PREMIERE PARTIE : LA SECURITE MARITIME
Section 1 : SOURCE ET LEGITIMITE D'UNE REGLEMENTATION SANS
CESSE EN ESSOR :
Il convient tout d'abord d'analyser le processus
d'élaboration d'une réglementation en matière de
sécurité maritime avant d'étudier à qui la
tâche de cette élaboration doit ou peut être
attribuée.
SOUS
SECTION I : GENESE D'UNE REGLEMENTATION EN FAVEUR DE L'AMELIORATION DE LA
SECURITE MARITIME :
Comprendre le cheminement de l'apparition d'un
règlement dans le secteur de la sécurité maritime, nous
impose deux réflexions : la première consistera à
constater comment émerge la conscience que dans tel ou tel domaine une
réglementation devient nécessaire et la deuxième portera
sur l'étude de la frontière entre cette prise de conscience et la
volonté politique de l'élaboration d'une réglementation.
CHAPITRE PREMIER : LES EVENEMENTS DE MER ET LEUR
ENSEIGNEMENT :
§1.1 : LES CATASTROPHES INSTRUCTIVES
Avril 1912 : Le TITANIC(2), paquebot réputé
insubmersible qui effectuait son voyage inaugurale entre Southsampton via
Queenstown et New York avec 2358 passagers à son bord ,sombre au large
de Terre Neuve, victime d'un heurt avec un iceberg , victime également
de l'orgueil démesuré de ses propriétaires
(1)
.
(1) : La prestigieuse récompense du
ruban bleu était attribuée au navire qui effectué la
traversé de l'atlantique le plus rapidement possible, récompense
détenue par la compagnie CUNARD. Les divers témoignages ont
permis d'établir que le représentant de l'armateur à bord
du TITANIC a influencé la décision du commandant de ne pas
réduire la vitesse malgré des alertes
météorologiques signalant la présence d'iceberg dans les
parages du TITANIC
La rapidité à laquelle a sombré le navire
dans une eau glaciale causa la disparition de plus de 1500 personnes
(femmes, enfants, adultes, vieillards). Le monde entier découvre alors
l'ampleur d'une catastrophe maritime, et les professionnels du secteur maritime
quant à eux doivent redevenir humbles, attitude qu'ils avaient tendance
à oublier avec la modernisation technologique. Ils devront accepter que
la mer restera à jamais un milieu hostile à l'homme, ce que la
révolution industrielle avait un temps fait oublier. Vu l'ampleur de la
catastrophe qui a touché toutes les couches sociales dont beaucoup
d'aristocrates Anglais, une conférence internationale pris place
à Londres en 1914 et mis en évidence de nombreux facteurs
accablants, qui couplés les uns aux autres ont entraîné cet
évènement de mer.
En prenant l'exemple du TITANIC, il est certain que dans
l'esprit des armateurs et du grand public, ce paquebot était
insubmersible. Il a fallut cette catastrophe pour révéler les
nombreuses lacunes dans le domaine du compartimentage et de l'équipement
des navires.
C'est ainsi que cette évènement de mer a conduit
à l'élaboration de règles internationales obligatoires
pour les navires marchandes, règles englobant les domaines techniques de
construction de navire, de détection incendie, d'équipement
pyrotechnique et de drome de sauvetage dans le but d'améliorer le
sauvetage de la vie humaine en mer.
Sans entrer dans une simple énumération de
catastrophe, il est cependant indispensable de citer les autres principaux
évènements ayant entraîné une évolution ou
une création de texte en faveur de l'amélioration de la
sécurité maritime.
Le 18 Mars 1967 le pétrolier libérien Torrey
canyon s'échoua au large de la Cornouaille. Cet
évènement entraînant une pollution de 250 kilomètres
des côtes britanniques et de 100 kilomètres des côtes
Françaises, est à l'origine de l'adoption de la convention de
1969 sur le droit d'intervention en haute mer, la convention CLC 69 et de la
création du FIPOL en 1971, fond d'indemnisation des dommages
causés par le transport par mer d'hydrocarbures ainsi que de la
convention Marpol de 1973, convention qui traite de la pollution
opérationnelle par hydrocarbure.
