non fonctionnelle »7.
Dans une recherche psychologique qu'il a menée
auprès de ces jeunes en situation d'illettrisme 8,
Gérard Marandon a retenu trois facteurs expliquant leurs
difficultés devant l'écrit : l'activité
verbo-cognitive9 (activité psychologique spécifique
incluant la conscience phonologique, la subvocalisation et le langage
intérieur, les représentations des relations entre oral et
écrit, qui permet la mise en place d'une pensée
verbale10, dont la valeur prédictive est déterminante
pour l'apprentissage des pratiques d'écritures), l'attitude à
l'égard de l'oral et de l'écrit et l'affirmation de soi.
6 L'effet interculturel : du décalage
psychoculturel à la brèche psychosociale, MARANDON,
Gérard, in Illettrismes : quels chemins vers l'écrit ?
coordonné par ANDRIEUX, F., BESSE, J.-M. FALAIZE, B., éd.
Magnard, Paris, 1997.
7 Alphabétisation non fonctionnelle : autre
terme utilisé par M. MARANDON pour désigner l'illettrisme
8 MARANDON, Gérard, Contribution
à l'étude de l'alphabétisation non fonctionnelle des
adultes (« illettrisme ») : approche psychologique
pluridimensionnelle de sujets rencontrant des difficultés pour lire et
écrire, thèse de doctorat de psychologie, Toulouse,
Université de Toulouse Mirail, 1992
A propos de cette catégorie d'illettrés, le
psychologue avance la thèse selon laquelle ils seraient victimes d'une
situation d'illettrisme qu'il appelle « illettrisme interculturatif
»11
Avant d'étayer sa thèse, M. Marandon
évoque certaines généralités théoriques
inspirées par l'approche interculturaliste des problèmes
psychologiques et sociaux.
« En effet l'illettrisme renvoie à l'échec
scolaire. Etre en échec scolaire signifie qu'on a échoué
à l'école, sans exclure cependant qu'on aurait pu réussir
ailleurs, dans le cadre socioculturel d'où l'on est issu, et qui n'est
généralement pas le pendant de l'école.
Qu'on se rappelle qu'à l'école le
pré-requis primordial de la réussite est d'être prêt
à développer la compétence la plus caractéristique
de la pensée occidentale, celle qui consiste à abstraire des
contenus d'information en les décontextualisant, afin de leur appliquer
un ensemble de traitements systématiques : catégorisation et
classification, saisie et mise en mémoire, opérations logiques.
L'ennui, c'est qu'à leur arrivée à
l'école, les élèves qu'on entraîne vers ces
activités d'abstraction n'y ont pas nécessairement
été préparés dans leurs cadres familiaux et
socioculturels. Pour nombre d'entre eux, en effet, ce n'est pas ainsi que l'on
procède pour faire face aux situations quotidiennes et pour
résoudre les problèmes qu'elles peuvent poser.
Ainsi, au moment des repas, on ne parle pas beaucoup et, plus
généralement, dans les échanges familiaux ou sociaux, on
ne fait pas particulièrement attention à la façon dont on
s'exprime, car l'important est avant tout le sens de ce que l'on dit et son
efficacité pour atteindre les objectifs - explicites ou non - de la
situation de communication.
9 p. 116, op. cité, L'effet
interculturel : du décalage psychoculturel à la brèche
psychosociale, MARANDON, Gérard
10 p. 489, VYGOTSKI, Lev, Pensée et
langage, éd. La Dispute , Paris, 1997
11 op. cité, p. 123, L'effet
interculturel : du décalage psychoculturel à la brèche
psychosociale
En outre, on ne passe pas son temps à commenter ou
à analyser événements et situations et, en
réalité, on ne réfléchit que lorsqu'on en
éprouve réellement le besoin. D'ailleurs, quand on a quelque
chose à exprimer, on évite les détours linguo-cognitifs
les plus coûteux : on le fait savoir d'une manière ou d'une autre
et des manières, on en connaît bien d'autres que celles consistant
à tout expliquer. »12
Or, à l'école on privilégie notamment :
- la déduction,
- la formalisation,
- l'attention individuelle assidue et, plus
généralement, la secondarisation des conduites,
- l'indépendance à l'égard du contexte,
- la relation aux choses plutôt qu'aux gens,
- l'apprentissage formel et intentionnel, plutôt que
l'acquisition incidente,
- le métalinguistique et le métacognitif,
Plus généralement on se réfère :
- à des valeurs,
- à des croyances (sur la validité des
préférences cognitives, sur la valeur de l'étude
silencieuse, etc.),
- à une idéologie (positiviste et laïque),
- on impose des codes spécifiques (le français
scolaire),
- on initie (dans les deux sens du terme) à des
pratiques d'étude (procédures de raisonnement et
stratégies d'apprentissage) et à des conduites individuelles et
collectives valorisées, dont certaines relèvent sans conteste de
la ritualité (épreuves de contrôle, de franchissement de
niveau)
Ces différents référents renvoient en
fait à l'essentiel des composantes utiles à la description d'une
culture, toutes les formes de culture, les cultures ethniques et nationales,
mais aussi les cultures régionales, religieuses, sexuelles,
générationnelles, organisationnelles.
12 op. cité, p. 123
C'est donc tout naturellement que l'on peut parler d'une
culture scolaire et, depuis trois bons siècles qu'a commencé la
scolarisation, cette culture scolaire n'a pas manqué de marquer les
esprits et de contribuer à la constitution de la culture dite standard,
celle-là même qui permet aux couches aisées et moyennes de
la population de coexister autour d'un certain nombre de
référents culturels communs, dont l'école est le creuset
et le vecteur.
Il y a, de fait, de moins en moins de solution de
continuité entre les composantes culturelles de ces milieux et la
culture scolaire. Lorsque les enfants issus de classes favorisées,
arrivent à l'école, ils ne ressentent pas de rupture culturelle :
pour l'exprimer d'une image, ils changent de piscine, ce changement de cadre,
on le sait, favorisant la socialisation, mais ils continuent à
évoluer dans la même eau. En réalité, pour ceux-ci,
les conditions de la réussite sont posées dès la
naissance.
Or, pour des raisons historiques, géographiques et
socio-économiques, mais aussi parce que la variabilité est le
propre de tout système symbolique - et donc de ces systèmes de
systèmes symboliques que sont les cultures - et également parce
que la différence est nécessaire à l'ordre, il y a -
indépendamment des cultures de l'immigration - en France comme ailleurs,
d'autres communautés culturelles déterminées par d'autres
facteurs sociaux (familles monoparentales, traversant des difficultés
économiques, venant de milieux particuliers ...) qui diffèrent de
la culture standard.
Lorsque ces enfants des communautés, décrites
précédemment, arrivent à l'école, l'approche
interculturaliste pose qu'ils sont en situation d'interculturation,
c'est-à-dire dans une situation de décalage psychoculturel,
perturbante et frustrante, qui les oblige à déployer un
surcroît d'énergie et d'activité psychologique, afin de
trouver des solutions qui leur permettent de parvenir à une situation
personnelle de moins en moins problématique et stressante.
Ces enfants de tous milieux ont donc besoin d'être
accompagnés, soutenus et guidés dans ce genre d'entreprise
impliquant de modifier ses acquis antérieurs, et les diverses
références (valeurs, croyances, représentations, attitudes
collectives, normes) sur lesquelles sont ancrées les habitudes
interprétatives, les schèmes d'action et de pensée : bref
tout ce qui constitue la charpente identitaire de tout sujet.
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