7. Recommandations
Les réflexions théoriques menées dans la
première partie de ce travail ont permis de déterminer que la
reprise des friches industrielles des secteurs de gare avait un rôle
à jouer pour un développement urbain plus durable. Une
densification qualitative du tissu urbain, mixte, et structurée par les
transports publics s'est avérée être une option souhaitable
à cet égard. Elles ont également montré que de
nombreux obstacles rendaient difficile une réutilisation
systématique de ces terrains.
L'étude de la reconversion de la friche industrielle du
secteur Gare/Crêt-Taconnet, ainsi que les éclairages
apportés par les cas des Eaux-Vives et de Pérolles -Arsenaux,
nous permettent à présent de comprendre comment ces obstacles
peuvent être levés. Ils nous permettent également de
définir plus précisément par quel type
d'aménagement ces friches peuvent mener à freiner
l'étalement urbain; autrement dit de déterminer quels sont les
éléments qui font la qualité et la pérennité
d'un nouvel aménagement sur les friches industrielles des secteurs de
gare.
Deux types d'éléments seront relevés,
relatifs à la forme ou au fond des aménagements. Le premier
groupe de recommandations a trait à la forme, c'est-à-dire au
déroulement du projet. Une densification qualifiée est en effet
un processus avant d'être un résultat: cela signifie que la
manière dont le projet est conduit - gestion des obstacles et des
conflits d'intérêt - a un impact sur la faisabilité, la
qualité et la pérennité d'un nouvel aménagement. Le
second groupe de recommandations concerne le fond, autrement dit le contenu, du
projet. Il s'agit alors de déterminer ce qui fait qu'un
aménagement construit - avec des bâtiments, des rues, des espaces
publics - peut mener à une production d'urbanité en ville, et
donc participer à freiner le processus d'étalement urbain.
7.1 Projet
La concrétisation d'un projet sur des friches
industrielles des secteurs de gare peut se heurter à toute une
série d'obstacles que nous relevions au chapitre 3. La plupart de ces
obstacles se sont effectivement présentés dans l'un ou l'autre
des trois sites étudiés; en retraçant ici la
manière dont ils ont été gérés, il
apparaît que certains outils peuvent être développés
afin de parer aux difficultés relatives à ce genre de terrain.
Cependant, cette analyse met également en lumière la
réelle complexité qu'il y a à concrétiser des
projets sur des friches et en milieu urbain.
Fait friche
Incertitudes face à la
contamination
Ces incertitudes peuvent être écartées.
Les cadastres des sites pollués actuellement en élaboration par
les cantons de Fribourg et de Neuchâtel permettront en effet de
connaître l'état des sites industriels et artisanaux, des
anciennes décharges ou encore des lieux d'accidents, terrains pour
lesquels il n'existait jusqu'alors que des suspicions. Jusqu'à
présent, des sondages étaient effectués uniquement
lorsqu'un terrain suspect faisait l'objet d'un projet.
Chaque canton devrait disposer d'un tel recensement tant pour
des raisons écologiques que pour une promotion économique
efficace et respectueuse d'une urbanisation à l'intérieur de la
zone à bâtir.
Coûts d'assainissements en cas de
contamination
Les procédures actuelles en cas de contamination sont
les suivantes: un site pollué/contaminé détecté
doit faire l'objet d'études de détail - aux frais du
propriétaire - pour déterminer la nature des sols et des
polluants: si la migration de ces polluants est possible, ils doivent alors
être nettoyés. Autrement, une simple surveillance suffit.
Seulement, si le propriétaire envisage de construire, cela ne doit pas
compromettre l'assainissement futur, ce qui limite les possibilités
à des transformations de surface (pas de fondations) (M. Martin
Descloux, Service de l'environnement, entretien). Si la décision est
prise d'assainir le terrain, les frais de nettoyage sont à la charge du
pollueur, et s'il n'est pas solvable, du propriétaire.
L'intérêt du cadastre se trouve donc dans le fait
qu'il permet de connaître l'état du sol des sites industriels et
artisanaux avant que les éventuels pollueurs ne partent, et donc de leur
faire porter les coûts. D'autre part, l'avantage est que, comme
l'emplacement des contaminations est connu, il est possible d'élaborer
un projet en fonction de ces contaminations; par exemple en plaçant des
aménagements de surface (espaces publics) à ces endroits, et les
bâtiments, qui exigent des fondations, aux endroits non contaminés
(Figure 19).
Figure 19. Organisation spatiale des constructions sur un
site pollué
(Valda et Westermann, 2004)
Dans tous les cas, la disponibilité de données
précises et actualisées rend ces terrains plus attractifs aux
yeux des investisseurs qui ne craignent ainsi pas d'avoir à assumer des
coûts non prévus, dus à de mauvaises surprises
découvertes en cours de travaux.
Coûts de réhabilitation de
bâtiments existants
termes « d'efficacité », c'est-à-dire
de surface de plancher disponible pour un même volume (Rey, entretien).
