SOUS SECTION II : LES ACTEURS DE LA CHAÎNE DE
SECURITE MARITIME
« Chaîne de sécurité
maritime : idée qui tend à faire croire qu'en la
matière se trouverait une succession de maillons ayant tous la
même force et la même valeur. Pourtant chacun à sa propre
responsabilité et son propre rôle à jouer. Chaque acteur
doit assumer sa part de responsabilité » : cette
définition donnée par Monsieur Francis Vallat (36)
nous permet d'entamer une réflexion sur les différents
acteurs de la sécurité maritime qu'ils soient étatiques ou
privés.
CHAPITRE PREMIER : LES ETATS
§1.1 L'ETAT DU PAVILLON : ENTRE OBLIGATION ET
DELAISSEMENT
Le contrôle des normes et règlements en
matière de sécurité maritime consiste essentiellement en
un contrôle des navires. Depuis quelques années maintenant, le
management d'un navire et de manière plus étendue le management
de la société de l'armateur, est également
considéré comme un élément clef de la
sécurité maritime.
Le premier niveau de contrôle en matière de
sécurité maritime se trouve donc être l'Etat du pavillon
pour ce qui concerne les navires battant pavillons de cet Etat et par extension
l'Etat dans lequel est enregistré l'armateur pour le contrôle du
management.
a) Les devoirs des Etats du pavillon :
Les règles coutumières du droit de la mer
confient le contrôle des navires à l'Etat du pavillon, cette
compétence repose en fait sur le principe de la territorialité.
Le rattachement du navire à un
(36) : F.Vallat : Président
de l'institut français de la mer et représentant de la France
à l'Agence Européenne de Sécurité Maritime.
ordre juridique, susceptible de le contrôler, permet
ainsi de prévenir et de sanctionner les abus auxquels les principes du
libre usage de la haute mer et de la liberté de navigation pourraient
donner lieu. Cette compétence exclusive de l'Etat du pavillon est
énoncée à l'Art. 6 al 1 de la convention internationale du
29 avril 1958 sur la haute mer.
Expression de la souveraineté de l'Etat sur ses
navires, la loi du pavillon n'est pas seulement une source de droits (droits de
passage). En matière de sécurité maritime, elle est
surtout une source de devoirs. Les obligations de l'Etat du pavillon sont
principalement définies par les conventions des Nations Unies sur le
droit de la mer et précisées dans les instruments
spécialisés de l'Organisation maritime internationale (OMI) et
de l'Organisation internationale du travail (OIT) relatifs à la
sécurité maritime :
Ainsi la convention de 1958 sur la haute mer et son art 5 al 1
impose aux Etats du pavillon l'obligation de s'assurer que les règles de
sécurité sont effectivement appliquées à bord des
navires relevant de leur autorité : « L'Etat doit
notamment exercer sa juridiction et son contrôle dans les domaines
technique, administratif et social sur les navires battant son
pavillon ».
L'Art 94 et l'Art 217 de la Convention des Nations Unies de
1982 sur le droit de la mer précisent à nouveau l'obligation de
contrôle effectif de l'Etat du pavillon et les pouvoirs de l'Etat du
pavillon dans le domaine de la protection du milieu marin et de la
sécurité maritime.
L'obligation du contrôle par l'Etat du pavillon est
encore repris dans les deux conventions de l'OMI que sont la convention
internationale SOLAS du 17 Juin 1960 et la convention internationale MARPOL du
2 Novembre 1973, convention qui prévoient deux types d'obligations, la
première concernant les visites et inspections des navires et la
deuxième la délivrance des certificats correspondants.
La dernière des obligations qui a sans doute
contribuée à l'amélioration des normes de
sécurité est l'obligation d'enquête après accident
qui découle tant de la convention de 1982 sur le droit de la mer que des
conventions de l'OMI.
Il ressort de cette énumération de conventions
que tous pays signataires de celles-ci ne peuvent échapper à leur
obligation de contrôle et si tel était le cas les accidents
maritimes ne serait pas supprimés, le risque zéro n'existe pas,
mais serait dû pour la plupart à une erreur humaine ou un
évènement fortuit et ne serait en tout cas pas le fruit d'un
délaissement liée à des critères
économiques.
b) Ce qu'il en est réellement :
En effet le délaissement de leur obligation de
contrôle de certains états est un facteur aggravant de
« l'insécurité maritime ».
L'armateur totalement libre du choix du pavillon, effectuera
ce choix en fonction essentiellement des critères économiques,
s'il s'agit d'un pavillon de libre immatriculation ne requérant pas des
critères de nationalité : taxes, nationalités des
équipages et bien sûr coût du au respect de la
réglementation technique. Ces critères sont donc compressibles
à l'inverse bien souvent du prix du fret qui lui est un prix de
marché.
