CHAPITRE SECOND : LES ORGANISMES PRIVES
Nous allons tout d'abord étudier l'action de
l'organisme privé qui tient le rôle primordial dans le secteur de
la sécurité maritime, les sociétés de
classifications, avant d' analyser l'action des différents autres
acteurs que sont les affréteurs et les armateurs eux-mêmes.
§2.1 : LES SOCIETES DE CLASSIFICATION
Le premier des acteurs privés qui possède un
rôle à jouer en matière de sécurité maritime
est donc la société de classification du fait du rôle de
conseil qu'elle possède vis-à-vis des services des états
et des professionnels.
Son statut très particulier en fait le maillon qui
réalise la liaison entre les Etats et les armateurs, et de ce statut
naisse les premières difficultés d'appréhension du
rôle exacte que doit jouer la société de classification.
a) Présentation des sociétés de
classification :
A l'origine, fin XIX ème siècle, elles
répondaient à une demande des assureurs, elles relevaient le
nombre d'accidents sur tel ou tel navire de telle ou telle compagnie et
pouvaient ainsi servir de base de données auprès des assureurs
pour établir la qualité et la fiabilité des navires que
les assurances prenaient en charge.
A suivi une évolution technique de la marine et une
prise de conscience de la sécurité maritime suite au naufrage du
TITANIC ; des normes de constructions sont devenues obligatoires et
complexes.
De nos jours elles possèdent deux fonctions, l'une de
contrôle du respect de la réglementation technique et l'autre de
certification pour les différents états du pavillon pour lesquels
elles possèdent une accréditation.
En France seule l'établissement du certificat de franc
bord a été délégué aux
sociétés de classification dont les modalités
d'agrément sont régit par la division 140 (40).
Les sociétés de classification retenues par la France
sont le Bureau Veritas , le DNV , le Germanisher Lloyd et le Lloyd's register
of Shipping et sont nommées en annexe 140.1.A-1.
Pour être agréée par la France, une
société de classification doit au préalable correspondre
aux critères d'agrément de la Commission Européenne
suivant la directive 94. 57/CE modifiée et notamment son article 7.
Concernant l'aspect de la conformité aux normes
techniques en vigueur, il est nécessaire de préciser que les
certificats statutaires délivrés par le France lors de
l'entrée d'un navire sous pavillon Français ou Kerguelen
s'effectuent tout d'abord en Commission Centrale de Sécurité mais
sur la base de documents et plan approuvés par une des
sociétés de classification précédemment
citées.
(40) : Sécurité des
navires, les organes techniques, parue au JO le 20 Novembre 1996.
b) Difficultés rencontrés par les
sociétés de classification :
Devant la multitude de sociétés de
classifications qui sont apparues milieu du XXème siècle, les
sociétés leader et les plus sérieuses se sont
regroupées au sein de l'IACS ( International Association of
Classification Societies ) afin d'harmoniser les règles techniques et
d'instaurer une charte de qualité. Crée le 11 septembre 1968,
l'IACS contrôle aujourd'hui 90 % du tonnage mondial et classe plus de
46000 navires. Elle possède un représentant permanent au sein de
l'OMI depuis 1976 et également un rôle consultatif.
Elle soumet ses membres à un audit triennal qui peut
mener à l'exclusion, comme cela a été le cas en 1997 avec
l'exclusion su Polish Register.
Elle respecte les normes de qualité EN 45004 (organisme
de contrôle) et EN 29001 et les modalités décrites en
annexe de la résolution A749/191.
Si les sociétés de classifications ont eu le
besoin de se regrouper au sein de l'IACS c'est elles avaient un besoin de
reconnaissance. En effet lors de chaque catastrophe maritime majeure, les
sociétés de classification sont montrées du doigt.
Ceci est dû à leur double statut :
D'un côté la société de
classification est accréditée par les Etats pour les besoins de
certification : Les Etats les plus laxistes ou les moins
équipés pour faire vérifier la conformité des
navires aux règles de sécurité en vigueur ont quasiment
délaissé le domaine de la certification pour établir les
certificats de navigation des navires battant pavillons de ces pays. (A noter
que la France n'a délégué à ce jour que
l'établissement du certificat de franc bord aux sociétés
de classification.). A ce titre les sociétés de classification ne
devrait pas posséder de lien directe avec les armateurs de ces navires
et ce afin de conserver une entière indépendance.
Hors c'est l'armateur qui choisi dans la liste des
sociétés de classification agréées par l'Etat du
pavillon arboré par le navire, la société de
classification, et qui de plus paye les prestations de cette
société.