Investir dans la réhabilitation peut valoir la peine dans le sens
où cela donne une qualité architecturale au bâtiment, et
à la friche dans son ensemble. C'est ce pour quoi Bauart a opté
en réhabilitant le bâtiment A (Figure 29).
Cependant, les opérations de réhabilitation sont
généralement dépendantes de l'intervention des pouvoirs
publics: c'est ce que l'on observe avec l'ancienne gare de Fribourg, que les
CFF ont préféré accorder en droit de superficie à
la Ville qui exigeait sa réhabilitation (le bâtiment est
classé au patrimoine).
Une manière de rendre la réhabilitation
attractive pour le secteur privé serait la création d'un
système de labels, comme c'est le cas aujourd'hui pour la construction
écologique.
Fait urbain
Morcellement des propriétés (le projet
ne correspond pas aux limites parcellaires)
L'établissement d'un plan d'aménagement - plan
de quartier par exemple - paraît indispensable pour le
réaménagement de surfaces aussi stratégiques que les
friches industrielles des secteurs de gare. Seulement l'élaboration de
tels plans est complexe en milieu urbain du fait du nombre d'acteurs qu'elle
concerne. Le cas de Crêt-Taconnet a montré l'importance de la mise
en réseau des acteurs pour élaborer un projet en commun.
L'objectif est d'arriver à un projet d'ensemble qui dépasse les
limites parcellaires, et de redistribuer ensuite aux différents acteurs
leurs droits à bâtir respectifs, par exemple par des
échanges de terrains. La clé de la réussite est la mise en
place d'une structure de négociation entre les propriétaires,
ainsi qu'une médiation externe efficace.
Multiplicité des visions pour un même
site
Outre la mise en réseau des acteurs, il est essentiel
d'avoir une base de discussion commune; la conception directrice a joué
ce rôle pour le réaménagement de CrêtTaconnet. Il
s'agit également d'éviter la crispation des acteurs sur leur
position. A cet égard, lorsque le projet émane des
autorités, la prise de contact avec les propriétaires le plus
tôt possible est bénéfique.
Il n'en reste pas moins que des divergences fondamentales -
sur l'affectation du site par exemple - peuvent parfois paralyser un projet.
Intégration au tissu urbain
existant
Une analyse architecturale et urbanistique des lieux est
indispensable. Une telle analyse doit s'attacher à définir les
caractéristiques qui font l'identité des lieux et de leur
environnement. Elle doit aussi réfléchir sur les liaisons,
notamment piétonnes, qui relient le nouveau quartier au reste du tissu
urbain. Au vu de l'importance stratégique des friches industrielles des
secteurs de gare, il semble que la mise en place d'un concours de projets soit
fortement recommandée. A Crêt-Taconnet, ce sont d'ailleurs les
réflexions des experts du concours pour le bâtiment de l'OFS qui
ont amorcé cette analyse, consignée ensuite dans la conception
directrice.
Gare
Nuisances ferroviaires
Les nuisances sonores qui affectent ces friches sont une
réalité; cependant, la qualité actuelle du matériel
roulant a permis de passablement les réduire. D'autre part,
l'emplacement stratégique de ces terrains contrebalance ces
désagréments pour des activités économiques. Bien
évidemment, il ne serait pas opportun de placer du logement le long des
voies; mais une bonne organisation spatiale des éléments
construits sur la friche permet de trouver des solutions. A Crêt-Taconnet
par exemple, le bâtiment HEG/CMN ainsi que la barre multifonctionnelle
feront écran entre les voies et le reste du quartier.
Imbrication d'échelles locale et
nationale
L'imbrication de ces deux échelles peut mener à
des conflits d'intérêt, puisque les friches industrielles des
secteurs de gare font l'objet d'enjeux à ces deux niveaux. La reprise de
ces friches est bénéfique aussi bien pour le développement
spatial de la Suisse que pour le développement urbain local.
En tant que noeuds d'un réseau de ville d'importance
nationale voire internationale, ces terrains, en tant que vitrine d'une ville
pour les voyageurs ferroviaires, sont les lieux privilégiés du
marketing urbain. Ils sont, dans cette optique, destinés en
priorité à devenir des centres d'affaires et des quartiers de
haut standing, ce qui rejoint l'intérêt de leurs
propriétaires, en particulier les CFF. En même temps, à une
échelle régionale et locale, ces terrains représentent
l'opportunité de créer des infrastructures de proximité,
des logements non pas seulement de luxe mais aussi à prix
modérés, ainsi que des emplois pour la population locale.
Afin de concilier ces deux objectifs et d'éviter toute
tertiairisation et/ou gentrification des secteurs de gare, une mixité
fonctionnelle et sociale, gagnante aux deux échelles, est vivement
recommandée.
Pouvoirs publics Changement
d'affectation
Des conditions légales insatisfaisantes en regard du
plan d'affectation étaient citées comme obstacle par 30% des
propriétaires de terrains industriels en friche dans l'étude
récente éditée par l'ARE (Vasla et Westermann, 2004).