L'OCDE a démontré qu'un armateur qui
parviendrait à ne pas respecter les règles de
sécurité pourrait économiser jusqu'à 30% de ses
charges d'exploitation et au minimum 10% des charges globales. On comprend donc
tout l'intérêt pour des armateurs « douteux »
d'immatriculer leurs navires sous pavillon de libre immatriculation qui devient
pavillon de complaisance lorsque les défauts de moyens, et bien plus
souvent l'absence de volonté de contrôle, permettent de faire de
substantielles économies. Et ceci sans compter que beaucoup de ces
pavillons procurent des avantages fiscaux importants et que les
contrôles, en particulier ceux portant sur le respect du droit du travail
sont très assouplis.
C'est ainsi qu'après la deuxième guerre
mondiale sont apparus les pavillons de complaisances : pays bien souvent
peu industrialisé, pauvre ou paradis fiscaux, qui ont pu de part
leur politique maritime très peu taxé et
très peu regardante de la qualité des armateurs et navires qui
arboraient leur pavillons, se constituer une flotte importante.
Aujourd'hui dans les dix premières flottes mondiales,
l'on retrouve le Panama, le Libéria, Malte, les Bahamas, Chypre alors
que parmi les dix premières flottes par nationalités l'on note
l'Etat Grec (69% sous pavillons étrangers), Japonais (81% sous pavillons
étrangers), Norvégien, Américain .....Les premiers ont
une mauvaise réputation dans le milieu maritime pour ce qui concerne le
contrôle du respect des critères techniques soit par manque de
moyen, soit par volonté politique.
Des chiffres établis en 1998 lors des inspections du
Mémorendum de Paris, sujet traité au prochain chapitre, montre
que 9% des inspections ont donné lieu à des immobilisations et
que 20% de ces 9% étaient des navires pavillon Maltais alors que le
pavillons Chypriote représentait 19,4%. Il est évident que ces
Etats manquaient à leurs obligations de contrôle.
A l'échelon Européen, une amélioration
est en vue avec la future adhésion de Malte et Chypre, Malte ayant
déjà retiré le certificat relatif au code ISM à
l'une des compagnies principales résidentes à Malte.
c) Les solutions :
L'OMI et l'Europe sont conscients de ce
problème mais comment s'assurer qu'un Etat souverain fasse bien
respecter les conventions auxquelles il adhère.
L'OMI n'ayant aucun organe de répression a opté
pour la solution d'assistance technique, la déficience technique
étant une des composantes du non contrôle de l'Etat du pavillon ,
l'autre étant la non volonté.
En 1997, l'OMI reconnaît combien il est important de
garantir l'application efficace des instruments qu'elle adopte. Elle devint le
premier organisme à institutionnaliser un Comité de
coopération technique. Elle a ainsi aidé de nombreux pays
à créer des académies de formation maritime et
créé l'Université maritime mondiale de Malmö en
1993.
On commence à apercevoir sur la scène
internationale un début de contrôle qui s'exerce par le biais des
« obligations de notification » lesquelles obligent chaque Etat
à donner des informations sur la manière dont il compte appliquer
les conventions qu'il a ratifié. Il y a donc par là un droit de
regard de l'OMI à travers son sous-comité sur l'application des
conventions par l'Etat du pavillon.
Certaines conventions, notamment celle sur la certification
des équipages vont très loin puisque l'on demande à l'Etat
de prouver qu'il a effectivement mis en oeuvre les dispositions des conventions
qu'il a ratifié . Dans le cas contraire il ne sera pas admis sur une
« liste blanche » qui va conditionner la reconnaissance, par tous les
autres Etats, des certificats qu'il va délivrer.
Aujourd'hui l'OMI s'achemine vers une évaluation de la
performance de l'Etat du pavillon à travers des directives et des
formulaires d'auto évaluation. Mais il ne s'agit encore que de simples
Résolutions n'ayant pas de caractère obligatoire.
On parle également actuellement de la certification des
administrations des Etats du pavillon. Le problème étant de
savoir quelle autorité va pouvoir certifier les obligations de l'Etat du
pavillon.
L'Europe quant à elle a réagit suite au naufrage
de l'Erika et à choisi la voix du contrôle de la compétence
des états du pavillon par le biais de l'Agence Européenne de
Sécurité Maritime(37). .
Mais la première mesure qui a été prise,
l'a été au sein de l'Europe pour pallier à la
déficience des Etats du pavillon, il s'agit d'un transfert des
obligations de l'Etat du pavillon à l'état du port où un
navire fait escale.