Et là nous pénétrons dans le domaine bien
connu de la concurrence : prix faible équivaut à plus de
chance d'obtenir le contrat mais prestation de moindre qualité. De plus
ce prestataire de service qui inspecte et note son client. L'on peut voir
alors aisément la pression à laquelle peut être soumis un
représentant de la classe lorsqu'une compagnie d'une vingtaine de navire
peut, à tout instant , changer de sociétés de
classification pour tous les navires de la flotte.
Il est de notoriété maritime que lorsqu'un
navire change de société de classification c'est bien souvent
qu'il ne respecte plus les normes de sécurité maritime soit en
terme d'année soit en terme technique, le changement de classe d'une
classe réputée pour son sérieux pour un classe disons
moins scrupuleuse permet alors à l'armateur de continuer à
exploiter son navire quelquefois en le repositionnant dans une zone maritime
moins soumise à la rigueur de l'Europe et des Etats-Unis.
Ce changement peut aussi être le résultat des
relations entretenu de longue date par l'armateur avec la
société de classification : l'ERIKA est passé du
Bureau Veritas au RINA en 1998 suite à la décision de la
société de gérance maritime PANSHIP qui est basé en
Italie.
C'est dans cet environnement que l'IACS a été
créée, les membres de celle-ci ne devant, à priori, plus
être victimes de suspicion puisque répondant à des
critères élevés de qualité. Il n'en demeure pas
moins que ces sociétés sont soumises à l'environnement tel
que décrit précédemment mais possède tout de
même plus de crédit vis-à-vis des assurances.
C'est ainsi que l'IACS a été
ébranlé par l'affaire de l'ERIKA, car la société de
classification qui avait suivi quelques mois auparavant en arrêt
technique le navire était la RINA, société faisant parti
de l'IACS.
Depuis l'Erika les sociétés de classification
font l'objet d'une directive de l'Europe (41) en vue d'une
transparence totale de la qualité des sociétés de
classification.
Les sociétés de classification, malgré
leur statut ambiguë possède donc un rôle important dans le
processus de respect de la réglementation en place mais d'autres
acteurs, encore plus proches du problème , y jouent un rôle
important.
(41) : directive 2001/105/CE du 19
décembre 2001
§2.2 : LES AUTRES ACTEURS :
a) Les armateurs :
De la mentalité des armateurs dépend la
qualité du secteur maritime et donc la sécurité maritime
et le facteur le plus important au regard de la sécurité maritime
demeure ainsi la qualité de l'armateur et cela doit d_venir le facteur
essentiel dans le choix de l'affréteur. Il y a aujourd'hui un maximum de
10 à 15% de pétroliers qui sont sous normes. Malheureusement ce
sont eux qui font le marché au mépris des 85 à 90% qui
font correctement leur travail (42).
Le milieu du transport maritime étant un milieu soumis
à la concurrence et les armateurs n'étant pas altruistes,
l'ensemble du système est fondé sur la rentabilité qui
grossièrement peut se traduire par la soustraction du
bénéfice tiré du transport moins les charges de
fonctionnement et d'entretien des navires. Comme nous l'avons
déjà constaté dans l'étude du contexte
économique, les armateurs sont tentés de réduire les
coûts de fonctionnement et bien souvent choisissent le pavillon qui leur
permette de réaliser cet objectif.
Mais il ne faut pas non plus généraliser. On
trouve aussi de mauvais armateurs sous pavillon national et inversement il y a
des Etats plus laxistes que d'autres et l'on trouve de bons voire d'excellents
armateurs sous pavillon de complaisance. Il choisissent cette formule afin de
bénéficier d'avantages fiscaux mais réinvestissent le plus
souvent les économies ainsi réalisées.
Et monsieur Vallat de poursuivre : « Pour
caricaturer je dirais que tous les armateurs sous pavillon de complaisance ne
sont pas de mauvais armateurs mais que tous les mauvais vont sous pavillon de
complaisance. »
Cependant la situation a évolué ces derniers
temps, l'accident de l'Erika ayant joué un rôle
d'accélérateur très important dans la prise de conscience
de la nécessité d'une sécurité maritime,
poussé par la pression de l'opinion publique. Il se passe aujourd'hui
sur le marché du fret quelque chose de nouveau : un
renchérissement très important des taux de fret (environ un
doublement) et tous les armateurs pétroliers gagnent à nouveau
assez pour assurer la sécurité.
(42) : propos de Monsieur Vallat lors
des dernières journées nationales de la mer organisése
à Toulon par l'Institut Français de la Mer les 7 et 8 novembre
2002
De plus la mise financière est élevée sur
les vieux navires, c'est dans ce segment de marché que l'on trouve les
armateurs spéculateurs qui considèrent comme secondaire la
qualité d'exploitation. C'est également vrai que la tentation est
forte de ne plus entretenir comme il le faudrait un navire qui arrive en fin de
vie.
