I-1-2-2. Lien entre relation d'agence et
qualité de portefeuille d'un EMF
Précisons au préalable qu'au sein des
théories contractualistes, l'accent est mis sur les contrats qui se
nouent entre les individus. Les contrats, modes de coordination de
l'activité économique alternatifs au marché, se
caractérisent par leur relation d'agence : une ou plusieurs personnes
(le principal) engage(nt) une ou plusieurs autre(s) personne(s) (les agents)
pour exécuter en leur nom une tâche qui implique la
délégation d'un certain pouvoir de décision à ces
derniers (Jensen et Meckling, 1976).
Toute relation d'agence donne bien souvent lieu à une
asymétrie d'information entre les individus car, d'une part, les agents
en savent généralement plus sur la tâche à accomplir
que le principal et, d'autre part, il est souvent difficile et onéreux
pour le principal de «mesurer les efforts déployés par un
agent dans l'accomplissement de ses obligations et par conséquent, de
spécifier par contrat, ce que doivent être ces
dernières» (Charreaux et al, 1987,). Or, ces théories font
également l'hypothèse d'une rationalité substantive des
individus : les agents vont chercher à maximiser leurs
préférences. Qui plus est, ils sont supposés
opportunistes. Les agents sont dès lors enclins à profiter de
leur avantage informationnel pour poursuivre leurs propres
intérêts personnels au détriment de ceux du principal.
Le refus des banques commerciales de financer jusqu'il y a peu
les micro-entrepreneurs résultait de l'importance des problèmes
de détection («screening problem») et du bon respect des
contrats («enforcement problem») (Hulme et Mosley, 1996). La relation
de crédit peut en effet être considérée comme une
relation d'agence par laquelle le prêteur (le principal) «loue»
une part de sa richesse aux micro-entrepreneurs (les agents) qui s'engagent
à rembourser le principal et à lui payer les charges
d'intérêt à l'échéance et auxconditions
fixées dans un contrat établi au préalable entre les
parties. Un problème d'agence se pose car il est certain que dans toute
relation de crédit, les intérêts de l'emprunteur et du
prêteur diffèrent : alors que le premier est essentiellement
concerné par la rentabilité des capitaux empruntés,
l'autre l'est par la solvabilité du premier (Jullien et Pallanque, 1995)
et la rentabilité des fonds prêtés.
Depuis Stigler (1967) et surtout Stiglitz et Weiss (1981), le
fonctionnement imparfait du marché du crédit a largement
été démontré. Celui-ci résulte de
l'existence d'asymétries d'information entre les prêteurs (le
principal) et les emprunteurs (les agents), rendant difficile ex-ante
l'évaluation de la qualité du demandeur (risque de
sélection adverse), et ex-post, la vérification du bon respect
des termes du contrat (risque d'aléa moral). En conséquence, les
banques ont tendance à «bloquer» les taux
d'intérêt à un prix qui ne satisfaisait pas la demande. Il
s'ensuit une situation de rationnement de crédit. S'il est vrai que
toute relation de crédit se caractérise par cette incertitude,
celle-ci est d'autant plus forte dans les pays pauvres. En effet, dans nos
pays, les banques tentent de diminuer le risque de sélection adverse en
récoltant des informations sur le demandeur de crédit et le
risque d'aléa moral en exigeant des garanties tant matérielles
que financières qui seront saisies en cas de non-remboursement.
Dans les pays pauvres au contraire, les registres comptables
(lorsqu'ils existent) ne peuvent offrir aux banques une connaissance fiable sur
la qualité et la solvabilité des clients potentiels dans la
mesure où la plupart du temps une partie importante des ventes sont
non-déclarées. Il est donc très difficile pour les
prêteurs de récolter des informations pour déterminer la
qualité des débiteurs.
De telles recherches entraîneraient un coût
démesuré pour les prêteurs au vu des faibles montants de
prêts demandés. Par conséquent, le risque de
sélection adverse est bien présent dans ces pays. Par ailleurs,
les prêteurs ne peuvent se protéger contre le risque d'aléa
moral et ce essentiellement pour deux raisons : Premièrement, la
pauvreté des emprunteurs est telle que ceux-ci ne sont pas à
même de pouvoir offrir les garanties matérielles
traditionnellement requises par les institutions financières.