§1.2.L'ETAT DU PORT : SUBSTITUT DE L'ETAT DU
PAVILLON
A la différence de l'Etat du pavillon chargé de
faire appliquer la réglementation en vigueur de l'Etat aux navires
arborant le pavillon de ce même état, le contrôle par l'Etat
du port concerne les inspections de navires étrangers par les
autorités d'un Etat afin de s'assurer que ce navire respecte
(37) : Règlement 1406/2002/CE du
27 juin 2002
les normes internationales en vigueur tant sur le plan
technique que sur le plan humain et maintenant sur le plan du management.
En fait son introduction dans le système a
été nécessaire pour palier les déficiences de
certains Etats du pavillon à remplir ses obligations notamment ses
obligations de contrôle et d'inspection. Ces mêmes Etats que nous
avons vu ratifier promptement la plus part des réglementations
internationales.
Ce contrôle sert aujourd'hui de rôle de «
gendarme » sur la scène maritime car c'est l'Etat du port qui va
pouvoir inspecter les navires étrangers qui fréquentent ses
ports, demander l'examen des certificats et procéder à des
inspections plus approfondies s'il estime qu'il y a un risque pour la
sécurité. Il a le droit de fixer des conditions quant à
l'autorisation d'appareiller et surtout le droit, et l'obligation, quand il
estime qu'un navire est dangereux pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
ou pour l'environnement, de retenir le navire au port.
Il s'agit bien d'un droit mais aussi d'une obligation.
a) Aspect juridique :
Il existe à ce jour 7 grands cadres d'accords
régionaux qui régissent ces contrôles, accord dit
Memorendum Of Understanding ( MOU) et le plus connu pour notre part est le
« Mémorandum de Paris » ou MOU Paris.
Le Memorendum d'entente de Paris (terme Français) sur
le contrôle des navires par l'Etat du port a été
signé le 26 Janvier 1982 sous les auspices de l'OMI.
Le contrôle par l'Etat du port est également
institué par la directive Européenne relative au contrôle
par l'Etat du port (95/21 /CE) et a fait l'objet d'une proposition de
modification, proposition qui fait parti du train de mesures proposées
à la suite du naufrage de l'ERIKA.
Les principales mesures de cette proposition de modification
de la directive concernent le ciblage des navires qui doivent faire l'objet
d'un contrôle. Le choix des navires ne sont plus discrétionnaires
mais rendu obligatoires en fonction de critères d'âge du navire,
du type et de ses antécédents.
Ils prévoient aussi d'interdire l'accès aux
ports de l'Union Européenne à certains navires à
risques.
Ces mesures sont entrées en vigueur le 22 Juillet
2003.
Plus généralement ces accords d'entente
prévoient une coopération régionale entre les
différents Etats d'une même zone afin d'harmoniser les
procédures de visite des navires et d'exiger, de la part de ces
autorités, qu'elles inspectent un minimum de navires. Le
Mémorandum de Paris a fixé ce quota d'inspections minimales
à 25% de navires étrangers qui fréquentent les ports des
Etats européens au cours de l'année.
Les Etats Européens mettent également en commun
une base de données où sont décrites les
déficiences majeures qui nécessitent soit une immobilisation
immédiate du navire soit une rectification de cette déficience
pour la prochaine escale déclarée.
Les autres principaux memorendum d'entente sont le MOU Tokyo
pour la région asie/pacific,signé le 1er
décembre 1993, le MOU viña del mar (chilie) pour la région
sud américaine, signé en 1992, et le MOU Indian ocean
signé en 1999.
Au niveau national les modalités et obligations du MOU
Paris ont étés reprises par la division 150, parue au JO le 20
Novembre 1996. Ces obligations ont échues aux Centres de
Sécurité des navires.
b) Les problèmes de mise en oeuvre :
Les deux problèmes majeurs rencontrés depuis
l'instauration de ce système concernent le nombre de contrôles
réalisés et l'efficacité de ces contrôles.
Sur le premier point la France, bien que s'étant
engagée à inspecter 25% des navires faisant escale dans un des
ses ports, s'est montré plutôt mauvais élève en
2002 ; en novembre 2002 elle n'avait
effectué qu'environ 12% d'inspections de navires, quant
à l'Irlande et à la Belgique ils n'avaient pas atteint les 10%.
Le Danemark, les Pays Bas, le Portugal et la Suède n'avaient pas atteint
le quota de 25 %.
En avril 2003 la France avait réalisé le
contrôle de 30% des navires faisant escale dans un port Français.
