I.C.2. PROGRAMME D'ECHANGE DE
SERINGUES
Un accès facile aux seringues est une condition
nécessaire de la réduction de la transmission du VIH. Une large
disponibilité des seringues doit conduire à réduire encore
les diverses formes de partage des seringues ou leur réutilisation
même personnelle, le nombre de seringues usagées en circulation ou
abandonnées sur les lieux publics et l'incitation à des pratiques
sexuelles à moindre risques.
Par définition, les PES sont des projets animés
par une équipe d'intervenants divers (travailleurs sociaux,
médecins, infirmiers, ex-usagers de drogues) et destinés aux
usagers de drogues ne fréquentant pas ou peu les lieux de soins et les
circuits médico-sociaux institutionnels auxquels ils offrent un premier
contact sans contrainte. Les PES oeuvrent dans des conditions variables (sur
site fixe et fermé ou en milieu ouvert de façon itinérante
type bus/travail de rue).
Bien que la plupart des pays d'Europe distribuent
désormais du matériel d'injection stérile, la nature et
l'étendue du service varient selon les pays. Le modèle le plus
courant est la fourniture de ce service dans un endroit fixe,
généralement une structure spécialisée, mais
souvent, l'offre est complétée par des services itinérants
(bus) qui tentent d'atteindre les usagers de drogue dans des lieux
communautaires. L'échange de seringues et les distributeurs de seringues
complètent les services PES disponibles dans huit pays, même si
l'offre semble limitée à une poignée de sites, l'Allemagne
et la France étant les seuls pays à faire état d'une
activité importante dans ce domaine (respectivement 200 et 250 automates
environ). L'Espagne est le seul pays de l'UE où des programmes
d'échange de seringues sont disponibles dans les prisons, ce service
existant dans 27 prisons en 2003. Le seul autre État membre de l'UE
à faire état d'une activité dans ce domaine est
l'Allemagne, où le service est limité à une seule
prison.
La mesure de la couverture des programmes d'échange de
seringues est un aspect important pour comprendre les effets probables de la
distribution de seringues sur la prévention des maladies et
évaluer les besoins non satisfaits. Cependant, pour interpréter
ces données, il convient de tenir compte de la distribution de seringues
dans le cadre des ventes en pharmacie (prix, densité du réseau de
pharmacies) ainsi que des habitudes comportementales des UDI et de facteurs
environnementaux. D'autre part, l'achat de seringues en officine peut
constituer une source importante de contact avec le service sanitaire pour
certains usagers de drogue par voie intraveineuse et il existe clairement une
possibilité d'exploiter ce point de contact pour mener à d'autres
services. Le travail de motivation et de soutien des pharmaciens à
développer les services qu'ils offrent aux usagers de drogue pourrait
être un volet important de l'extension du rôle des pharmacies mais,
à ce jour, seuls la France, le Portugal et le Royaume-Uni semblent
investir véritablement dans ce sens
Il est notoire que de nombreux facteurs influencent la
fréquence d'injection chez les usagers de drogue, comme les habitudes de
consommation, le degré de dépendance et le type de drogue
consommée. Une étude récente portant sur la relation entre
la prévalence du VIH et la couverture des programmes de distribution de
seringues suggère que des facteurs comportementaux, par exemple la
fréquence d'injection et la réutilisation personnelle de
seringues, influencent fortement le niveau de distribution de seringues
nécessaire pour parvenir à une diminution sensible de la
prévalence du VIH (Vickerman et al., 2006). Tous les UDI ne s'exposent
pas aux mêmes risques de transmission du VIH et n'ont pas la même
motivation à se protéger. Aussi, les interventions en
prévention du VIH peuvent cibler les UDI selon leur niveau de risque et
leur motivation à adopter des comportements préventifs.
En résumé, au-delà de l'accès aux
seringues stériles, d'autres mesures peuvent être adoptées
pour permettre de lutter efficacement contre la transmission du VIH chez les
UDI. Par exemple, des mesures visant à réduire l'exclusion
sociale des UDI, des interventions visant une prise en charge personnelle et de
groupe, l'accès à des locaux d'injection supervisés,
à des programmes de prescription médicale d'héroïne
peuvent faire toute la différence pour un UDI qui tente
désespérément de rattraper le fil de sa vie. Ces
expériences, qui ont été tentées avec succès
(Dolan et al, 2000 ; Wood et al, 2001 ; Comité FPT, 2001),
s'avèrent utiles pour la prévention du VIH, mais aussi pour
limiter les autres effets néfastes liés à la consommation
de drogues par injection comme la criminalisation, la marginalisation et la
désorganisation sociale des individus.