Deuxièmement, l'appareil judiciaire est bien souvent trop faible dans
ces pays pour pouvoir jouer efficacement son rôle
(récupération des biens mis en garanties, etc.). Il convenait
dès lors que des mécanismes de financement alternatifs soient mis
en place. Conformément à l'article de Stiglitz et Weiss (1981),
ceux-ci se devaient de réduire l'asymétrie d'information existant
entre les agents économiques.
Ainsi levé le pan de voile sur la problématique
de la gouvernance en microfinance, il convient de définir le type de
client qui est le plus enclin à minimiser ces risques, tout en mettent
en exergue les moyens dont il dispose pour le faire. C'est l'objet de notre
deuxième section.
I-2. Nomenclature de la clientèle dans les
Etablissements de Microfinance
Le client type des services de microfinance est une
personne dont les revenus sont faibles et qui n'a pas accès aux
institutions financières formelles faute de pouvoir remplir les
conditions exigées par ces institutions (documents d'identification,
garanties, dépôt minimum etc.). Il mène
généralement une petite activité génératrice
de revenus dans le cadre d'une petite entreprise familiale.
- Dans les zones rurales, ce sont souvent de petits
paysans ou des personnes possédant une petite activité de
transformation alimentaire ou un petit commerce.
- Dans les zones urbaines, la clientèle est
plus diversifiée : petits commerçants, prestataires de services,
artisans, vendeurs de rue, etc.
On les dénomme généralement sous le terme
de micro-entrepreneur et la plupart de ces microentrepreneurs travaillent dans
le secteur informel ou non structuré. C'est donc aux individus qui
composent ce segment de marché exclu ou mal servi par les institutions
financières classiques (banques, assurances) que s'adresse la
microfinance.
Selon N'Goala (2005), les banques distinguent 3
marchés :
ü Particuliers
ü Professionnels
ü Entreprises et Institutionnels
Nous pouvons essayer de classer ces marchés ou clients
en deux grands groupes à savoir la clientèle interne
(professionnels ou client/associés) et la clientèle externe
(particuliers, entreprises et institutions). Il faut noter que cette
dernière catégorie n'entretient que des relations purement
commerciales avec l'EMF alors que cette même relation est partenariale
dans le premier cas ; parceque ceux-là participent à la
prise de décision et par conséquent à la gouvernance de
l'EMF.
I-2-1. Client /associés : un type
particulier de client en microfinance
Nous nous attelons ici à dévoiler les visages
du client/associé et à définir son statut particulier par
rapport aux clients de l'EMF.
I-2-1-1 Visages du client/associé
Il participe au conseil d'administration de l'EMF et c'est
pour cette dernière raison qu'il est un client particulier. Ainsi, il
participe à la prise de décision et est traité
particulièrement par rapport à d'autres clients.
Un regard sur le conseil d'administration nous permettra de
mieux étayer la contribution du client/associé à la
performance de l'EMF.
A. Rôle et responsabilités du conseil
d'administration
La majorité des ouvrages portant sur la gouvernance
concentre leur analyse sur une structure institutionnelle donnée :
société à but lucratif, entité à but non
lucratif ou société publique. Cette approche suppose
implicitement que le comportement du conseil d'administration se définit
par le type d'entité qu'il gouverne. S'il est vrai que la structure
institutionnelle a un impact sur la mise en place d'une gouvernance efficace,
elle ne la définit pas. La définition large qui suit
présente les caractéristiques d'une bonne gouvernance et peut
être appliquée à toute EMF indépendamment de sa
structure institutionnelle.
