CHAPITRE III : MISE EN EVIDENCE DU ROLE DES
DIFFERENTS
INTERVENANTS PAR L'EXEMPLE TRES MEDIATISE DU
BANNISSEMENT DES NAVIRES PETROLIERS SIMPLE COQUE
Afin d'appréhender la complexité
législative en matière de sécurité maritime et les
relations parfois houleuses entre les différents organes
régulateurs, l'étude de la réglementation en
matière de pétroliers double coque s'avère
nécessaire, cet exemple étant parfaitement représentatif
et qui plus est d'actualité avec les derniers évènements
qui ont suivi la catastrophe du Prestige.
L'étude de ce cas permettra également la
transition entre l'étude de l'initiative de la réglementation et
l'étude du respect de cette réglementation.
Il est possible de distinguer deux périodes bien
distinctes en matière de lutte contre la pollution par hydrocarbure, la
première étant intégralement dominée par l'OMI et
consistait à lutter essentiellement contre la pollution
opérationnelle, la seconde, la plus intéressante pour notre
étude, a vu l'émergence de la remise en cause du monopole de
l'OMI en matière d'élaboration de réglementation en
matière de sécurité maritime.
§3.1 : L'OMI , LEADER DE LA REGLEMENTION
Considérons la première période qui
s'étend jusqu'à l'accident de l'EXXON VALDEZ :
Les pétroliers de plus en plus gros mais très
simples du point de vue de la conception n'étaient constitués,
pour la partie cargaison, que de citernes à cargaison.
Considérant qu'un navire, et surtout un pétrolier, peut
être assimilé à une poutre, le navire ne peut effectuer de
traversée complètement vide pour des raisons d'efforts
structurelles. Pour cette raison, les pétroliers ballastaient à
l'eau de mer, une partie des citernes préalablement chargées de
pétrole. Cette quantité étant importante, une grande
partie était directement rejetée en mer avant l'arrivée au
port de chargement.
Sous l'égide de l'OMI l'élaboration de la
convention MARPOL 73/78 imposa les navires à ballasts propres,
c'est-à-dire des citernes du navire destinées uniquement au
ballastage et dont la répartition avait fait l'objet de calculs
d'efforts lors de la construction du navire.
Dans ces conditions les eaux de ballasts n'étaient plus
souillés et la pollution opérationnelle supprimée. L'autre
opération qui représentait une pollution opérationnelle
était le rejet des eaux de lavage des citernes. En effet il est
indispensable de laver les citernes après déchargement soit pour
préparer les citernes au prochain chargement soit pour supprimer une
partie des résidus. Cette eau de lavage souillée par les
hydrocarbures était rejetée directement en mer.
Toujours par la convention MARPOL, l'OMI a instauré des
mesures techniques pour éliminer cette pollution : un calculateur
de particules contenues dans les rejets est depuis obligatoire sur le circuit
de rejet à la mer après décantation obligatoire
d'où l'apparition de citernes de rétention, appelées
slops ; ce calculateur doit interdire le déchargement par action
sur la vanne de rejet à la mer si la teneur d'hydrocarbure dans l'eau de
mer rejetée est supérieure, aujourd'hui, à 15 ppm (parties
par million). De plus d'autres critères sont associés à
cette mesure comme l'élaboration de zones dîtes spéciales
dans lesquelles il est formellement interdît de rejeter les eaux de
lavage, le navire doit faire route, être à une certaine distance
de la côte, la quantité rejeté ne devant dépasser
1/15000 de la cargaison totale chargé dans un premier temps pour les
navires existants, puis 1/30000 par la suite pour les navires post MARPOL.
Concernant le risque de voir le navire se rompre, l'OMI a
imposé un calculateur de chargement qui doit être
agréé par des services techniques ( société de
classification) et qui doit permettre avant chaque chargement de
vérifier que les efforts sur la structure du navire soient
inférieurs à des limites préalablement établies par
calculs lors de l'élaboration du navire. Les navires qui sont conforment
à MARPOL reçoivent de la part de l'Etat du pavillon le certificat
IOPP, indispensable à toute navigation.
Ces mesures établies lors de conventions
internationales sous l'égide de l'OMI avait pour but de réduire
les pollutions par hydrocarbure et seule l'OMI, bien sûr sous la pression
des états côtiers victimes de pollution, était
génératrice de ces mesures.