Il faut cependant préciser qu'un engagement
général en faveur d'une approche globale ne signifie pas que les
différents services sont développés ou soutenus de la
même manière au niveau national. Pourtant, un certain consensus
semble se dégager. Dans une enquête menée auprès des
points focaux nationaux, trois personnes interrogées sur quatre
jugeaient que les programmes d'échange de seringues combinés
à des conseils et une orientation étaient une priorité de
la politique nationale concernant la propagation des maladies infectieuses
parmi les usagers de drogue par voie intraveineuse. La reconnaissance explicite
par autant de pays du rôle joué par la fourniture de
matériel d'injection propre dans le cadre de leurs stratégies de
prévention du VIH illustre bien le fait que ce type de service est
devenu essentiel dans la majeure partie de l'Europe et n'est plus
considéré comme un sujet de polémique dans la plupart des
pays. Cela ne signifie pas pour autant qu'il existe un consensus
général sur les avantages de ce type de service. La Grèce
et la Suède, par exemple, n'en ont pas fait une priorité
politique, même si, dans l'ensemble, l'image qui se dégage en
Europe en termes de mise en oeuvre d'interventions dans ce domaine est
relativement homogène, tous les pays, à l'exception de Chypre,
ayant déclaré l'existence de programmes d'échange ou de
distribution de matériel d'injection stérile
Cas de la France:
En France, l'Observatoire français des drogues et des
toxicomanies (OFDT) estime entre 170 000 et 190 000 le nombre d'usagers de
drogues (UD), dont un peu plus de la moitié pourraient être des
injecteurs actifs. Afin de minimiser le risque d'infections en lien avec
l'usage de drogues, une politique de réduction des risques a
été mise en place en France, il y a une dizaine d'années.
Le premier outil de la réduction des risques est la
libéralisation de la vente des seringues en pharmacie en 1987, suivie au
début des années 1990 des programmes
d'échange de seringues, de la diffusion des traitements
de substitution aux opiacés (le Subutex® ou
Buprénorphine en 1994 et la méthadone en 1995),
et de l'accès aux soins avec la création des premiers dispositifs
bas seuil à partir de 1993. Implantés à titre
expérimental dès 1989, les PES sont reconnus officiellement
depuis 1995 dans le cadre de la politique de réduction des risques. En
France, les officines fournissent la majeure partie des seringues aux usagers
injecteurs (treize millions de seringues vendues en pharmacies pour deux
millions distribuées par les associations).
Enfin, concernant la plupart des Pays en Développement
(qui ne font partie de notre étude par manque ou absence de
données) où la consommation de drogue s'est
développée, des problèmes similaires à ceux que
connaissent les pays industrialisés émergent. Les conditions
socio-économiques et le manque de connaissances sur les risques
liés à l'usage de substances psychotropes rendent les toxicomanes
plus vulnérables. La consommation de drogue a pris une ampleur et des
formes d'autant plus inquiétantes que ces pays sont moins armés
que les pays industrialisés pour y faire face. Les études
montrent que le VIH s'est développé de façon
extrêmement rapide dans les populations de consommateurs de drogues.
Ainsi à Bangkok, la prévalence a grimpé de 2% à 40%
en moins de deux ans. Le VIH est particulièrement dangereux dans ces
pays car il interagit avec des infections communes comme la tuberculose et avec
la malnutrition. Le contexte ne facilite pas non plus une prise en charge
nationale du problème de la toxicomanie. Enfin, l'obstacle le plus
évident à une prise en charge des toxicomanes reste celui des
moyens disponibles. Il existe un manque évident d'infrastructures et de
compétences, la priorité n'étant souvent pas donnée
aux secteurs de la santé et encore moins à ce type de besoins
spécifiques.
Le but de notre travail est de produire des résultats
économiques utiles pour les chercheurs et les décideurs
économiques pour renforcer les politiques RdR et endiguer l'incidence du
VIH chez les toxicomanes.
L'exploitation de ces résultats pourrait constituer un
argument politique fort pour la mise en place de ces programmes dans les pays
en développement.
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