C'est en 1978 que la convention Marpol subit de nombreuses
modifications, cette révision a été motivée par
l'échouement de l'AMOCO CADIZ, pétrolier battant pavillon
libérien, qui déversa plus de 240000 T de pétrole au large
Portsall
Peu de temps après, le 7 mars 1980 le pétrolier
panaméen TANIO se rompt en deux au large des côtes
françaises, déversant plus de 6000 tonnes de Fuel lourd
N°2 ; ce dernier accident fût à l'origine du
Mémorendum de Paris autrement appelé « contrôle
par l'Etat du port » et a pour objectif de pallier les insuffisances
des états du pavillon.
Quelques fois une seule catastrophe ne suffit pas à
faire progresser le domaine de la sécurité maritime : ainsi
alors que le naufrage du Herald of Free Enterprise au large de la Belgique en
1987 causait la mort de 193 personnes, catastrophe qui conduisit l'OMI a
adopter une résolution en matière de gestion de la
sécurité, il fallut l'incendie survenue à bord du
Scandinavian Star, ferry danois, et ces 158 morts en Avril 1990 en Mer du Nord
pour rendre obligatoire cette réglementation.
L'échouement du pétrolier américain Exxon
Valdez au large de l'Alaska, poussera les Etats-Unis à adopter l'Oil
Pollution Act 90, réglementation unilatérale mais qui sera
reprise dans ces grands traits par l'OMI en 1992, avec la modification des
règles MARPOL et qui concerne surtout l'exclusion des navires
pétrolier simples coques .
C'est à la suite d'une série d'accidents comme
celui du Haven (2) en 1991, de Aegean Sea en 1992 et enfin du
Braer (3) en 1993 que la commission Européenne proposa
une politique commune de la sécurité maritime.
En 1994 le naufrage de l'Estonia en Mer Baltique causa la mort
de 852 personnes : s'ensuivi des modifications de SOLAS par l'OMI et
surtout l'établissement de normes régionales
décidées par la
(2) : Pétrolier chypriote qui
pris feu au mouillage dans le golf de Gênes avant d'exploser et de se
briser en deux déversant 30000 tonnes de pétrole.
(3) : Pétrolier libérien
qui s'échoua aux îles Shetland déversant 84000 tonnes de
pétrole
conférence de Stockholm et qui concerne la
stabilité des ferries après avarie pour les régions de la
mer baltique et de la mer du nord.
Enfin je citerai ici les évènements qui ont sans
doute marqué considérablement l'opinion public, plus attentive
aujourd'hui au problème d'environnement et qui ont été
à l'origine de nouvelles mesures émises par la Commission
Européenne : ce sont en 1999 le naufrage du chimiquier Erika qui a
amené la commission à s'interroger sur le contrôle des
sociétés de classification et l'application des normes de
sécurités.
Et enfin dernièrement la perte du pétrolier
PRESTIGE au large des côtes de Galice qui a accéléré
le processus de bannissement des navires pétroliers simples coques,
mesures déjà énoncée dans les propositions de la
commission Européenne suite à l'ERIKA dit paquet ERIKA I et
ERIKA II.
Voici donc la liste des évènements majeurs ayant
abouti à une modification, à la création de textes en
faveur de la sécurité maritime mais qui ont aussi eu une
incidence fondamentale sur l'évolution des régulateurs et des
autorités normatives. Malheureusement ces mesures sont
systématiques les conséquences de catastrophes et n'ont jamais
devancé les évènements. J'invite le lecteur à
effectuer cette constatation à la lecture de cette
énumération de catastrophes.
La catastrophe du TITANIC a donc finalement été
le point de départ d'une synergie sécuritaire dans le domaine
maritime et comme nous pourrons le constater plus en aval lors de cette
étude, les améliorations dans le domaine de la
sécurité maritime sont souvent le fruit d'une réflexion
menée suite à une catastrophe maritime, les enquêtes
accidents.
§1.2 : LES ENQUÊTES ACCIDENTS :
Comme nous avons pu le constater dans
l'énumération précédente, les mesures prises en
faveur de l'amélioration de la sécurité maritime le sont
pour la plus part à la suite d'une analyse effectuée afin de
connaître les circonstances de l'accident. Cette analyse est
effectué lors d'une enquête dite enquête accident :
commission ad hoc encore récemment, elle s'impose maintenant aux
états du pavillons dont un navire est impliqué dans un accident
majeur.
La première « enquête
accident » majeure menée à la suite d'une catastrophe a
été celle constituée à la suite du naufrage du
TITANIC : elle a été menée par la commission
sénatoriale des Etats-Unis et publiée le 28 mai 1912
(4).