En 1989, l'accident de l'EXXON VALDEZ a marqué un
tournant dans le processus d'élaboration des textes en matière de
pollution par hydrocarbure et dans un contexte plus large, en matière de
sécurité maritime. Le contexte, la pollution étant
survenue dans une région protégée sur le plan de
l'environnement, sous la responsabilité des états unis, aura
comme effet non pas d'ébranler l'édifice de l'OMI mais tout au
moins de remettre en cause son monopole en matière d'élaboration
de règlement de sécurité maritime.
§3.2 : APPARITION DES ETATS-UNIS ET DE L'UNION
EUROPEENNE DANS LE DOMAINE DE L'ELABORATION DES TEXTES:
A peine quelques mois après la pollution causée
par l'EXXON VALDEZ, les Etats-Unis de manière unilatérale
imposaient, en 1990, un train de mesures intégrées dans un texte
appelé OPA90 ( Oil Pollution Act ).
Parmi ce train de mesures, sans doute la plus importante sur
le plan de la sécurité, est l'obligation pour tout
pétrolier neuf (s'entend avant 1995 ) à destination d'un port
américain d'être de conception double coque, cette mesure
étant assortie d'un échéancier s'étalonnant
jusqu'en 2015. L'importance des échanges économiques avec les
Etats-Unis est telle que cette mesure unilatérale s'est rapidement
imposée dans le milieu maritime et en 1993 était reprise par
l'OMI avec une modification de l'Annex I Marpol mais avec un retrait
prévu jusqu'en 2026.
Les autres mesures, importante du point de vue
économique pour le professionnel mais moins médiatiques, sont
l'instauration d'un contrat annuel obligatoire avec un organisme privé
faisant la liaison avec les US Coast Guard, les moyens antipollution et les
autorités fédérales, appelé Qualify Individual et
une société de remorquage. Ces mesures ont un coût
économique annuel important.
C'est aujourd'hui la première des mesures cités
qui est sous les feux de l'actualité, pour plusieurs raisons : la
première étant que cette solution technique est aujourd'hui de
plus en plus remise en question, la deuxième parce que l'Union
Européenne, de part sa politique commune maritime, a pris des mesures
pour accélérer l'exclusion des pétroliers simples coques
allant au-delà du calendrier élaboré par l'OMI, ce qui a
créé des tensions entre l'OMI et l'UE.
Revenons sur le premier point,la solution technique : Il
ne fait aucun doute que cette décision a contribué à
réduire les pollutions opérationnelles car l'espace
créé par la double coque sert de ballast permanent ainsi les eaux
de ballast ne sont jamais en contact avec la cargaison, même les circuits
étant séparés. Sur le plan des accidents également
cette mesure est bénéfique mais pas pour les raisons au
préalable évoquées par les Etats Unis. En effet, la flotte
existante de pétroliers simples coques avant cette mesure était
quasiment inexistante, cette mesure a donc permis un rajeunissement de la
flotte mondiale ; ce qui est remis en question aujourd'hui est
l'efficacité de la double coque en cas d'échouement et sa
qualité structurelle dans le temps ; en effet il est certain que la
double coque ne puisse résister à une collision ou un
échouement à une vitesse d'environ 4-5
noeuds, pouvant même rendre explosif l'atmosphère
du ballast qui devient dans ce cas un mélange gaz d'hydrocarbure / air.
De plus l'atmosphère de l'espace qui sert donc de
ballast est, une fois le navire chargé et donc déballasté,
composé d'air sur un environnement salin ce qui la rend très
corrosive pour les matériaux, la question ainsi posée aujourd'hui
par les professionnels est l'efficacité de ce système dans le
temps si les mêmes armateurs douteux, qui exploitent même encore
aujourd'hui des simples coques, n'effectuent pas la maintenance adéquate
permettant de maintenir la coque en bon état.
A l'époque de l'apparition de l'OPA, un chantier
européen (les chantiers de l'Atlantique) construisait un
pétrolier qui de part sa conception limitait les pollutions même
en cas d'échouement ou de collision à vitesse importante. L' EEE
(tel était le nom du projet pour Environnement Economique
Européen) était basé sur le principe des équilibres
statiques. Malheureusement ce système n'étant pas retenu par les
E.U, un seul de ces tankers a été construit et navigue encore.
Tant et si bien que seul le système double coque a
été instauré tout d'abord par le biais des Etats Unis et
inévitablement par l'OMI, OMI qui à l'époque n'a pas si
ouvertement protesté pour dénoncer l'ingérence des E.U
qu'elle ne le fait aujourd'hui pour les mesures imposées par l'Union
Européenne.
(Il est bon de noter que si dans le cadre de l'OPA seule
l'option double coque a été retenue, la convention MARPOL a
retenue la double coque ou tout autre système équivalent en
matière de rétention de pollution.)