Les remontrances de la part de l'Union européenne ont peut être
été le fait générateur de cette importante
augmentation.
En ce qui concerne le deuxième point, il est
très difficile, voir impossible pour un inspecteur de contrôler en
une escale qui peut ne durer qu' une dizaine d'heures la structure même
du navire c'est-à-dire les oeuvres vives et les varangues et lisses du
navire. Ainsi l'inspection est plus axée cosmétique et
certificats du navire, la principale amélioration étant la prise
en compte de l'aspect management qui peut également être un
facteur de risque, malheureusement les deux derniers évènements
maritimes majeurs ont été causé par des défauts de
structure.
Il est vrai que l'état de propreté et de
vétusté du navire peut traduire l'état de maintenance du
navire mais de nombreux armateurs sont passés maître dans le
maquillage et de nombreux navires possèdent un pont et une coque
extérieure très propre et bien peinte sans posséder un
quelconque plan de maintenance.
Un personnel sous qualifié et suffisamment nombreux
peut réaliser des miracles.
Il existe un fameux adage à bord des navires qui peut
traduire cet état de fait qui dit, excusez moi des termes
employés: « peinture sur merde égal
merde » .
Le seul moyen pour s'assurer que le navire possède des
structures en bon état reste le contrôle des certificats de classe
qui font suite aux visites des navires ou réparation en dry dock, et
là nous entrons dans la polémique qui suivi le naufrage de
l'ERIKA et qui a amené l'Union Européenne à proposer une
directive qui concerne une meilleur transparence des sociétés de
classification (38).
(38) : directive 2001/105/CE du 19
décembre 2001
Pour les deux points précédemment
évoqués, il est aussi nécessaire que les inspecteurs soit
suffisamment nombreux et qualifiés, ce qui en France et en Europe
constitue un réel problème de l'aveu même des membres du
corps des administrateurs maritimes et de la commission européenne. En
effet la commission estimait à 270 en 2000 le nombre d'inspecteurs
chargés du contrôle par l'Etat du port. Pour la France le nombre
d'inspecteur maritime , 54 en 2002, ainsi que les moyens mis à leur
disposition (certains centres de sécurité de navire n'ont
même pas de voiture de fonction selon les propos de Jacques Loiseau,
président de l'association française des capitaines de navires
(Afcan)) sont trop faibles pour pouvoir tenir le quota des engagements pris
lors du mémorendum de Paris , et dernièrement la direction
des affaires maritimes a du s'attacher les services de vacataires
recrutés parmi les commandants à la retraite, ce qui permet
d'atteindre les deux critères précédemment
cités : augmenter le nombre des inspecteurs ,et du fait le nombre
d'inspections, et avoir des inspecteurs qualifiés ;
Comment peut on définir un inspecteur
qualifié ? La complexité du « système
navire » est telle qu'il s'agit d'une petite ville ; production
d'électricité, propulsion, opération commerciale, cuisine,
hôpital, et stabilité du navire, tous ces facteurs se superposent
à bord et il faudrait, je cite Monsieur Bottala Gambetta (39)
lors de son intervention au colloque IMTM organisé dans les
locaux de la faculté de droit d'Aix en Provence en juin 2003, plus de
cinq ans pour former des inspecteurs aptes à faire face à la
complexité d'un contrôle d'un navire.
Cela demande du temps et malheureusement les
échéances de mémorendum de Paris n'en laisse pas, une
autre solution étant de recruter des marins professionnels avec quelques
années de navigation d'expérience mais ici le problème
devient économique, le salaire des navigants possédant cette
expérience est celui d'un second capitaine voire d'un commandant sans
commune mesure avec celui d'un inspecteur. Voici donc les difficultés
rencontrées au sein de l'Europe et plus particulièrement au sein
de la France pour l'application des critères du Memorendum de Paris.
(39) : Administrateur en Chef des
Affaires Maritimes
Dans cette partie nous avons donc étudié les
acteurs institutionnels qui jouent un rôle dans le contrôle de la
réglementation mais la chaîne de sécurité maritime
ne peut être composée que de ces acteurs, même les Etats les
plus consciencieux en matière de sécurité maritime ne
pourront jamais maîtriser dans sa totalité le problème,
soit du côté technique soit du côté
économique : des acteurs privés ont également un
rôle à jouer. Et c'est peut être de ce côté que
le plus grand changement a eu lieu : l'évolution du comportement
des acteurs privés du transport maritime soit par le fait de la
pression médiatique ou en leur laissant le bénéfice du
doute par le fait d'une prise de conscience générale.
Le prochain chapitre sera donc consacré aux acteurs
privés qui ont un rôle à jouer en matière de
sécurité maritime.
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