Parallèlement à cette commission
d'enquête, une autre analyse avait lieu de l'autre côté de
l'Atlantique à Londres, du coté du Board of Trade, le
ministère Britannique du Commerce, enquête qui se déroula
du 2 Mai 1912 au Mercredi 3 Juillet 1912.
Cette commission enquêta spécialement sur le
nombre d'embarcations, radeaux, engins de sauvetage et autres
équipements pour la sécurité des passagers, et suivi les
recommandations émises par la commission sénatoriale reprises
afin d'établir une nouvelle réglementation.
Bien que la première convention internationale pour la
sauvegarde de la vie humaine en mer eu lieu à Londres en 1914 s'appuya
sur les éléments retenus par ces premières
enquêtes, ces mesures restèrent longtemps en sommeil suite aux
évènements tragiques de la première guerre
mondiale(5).
Donc depuis la catastrophe du TITANIC, l'intérêt
des enquêtes après accidents ne peut être remis en cause.
Cependant il n'existait pas de réel cadre, les
enquêtes étant menés au coup par coup et l'organisme
chargé de mener l'enquête constituée au cas par cas.
L'apparition des commissions d'enquêtes a
été une grande amélioration dans l'efficacité et
surtout la vitesse de réaction.
Le texte fondateur qui fixe désormais les conditions et
modalités des enquêtes après accident pour le maritime est
le texte de l'OMI intitulé « code pour la conduite des
enquêtes sur les accidents et incidents de mer »
résolution A 849(20) du 27 novembre 1997.
L'OMI qui s'est également doté d'un groupe de
travail au sein du sous comité Flag State Implementation (FSI ) sur les
« accidents et enquêtes ».
La directive Européenne 1999/35/CE du Conseil de
l'Union Européenne « relative à l'exploitation en toute
sécurité de services réguliers de transbordeurs rouliers
et d'engins à passagers à grande
(4) : Bulletin de la Navigation et des
Pêches maritimes, rapport de la commission Sénatoriale des
Etats-Unis sur la Catastrophe du TITANIC, source : gallica.bnf.fr.
(5) : Il fallut près de 15 ans
avant que ces mesures ne soient appliquées.
vitesse » se réfère explicitement
à la résolution de l'OMI précédemment
mentionnée et fait mention d'enquêtes obligatoires prévues
en cas d'accident.
A noter l'existence d'un Forum International des
enquêteurs sur les accidents maritime (MAIIF),en anglais le Marine
Accident Investigators International Forum, qui a pour objet de favoriser les
contacts directs entre enquêteurs de pays différents.
L'intérêt étant que dans certains Etats les BEA mer ne sont
pas dissociés des administrations chargées de la
réglementation et des contrôles.
Bien que les enquêtes accidents s'imposent maintenant
aux Etats du pavillon, il est cependant des commissions d'enquêtes
permanentes possédant une réputation de qualité et de
compétence comme le Marine Accident Investigations Branch (MAIB ) pour
l'Angleterre .
La France possède également une commission
d'enquête permanente reconnue sur le plan international, le BEA mer
(Bureau Enquête Accident).
Le BEA mer n'a été mis en place qu'à la
suite de l'arrêté du 16 décembre 1997 portant
création du BEA pour réaliser des enquêtes après
évènements de mer, permettant ainsi d'appliquer les dispositions
de la résolution A 849(20) de l'OMI portant « Code pour
la conduite des enquêtes sur les accidents et les incidents de
mer ».
Ce service est constitué au sein de l'Inspection
générale des affaires maritimes.
L'année 2002 a constitué un tournant
décisif pour le BEA mer ; en effet, depuis sa création en
décembre 1997 et jusqu'à fin 2001, le BEA mer n'avait qu'une
existence réglementaire suite à l'arrêté du 16
décembre 1997 .
Depuis le début de l'année 2002, le statut du
BEA mer s'est vu modifié et prendre un statut législatif
grâce à la loi n°2002-3 du 3 janvier 2002 sur notamment les
enquêtes techniques et administratives après
événements de mer.
Ce texte dans son titre III, élargit les
possibilités d'investigation des organismes permanents chargés de
la conduite des enquêtes techniques dans le secteur de la navigation
maritime et dans celui des transports terrestres, organise également la
coordination des travaux des BEA avec ceux des autorités judiciaires
éventuellement saisie des mêmes faits et enfin règle la
collaboration avec les
Etats étrangers qui pourraient être
concernés.
