2.3.4 Acceptabilité politique
Une question fondamentale doit être posée dans
l'évaluation de la durabilité du processus de densification:
c'est son acceptabilité politique. Comment organiser le
développement d'une ville à forte densité de population en
facilitant la circulation des piétons et des cyclistes et l'utilisation
des transports en commun, alors que les habitants veulent se déplacer en
automobile et vivre dans des maisons individuelles ? (Kaufmann et Jemelin,
2003: 329). Certains répondent en effet qu'une ville compacte n'est pas
réaliste car elle va à l'encontre des aspirations de la
population, et que cela est non durable en soi (Thomas and Cousins, 1996).
Preuve en est que les densités de population des villes
européennes ont diminué d'autant plus qu'elles étaient
élevées à l'origine (Fouchier, 1997). Il y a eu donc
véritablement une volonté de fuir la densité.
Est-ce que vivre en ville va continuer de répondre
à une demande ? La périurbanisation n'est en effet pas le
résultat de facteurs répulsifs - sur lesquels il est possible
d'agir - uniquement: les qualités du périurbain telles que la
proximité de la nature, la qualité de vie et la
possibilité d'accéder à la propriété
exercent une attraction sur les citadins. Quitter la ville, posséder une
villa en périurbain et avoir une voiture semble constituer depuis
longtemps une aspiration d'une bonne partie de la population.
Il semble pourtant que ce modèle soit aujourd'hui en
perte de vitesse; selon une étude récente (APUMP, 2003), le
désir de périurbain est aujourd'hui plus lié au cycle de
vie (famille) qu'au sentiment de prestige social; d'autre part, le
modèle de la maison individuelle ne domine plus autant dans une
société où les femmes ont une activité
professionnelle et où les couples sans enfants deviennent nombreux. Une
enquête française effectuée en 1998-1999 (Kaufmann et
Jemelin, 2003) révèle également que le modèle
périurbain associant possession d'une automobile, maison individuelle et
connectivité (liens sociaux), est un modèle dominant certes, mais
qui surtout tend à s'imposer même à ceux qui auraient
d'autres aspirations. Une autre enquête effectuée à Zurich
(ARE, 2/03) montre aussi cette attraction pour la ville: trois quartiers
citadins (caractérisés par une forte densité de
construction, une effervescence économique, sociale et culturelle) et
deux périurbains sont cités comme les cinq quartiers de
l'agglomération où la qualité de vie est la meilleure. La
pénurie de logements en ville, le retour de certaines catégories
sociales aisées - jeunes cadres célibataires - dans les quartiers
centraux attestent de l'attractivité du vivre en ville pour une partie
de la population. Seulement, les possibilités soit d'y trouver un
logement assez grand et à bon prix (pour les familles), soit d'avoir la
possibilité d'accéder à la propriété dans
des conditions favorables, y font obstacle. On voit donc que la croissance
périurbaine découle autant d'aspirations individuelles que du
système d'opportunité et de contraintes du marché du
logement. L'attrait généralisé du périurbain n'est
alors peut-être pas une fatalité (Kaufmann et Jemelin, 2003).
Un autre argument évoqué et présidant
souvent au choix d'un logement en périphérie est le coût:
les prix au centre dissuadent d'y résider. Et pourtant, en ce qui
concerne la région parisienne du moins, il s'agirait d'un faux calcul si
l'on en croit une étude de l'INRETS citée par F. Beaucire (Certu,
2000), qui montre que le budget transport augmente avec la distance au centre
de telle manière que le budget transport-logement reste constant en tout
point de l'agglomération parisienne.
Ces deux éléments - la perte de vitesse de
l'attrait du périurbain et la constance du budget transport-logement
avec la distance au centre - poussent à relativiser la pertinence des
arguments qui défendent l'étalement urbain sous prétexte
qu'il résulte uniquement des préférences individuelles.
Nous voyons au contraire qu'il résulte aussi de contraintes, et que les
politiques à impacts territoriaux - notamment la politique du logement -
peuvent les influencer.
Mais peut-être serait-il bon également de se
demander dans quelle mesure la liberté individuelle doit primer sur le
bien commun. Car un développement urbain durable constitue sans aucun
doute un bien commun. Seulement, il existe un décalage entre la
reconnaissance de cet objectif et la responsabilité individuelle qu'il
implique. La plupart d'entre nous se plaignent des nuisances (pollution,
congestion, dégradation du paysage
par les constructions etc.) et adhèrent aux principes
de changement (favoriser les transports publics, construire en ville
plutôt qu'à la campagne)... pour les autres: c'est le si
répandu syndrome du NIMBY, pour Not In My Back
Yard5. Il est certain que, comme le disent Lévy et
Fouchier, le chercheur n'a pas à faire des choix à la place
des citoyens ou des politiques: son rôle est de « poser les enjeux
sur la table » (cités in Certu, 2000: 122). Les changements
doivent se faire avec la volonté populaire, c'est là l'essence
même de toute société démocratique. Du reste, la
légitimité des décisions politiques est la seule garantie
de changements durables. Beaucire l'exprime bien au travers de ce discours
politique imaginé sur les comportements en matière de transport,
qui ne mènerait qu'à prendre les gens en otage: «
Attention, pendant trente ans nous avons mis en place un dispositif d'accession
et de transport qui vous a encouragé à rouler. Aujourd'hui, une
légère erreur dans nos calculs nous amène à voir
que l'on s'est trompé et nous allons donc changer la règle du
jeu. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée... »
(cité in Certu, 2000: 143). Par contre, il est possible d'agir sur
les mécanismes qui poussent les gens à adopter des comportements
non durables en les identifiant, et de proposer de véritables
alternatives.
En conclusion, nous voyons qu'une ville compacte sans
développements à l'extérieur de ses limites n'est pas
viable compte tenu des préférences individuelles d'une partie de
la population. Par contre, une ville polynucléaire dense et
structurée par les transports publics, avec une possibilité,
limitée, de créer de nouveaux quartiers périurbains
à condition qu'ils soient plus denses et desservis efficacement par les
transports publics, est une alternative préférable qui permet de
concilier frein à l'étalement urbain et volontés
individuelles. Mais surtout, il s'agit de favoriser le vivre en ville par une
meilleure qualité de vie et une accessibilité facilitée au
logement et à la propriété, pour que ceux qui doivent ou
souhaitent vivre en ville puissent le faire dans les meilleures conditions
possibles.
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