Section 1 : Insuffisances du régime
juridique de la propriété au Sénégal :
Du fait que presque toutes les dispositions applicables au
Sénégal en matière de propriété sont
d'origine française, il est ainsi possible de se rendre compte de la
violation de la règle de la territorialité des lois (Paragraphe
1). Aussi une seconde insuffisance sera notée à la suite de
l'examen de la situation des lois et décrets d'application du code civil
français au Sénégal (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Violation de la règle de la
territorialité des lois :
Cette violation s'exprime comme nous l'avons souligné
antérieurement, par l'application d'une loi étrangère (A)
qui il faut le dire n'est pas toujours adaptée aux
réalités sénégalaises (B).
A- Application d'une loi
étrangère :
En vertu de l'article 91 de la constitution
sénégalaise de 1963 « les lois et règlements
actuellement en vigueur, lorsqu'ils ne sont pas contraires à la
présente constitution, resteront en vigueur tant qu'ils n'auront pas
été modifiés ou abrogés. » Signalons que
pendant la période coloniale le code civil français a
été rendu applicable au Sénégal par
l'arrêté gubernatorial du 15 Novembre 1830 et est resté en
vigueur jusqu'à l'indépendance. Ainsi le code civil
français qui n'est pas contraire à la constitution de 1963 et qui
n'a pas été abrogé continue donc de s'appliquer au
Sénégal mais pour l'essentiel en ce qui concerne les dispositions
relatives au droit de propriété. En effet après
l'indépendance, le Sénégal s'est doté d'un code des
obligations civiles et commerciales, cependant la plus grande lacune de ce code
réside dans le fait qu'il y a une absence totale de dispositions
consacrées au droit de propriété surtout la
propriété immobilière.
Cette solution du maintien de l'application du code civil
français pour ses dispositions relatives au droit de
propriété après l'indépendance du
Sénégal, constitue une décision discutable du fait
notamment du principe de la souveraineté nationale du
Sénégal et de la règle de territorialité de la
législation nationale française. En effet selon l'article 1
alinéa 1 du code civil français « les lois sont
exécutoires dans tout le territoire français, en vertu de la
promulgation qui en est faite par le roi (le président de la
république). » Au regard de cet article nous pouvons affirmer
que le code civil français a un domaine d'application spatial
délimité par le législateur français et qui est
constitué du territoire français et des territoires d'outre-mer.
Et même dans ces territoires d'outre-mer les dispositions
législatives modifiant une loi applicable dans ce territoire n'y sont
applicables que lorsqu'elles ont été étendues à ce
territoire d'outre-mer par une disposition expresse1. Ainsi donc si
l'application du code civil français s'expliquait pendant la
période coloniale, puisque la colonie était administrée
par l'Etat colonisateur, il n'en est plus le cas aujourd'hui. En effet comme
nous le soulignions antérieurement la souveraineté de l'Etat du
Sénégal devrait s'opposer à l'application d'un code
étranger aux problèmes soulevés dans notre pays. Surtout
que les dispositions du code civil français ne sont pas toujours
adaptées aux réalités sénégalaises ou sont
méconnues de la population malgré l'adage selon lequel
« nul n'est censé ignorer la loi. »
B- Inadaptation pour l'essentiel des dispositions
du code civil français aux réalités
sénégalaises :
Les dispositions du code civil français applicables au
Sénégal en l'occurrence le droit de propriété sont
pour l'essentiel inadaptées aux réalités
sénégalaises. En effet sur le plan de la culture la France et le
Sénégal et plus généralement l'Afrique et l'Europe
sont marqués dans ce domaine par une différence notoire. Pour
nous en rendre compte nous allons-nous interroger sur l'effectivité de
l'application des dispositions du code civil français au
Sénégal.
Ainsi pour ce qui est de l'usufruit c'est-à-dire le
droit de jouir et de disposer des choses dont un autre a la
propriété, comme le propriétaire lui-même, mais
à la charge d'en conserver la substance, nous pouvons affirmer que c'est
une notion qui n'est pas très effective dans son application dans notre
pays. En effet en dehors de l'usufruit accordé aux parents sur les biens
de leurs enfants mineurs, qui par ailleurs peut se justifier au
Sénégal par l'autorité parentale qui est très forte
dans notre pays, les autres formes d'usufruits sont quasiment inexistantes.
Ainsi les autres formes légales d'usufruit et celles conventionnelles ne
sont presque pas connues au Sénégal.
La cause de cette ineffectivité de la notion d'usufruit
au Sénégal peut s'expliquer par l'utilité qu'on lui
prête parfois en France et qu'elle ne remplit pas au
Sénégal. En effet en France dans une succession sans dispositions
à cause de mort, si tous les enfants sont ceux des deux époux, le
conjoint survivant recueille à son choix soit l'usufruit de la
totalité des biens existants soit la pleine propriété du
quart de ces biens. Si au contraire un ou plusieurs enfants ne sont pas issus
des deux époux, le conjoint survivant recueille la pleine
propriété du quart des biens1. Ainsi donc en droit
français l'usufruit joue un rôle très important en
matière de succession et permet d'éviter certains conflits
pouvant naître entre les auteurs du de cujus.
En revanche au Sénégal cette règle du
droit français concernant le rôle de l'usufruit en matière
de succession ne peut pas prospérer du fait que pour l'essentiel au
Sénégal le régime de la succession est organisé par
le droit musulman qui a des règles différentes par rapport
à celles françaises.
Par ailleurs cette ineffectivité peut être
constatée en examinant le contentieux en matière de droit de
propriété au Sénégal. En effet il est rare voir
impossible de trouver des décisions rendues par nos cours et tribunaux
et concernant une affaire relative à l'usufruit. Pour l'essentiel les
décisions sur le droit de propriété au
Sénégal sont relatives à la propriété
foncière qui est organisée par des lois d'origine
sénégalaise. Ainsi les autres dispositions françaises en
matière de droit de propriété et applicables au
Sénégal à savoir le droit d'accession, la servitude, etc.
subissent presque tous le même sort que l'usufruit. A côté
de cette violation de la règle de la territorialité entrainant
une ineffectivité de certaines règles en matière de droit
de propriété, une seconde insuffisance sera notée à
l'examen des lois et décrets d'application du code civil français
au Sénégal.
Paragraphe 2 : Situation des lois et
décrets d'application du code civil français au
Sénégal :
Dans la pratique chaque texte de loi est accompagné par
des lois et décrets d'application qui éclaircissent certaines
dispositions et limitent certains droits accordés par la loi. Ainsi ces
lois et décrets d'application participent pour une bonne application des
textes de loi. Cependant dans notre pays, où certaines dispositions du
code civil français sont applicables, il y a une absence de prise en
compte des lois et décrets d'application du code civil (A). Et cette
situation a entrainé une insuffisance dans l'application du code civil
au Sénégal (B).
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