Le statut du BEA est bien sur la pierre angulaire fondatrice
de cette organisation, cependant ce qui lui confère une réelle
légitimité est son mode de fonctionnement qui doit mener à
des résultats d'enquêtes indiscutables afin d'imposer sa
crédibilité dans le milieu professionnel.
En effet le BEA est constitué d'un collège
permanent d'experts et professionnels maritime autour du directeur du BEA
représentant ainsi un panel assez complet du milieu maritime ce qui le
différencie des autres bureaux enquête accident européen
existant qui ont très peu d'autonomie dans le choix de leurs
collaborateurs.
De plus le directeur peut, s'il le juge utile, s'adjoindre les
services d'un expert temporaire dans tel ou tel domaine afin d'être le
plus précis possible dans les enquêtes.
Le domaine de compétence touche tout accident dont le
déroulement a eu lieu dans les eaux territoriales françaises,
tout accident où l'on déplore une victime de nationalité
française ou tout accident dont les répercutions
environnementales touchent les intérêts français tel
qu'énuméré dans le titre III, art 14,II.
Malheureusement le BEA mer ne peut qu'émettre des
recommandations et n'a pas d'action impérative sur les acteurs de la
sécurité maritime ; cependant son directeur mise sur la
publicité des recommandations(récapitulées chaque
année dans le rapport annuel) et le fait que le BEA possède de
plus en plus une image de professionnalisme, qui lui vaut d'être reconnu
sur le plan international par la commission européenne dans le cas du
« PRESTIGE » , la Commission européenne ayant
exprimé son souhait d'être tenue informée du
déroulement des travaux d'enquête, le BEAmer s'est
également rapproché de ses services à cet effet.
Mais le point essentiel de ces commissions d'enquêtes
reste leur contribution en matière d'amélioration de la
sécurité maritime :
Le but premier du BEA étant la recherche du fait
technique ayant entraîné l'accident afin d'éviter qu'il ne
se reproduise, le directeur du BEA compte énormément sur le
dialogue avec les entreprises
concernées dans une affaire afin de connaître les
positions de ces entreprises qui sont le plus à même d'apporter
des éclaircissements ou même des solutions.
Et le dialogue peut parfois apporter de réels
progrès techniques en matière de sécurité maritime
comme ce fût le cas pour deux recommandations émises à la
suite du naufrage du IEVOLI SUN, concernant le constructeur VINEL pour les
dégagement d'air et le constructeur FRAMO pour son système
d'assèchement des ballasts qui ont été pris en compte
immédiatement et intégré dans leur nouveau
système.(6)
De même font parti des recommandations du BEA suite
à la catastrophe de l'ERIKA, la demande d'une plus grande transparence
concernant les sociétés de classifications. Le BEA qui s'attaque
aussi à la notion de « safe manning certificat »
autrement dit l'effectif minimum de sécurité à bord d'un
navire, effectif approuvé par les Etats du pavillons et qui parfois ne
constitue même pas un minimum suffisant au respect de la
réglementation des temps de repos.(7)
La contribution des enquêtes techniques après
accidents n'est donc plus à démontrer, les commissions
permanentes facilitant encore plus le déroulement de ces
enquêtes.
Mais pourquoi alors les enseignements des catastrophes sont
ils pris en compte dans certains cas afin de faire évoluer ou de
créer un texte réglementaire dans tel ou tel domaine de la
sécurité ? En fait la question est de savoir quelle est la
motivation réelle qui a entraîné les organes
régulateurs et normatifs à établir des règles qui
peuvent bien souvent entraver le commerce maritime et son maître mot
« la rentabilité ».
Monsieur Boisson( directeur communication et affaires
juridiques, bureau veritas) nous en apporte sans doute un élément
de réponse dans ses propos tenus lors du colloque Saferseas
(8) : « la chaîne de l'amélioration de
la sécurité maritime est pour l'instant : catastrophe plus
travail sur les consciences de la part des médias égal obligation
pour les gouvernement de réagir. ».
(6) : Voir pour l'aspect technique les
recommandations chapitre 10 du rapport d'enquête finale du IEVOLI
SUN : http://www.equipement.gouv.fr/actualites/rapports
(7) : toutes ces recommandations sont
rappelées dans les rapports annuels du BEA pour 1999, 2000 et 2001
(8) : Colloque Saferseas, organisé
à Brest les 11-16 Mars 2002, Conférence Sécurité
Maritime et Protection de l'Environnement Marin
C'est sur ce postulat que se développera mon
argumentaire au cours de la prochaine section de cette partie consacrée
à la sécurité.
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