Le conseil d'administration endosse une responsabilité
fiduciaire à l'égard de l'institution. On parle de
responsabilité fiduciaire lorsqu'une ou plusieurs personne(s) est (sont)
investie(s) d'une propriété ou d'un pouvoir pour le compte d'un
tiers. Attribuer une responsabilité fiduciaire aux administrateurs et
aux directeurs, c'est prévoir un mécanisme permettant d'imposer
des sanctions s'ils échouent dans l'exercice de leurs
responsabilités envers l'institution, sans que celles-ci ne soient
nécessairement explicitées dans le détail au
préalable. Comme l'expliquent les juristes Frank H. Esterbrook et Daniel
R. Fischel, « le principe fiduciaire est une alternative à la
définition détaillée d'engagements et du contrôle de
ces engagements. Il remplace le contrôle préalable par des mesures
dissuasives, tout comme le droit pénal met en place des sanctions en cas
de braquage d'une banque plutôt qu'il ne prévoit la fouille
systématique de chaque personne entrant dans la banque ».
B. Obligations légales du conseil
d'administration
De par sa responsabilité fiduciaire, le conseil
d'administration doit obéir à plusieurs obligations
légales. En premier lieu, il doit s'assurer que l'institution respecte
ses statuts constitutifs, les règlements locaux, les politiques et les
procédures internes. De même, le conseil doit vérifier que
l'institution respecte son statut légal. Il doit également
veiller à ce que l'institution agisse conformément aux lois et
réglementations publiques. De telles lois et réglementations
varient selon la structure de l'institution. Par exemple, lorsqu'un
établissement de microfinance se légalise, elle est soumise
à de nouvelles exigences réglementaires que le conseil doit
connaître. Enfin, définir les obligations légales du CA
renvoie aussi à la question suivante : dans quelle mesure les
administrateurs peuvent-ils être tenus pour responsables des
activités de l'institution ? Cela diffère immanquablement selon
le pays, mais les membres du conseil doivent être pleinement conscients
du degré de responsabilité et d'immunité que leur attribue
la législation locale. Les lois bancaires de nombreux pays fixent
très peu de responsabilités.
En représentant les intérêts d'un tiers et
en remplissant ses obligations légales, le conseil d'administration
délègue la responsabilité à la direction et la
tient pour responsable au niveau interne d'un ensemble d'objectifs et de
critères de performance qu'il a lui-même définis.
Cependant, le respect de ces objectifs et de ces normes peut
être compromis, et l'efficacité de la gouvernance amoindrie, si
les membres du conseil n'ont pas une vision claire de leur rôle. Ainsi,
un administrateur peut croire que les questions opérationnelles
relèvent de sa responsabilité, et ainsi réduire la
capacité d'action de la direction ou sa responsabilité.
C. Relation entre conseil d'administration et
direction
La relation entre un conseil d'administration et le directeur
général, ou DG, est dynamique et évolutive dans le temps,
mais doit se fonder sur une compréhension claire des rôles de
chacun.
Une gouvernance efficace trouve l'équilibre
approprié des relations entre le conseil d'administration et la
direction, à travers la mise en commun de leurs efforts pour
développer l'institution. Chacun apporte une compétence
particulière à cet effort commun, et a sa propre vision de
l'institution. Ils offrent ensemble une valeur ajoutée,
précisément en raison de leur complémentarité.
Selon Diane Duca, cette complémentarité existe parce que le
conseil d'administration et la direction utilisent différents cadres de
référence dans la compréhension de l'institution et
l'exercice de leurs responsabilités. Le tableau ci-dessous fait
apparaître certaines de ces différences, et compare le conseil
d'administration en tant que groupe à l'organe exécutif de
l'institution, composé d'une seule personne.
Source : Principes et pratiques de
la gouvernance en microfinance par Rachel Rock, Maria Otero et
Sonia Saltzman, ACCION International, 1998.
Une gouvernance efficace exige que les conseils
d'administration se concentrent sur trois domaines principaux de
responsabilités : (1) responsabilisation de la direction, (2)
planification stratégique et élaboration des politiques, et (3)
autorégulation. Ces trois domaines permettent au conseil de remplir ses
obligations fiduciaires. A chacun de ces trois domaines essentiels
correspondent plusieurs tâches spécifiques,
présentées dans le tableau résumé ci-dessous et
traitées dans les paragraphes suivants.
Source : Principes et pratiques de
la gouvernance en microfinance par Rachel Rock, Maria Otero et
Sonia Saltzman, ACCION International, 1998.
|