En effet jusqu'à la catastrophe de l'ERIKA les choses
étaient ainsi instaurées : un échéancier de
retrait des navires simples coques avait été établi par
l'OMI reprenant les propositions des Etats Unis en la question.
Suite au naufrage de l'ERIKA, la Commission Européenne
a pris une série de mesures dont l'une est un règlement
prévoyant une accélération du calendrier
d'élimination des pétroliers simple coque(25) et
deux directives concernant le contrôle des sociétés de
classification (26) et le contrôle par l'Etat du port
(27).
(25) : Règlement (CE)
n°417/2002
(26) : Directive 2001/105/CE du
Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 2001 modifiant la
directive 94/57/CE du Conseil.
(27) : Directive 2001/106/CE du
Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 2001 modifiant la
directive 95/21/CE du Conseil.
Le règlement a fait l'objet d'une approche
européenne commune qui a abouti au sein de l'OMI en avril 2001 où
la position communautaire a été largement retenue.
Ce règlement est entré en vigueur le 27 Mars
2002 et prévoit un retrait des pétroliers simples coques pour
2015 au lieu de 2026 pour le calendrier de l'OMI.
Malheureusement, sans revenir sur l'étude
réalisée dans le chapitre consacré à l'action de la
Communauté Européenne, entre la volonté et la
réalisation , le délai est suffisamment long pour que la
catastrophe du PRESTIGE survienne. A la suite de cette catastrophe, Mme Loyola
de Pallaccio, la commissaire aux Transports et à l'Energie, a
déclaré que si les mesures envisagées par la commission
européenne avant les discussions de la position commune étaient
applicables au jour de l'accident, le PRESTIGE n'aurait pas navigué et
l'accident n'aurait pu survenir. De plus en tant que vieux bateaux (26 ans,
simple coque), le Prestige entrait dans le champ des navires à
éliminer si la plupart des Etats avaient tenu leur engagement
d'appliquer immédiatement ces mesures avant la transposition des
directives, engagement obtenu pendant le sommet de NICE
(28).
A nouveau le 27 Mars 2003 les ministres des Transports de l'UE
se sont réunis à Bruxelle et ont dégagé un accord
politique sur un calendrier accéléré (avancement de la
date butoir de 2015 à 2010 ) de retrait des pétroliers à
simple coque qui devrait être applicable dès juillet 2003 ;
l'on voit ici le soucis d'intervenir très rapidement au niveau
européen.
Ces nouvelles règles s'appliqueront non seulement
à tous les pavillons Européens mais aussi aux pavillons
étrangers à destination d'un port ou mouillage relevant de la
juridiction d'un Etat membre. Bien que les services juridiques du Conseil
Européen a estimé que cette disposition n'était pas
contraire au droit international de la mer, qui permet aux Etats d'imposer des
normes plus strictes que celles en vigueur au niveau international pour des
raisons de sécurité maritime, un expert de l'OMI a estimé
contraire au droit international en mer cette mesure, lors de la
dernière audition du Parlement Européen sur la catastrophe du
Prestige.
L'OMI ne voit pas d'un oeil favorable que l'Union
Européenne prennent des initiatives de la sorte , même si sa
légitimité ne fait plus aucun doute pour la zone
géographique de l'Europe, et s'appui
(28) : propos de J.C. Gayssot :
L'Humanité du 21 Nov 2002 .
maintenant sur la présidence Européenne de la
Grèce qui est plutôt favorable au maintien des prérogatives
de l'OMI .
Le cas des Etats-Unis avec l'OPA était alors encore
plus outrageant pour l'OMI car il ne s'agissait alors même pas d'une
position commune d'un regroupement d'états souverains mais bel et bien
d'une décision unilatérale.
Les Etats membres et la commission tentent maintenant de faire
adopter ce nouveau calendrier au niveau de l'Organisation Maritime
Internationale pour une application mondiale.
Dans cet exemple nous avons vu que trois niveaux sont
déjà intervenu dans le dossier du retrait des navires
pétroliers simple coque, tout d'abord le niveau national avec les
Etats-Unis, suivi par le niveau international mondial avec l'OMI qui a repris
dans MARPOL les dispositions de l'OPA90 en matière de calendrier de
retrait des simple coque, puis le niveau Européen qui lui tente
d'accélérer ce retrait en essayant d'imposer des dispositions qui
lui sont propres.
Dans cette première section nous avons
étudié ce qui se passe en amont de la réglementation de la
sécurité maritime, mais un autre aspect qui joue un rôle
important en la matière concerne le respect de cette
réglementation et là encore de nombreuses déficiences
pourront être dénoncés.
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