C'est ainsi qu'avec le renouvellement quasi imposé de
la flotte pétrolière par des navires double coque, les armateurs
propriétaires de ces unités récentes les entretiennent
convenablement afin de pouvoir les revendre avec une plus value après
quelques années d'exploitations.
Une des solutions au problème de
« l'insécurité maritime » consiste donc bien
en un respect de tous de l'ensemble des règles décidées
par l'Union européenne et l'Organisation maritime internationale, c'est
une des revendications première de l'association des armateurs de France
(43) faisant remarquer que les armateurs français ont
même anticipé la mise en oeuvre de l'élimination des
navires pétroliers français à simple coque, la
moitié de la flotte pétrolière française ayant
été renouvelée en trois ans. L'âge moyen a
baissé, en trois ans, de plus de cinq ans, il est aujourd'hui de huit
ans, faisant de la flotte pétrolière française une des
plus jeunes au monde.
La deuxième solution est énoncé par
Armateur de France dans son dossier de presse « Les armateurs
Français s'engagent en faveur de la sécurité
maritime » : PAYER le TRANSPORT MARITIME A SON JUSTE PRIX :
celui de la QUALITE et de la SECURITE. Il faut responsabiliser les
affréteurs. Les navires sous normes n'existeraient pas s'ils ne
trouvaient personne pour les affréter. Le transport maritime doit
être payé à son juste prix et pas celui de l'intervenant le
moins scrupuleux. Il s'agit donc d'étudier maintenant le rôle tenu
par les affréteurs.
b) Les affréteurs :
L'affrètement est le système le plus
répandu dans le transport d'hydrocarbure et le transport de produits
chimiques. Pour le cas du transport d'hydrocarbure, de nombreuses
« majors » possédaient leur propre flotte de
pétroliers mais déjà l'économie de marché
jouait un grand rôle car le but des majors n'étaient pas de
transporter leur propre produit mais de posséder des pétroliers
au bon endroit et au bon moment, quitte à laisser certaines
(43) : Voir l'Antenne édition du
21 Novembre 2002
unités en attente au mouillage pendant de longue
période, le temps que le taux de fret augmente et à ce moment de
remettre ces unités sur le marché de l'affrètement.
Depuis la catastrophe de l'EXXON VALDEZ, les majors se sont
désengagées du management de navire pour se tourner exclusivement
vers l'affrètement : ce système a l'avantage, à
priori, de protéger sur le plan médiatique la compagnie
pétrolière lors d'une catastrophe maritime.
Il s'est avéré qu'il n'en était rien et
TOTAL en a subit les conséquences lors du naufrage de l'ERIKA.
Le pouvoir des affréteurs est important d'un point de
vue économique et le système de l'OPA90 des américains si
prompt au principe de pollueur/payeur, n'a pas passé le stade du
première échelon de la chaîne de contrat : c'est le
transporteur qui est responsable mais en aucun cas l'affréteur.
A la suite de l'EXXON VALDEZ, la compagnie EXXON a
imposé à tous les fréteurs avec lesquels elle travaillait
des standards techniques et de management très élevés avec
un questionnaire à tenir à jour et des inspections. Par la suite
les autres compagnies pétrolières ont suivi et le système
de vetting s'est instauré : il permet au compagnie
pétrolière qui veulent affréter un navire soit à
temps, soit au voyage de connaître l'état technique du navire et
la qualité de son équipage et de son management.
En fait les questionnaires vetting sont en quelques sortes une
répétition du système du MOU ( contrôle de la
validité des certificats, contrôle de l'état de
fonctionnement des appareils et du respect de la sécurité
à bord ). Ils reprennent donc les minima des différentes
conventions OMI sur la sécurité mais impose souvent
également des critères supérieurs à ces
minima ; c'est le cas des standards pour la timecharte EXXON. Certes ce
système de contrôle des navires par les affréteurs à
permis de franchir un premier stade vers l'élimination des navires sous
normes mais le fait que les compagnies pétrolières aient fait
pression auprès des sénateurs américains pour ne pas
être responsable en cas de pollution dans le cadre de l'OPA
démontre bien que la sécurité ne fait partie des
préoccupations des affréteurs que comme conséquence de la
crainte d'une médiatisation mondiale .
L'étude de cette première partie a donc
été consacrée à la sécurité maritime,
domaine dans lequel la volonté d'agir en faveur d'une
amélioration n'a que très rarement été
partagée par tous les acteurs du milieu maritime au même instant.
Nous allons maintenant étudier un domaine qui quant
à lui fait maintenant l'unanimité au sein des instances
intergouvernementales et des Etats, le secteur de la sûreté
maritime, domaine qui découle de la sécurité maritime mais
qui se préoccupe de la sécurité extérieure au
navire qui peut parfois devenir un outil de destruction.
|