Il apparaît, avec l'exemple de Crêt-Taconnet sud,
que le déclassement de terrains industriels en zone mixte n'est d'abord
pas toujours souhaité par les propriétaires, du fait que les
indices de construction sont plus élevés en zone industrielle
qu'en zone mixte. Cependant, le manque d'usagers pour des terrains industriels
rend la plupart du temps le changement d'affectation indispensable à la
réutilisation des terrains. D'autant plus que la construction de
bâtiments à usage tertiaire plutôt que secondaire
renchérit les prix fonciers. Mais alors, même s'il existe une
volonté commune des propriétaires et des autorités de
changer le régime des zones s'appliquant à une aire en friche,
les modalités de reclassement - et les indices autorisés -
peuvent être source de conflits.
Les divergences d'opinion liées aux modifications du
régime de zone sont probablement l'un des obstacles les plus importants
dans la reconversion des friches. Elles cristallisent d'ailleurs les
divergences d'opinions politiques consignées dans la LAT par les
articles 22 ter et 22 quater (voir chapitre 3.3.4). L'attente, de la part des
pouvoirs publics, est souvent
préférée au dédommagement
financier exigé par la loi en cas de dévaluation des terrains par
changement du régime de zone impliquant des indices de construction plus
bas: une stratégie qui ne profite pas à une utilisation rapide et
systématique des friches industrielles, mais qui est souvent contrainte
par le manque de moyens financiers des pouvoirs publics.
En l'état, la négociation est le seul instrument
capable de résoudre ce type de conflits. Participation
financière
Les coûts d'assainissement peuvent dissuader les
propriétaires de chercher à construire leur terrain. De plus, il
est parfois difficile de trouver des investisseurs pour la construction en
ville, alors qu'il est moins cher et plus facile de construire en
périphérie. L'utilisation de ces friches plutôt que de
terrains vierges en périphérie représente pourtant un
intérêt pour la collectivité.
Il serait alors imaginable qu'un système de
subventionnement soit mis en place par la collectivité: par exemple par
la création d'un fonds alimenté par la plus-value
résultant de l'augmentation des prix fonciers due aux processus de
régénération urbaine.
Gestion de projet (instruments et
procédures)
Les réaménagements de friches industrielles de
secteurs de gare sont des projets complexes, qui exigent une planification
poussée. Il est vivement recommandé de ne pas se limiter aux
instruments de base tels que le plan directeur, mais d'élaborer des
plans localisés - plans de quartier (Crêt-Taconnet) ou plans
d'aménagement coordonnés (Eaux- Vives) par exemple.
La mise à disposition de lignes directrices consignant
les désirs des autorités (conception directrice) permet de donner
un cadre de référence et une base de discussion pour
l'élaboration des plans de quartiers. Cela implique que les
autorités anticipent le développement de ces secteurs
stratégiques, afin de ne pas être pris de cours par des
initiatives individuelles émanant des propriétaires.
Il est d'autre part important de mettre en place des
structures de négociation efficaces permettant aux différents
acteurs d'agir ensemble et de manière constructive. Lorsqu'un projet se
développe en collaboration avec les pouvoirs publics, comme il est
souhaitable pour ce genre de terrains, il est important d'informer les
propriétaires et d'ouvrir la consultation le plus tôt possible.
Disponibilité de
données
Il serait souhaitable que chaque canton dispose d'une part
d'une connaissance du potentiel restant dans la zone à bâtir,
d'autre part de la localisation de ces potentiels ainsi que de leurs
caractéristiques. Cela permettrait alors une politique
d'aménagement du territoire visant à une utilisation
planifiée et organisée du territoire, ainsi qu'une politique de
promotion économique capable d'encourager activement la
réutilisation des friches industrielles auprès des
investisseurs.
Le calcul des potentiels constructibles par orthophotos, comme
cela se fait pour la deuxième couronne de l'agglomération
genevoise, est un moyen efficace d'atteindre le premier but.
L'élaboration d'un plan sectoriel des zones d'activités
d'importance cantonale, comprenant des fiches détaillées des
parcelles concernées notamment sur leur
desserte en transport public, montre comment Fribourg s'est
donné les moyens d'atteindre le second.
Cadre légal Zonage
Le classement du foncier en différents types de zones
présente un inconvénient pour la reconversion des friches
industrielles. En effet, la procédure de changement de zone demande une
révision du plan d'aménagement, et ne peut donc se faire de
façon immédiate. De manière générale, le
zonage, conçu à l'origine pour séparer l'habitat des
nuisances industrielles, tend à accroître les besoins en
mobilité, ainsi qu'à créer des territoires de faible
qualité de vie, tels que cités-dortoirs et centres tertiaires.
Une solution à ce problème pourrait être
l'abolition du système des zones. Les terrains seraient alors soit
« mixtes » soit « non constructibles » par exemple. Des
quotas pourraient être établis pour garantir une certaine part
logement dans les quartiers centraux, ainsi que pour garantir une certaine part
d'activités économiques dans les quartiers à dominante
résidentielle. Des fourchettes d'indices d'utilisation du sol seraient
également imposées afin d'éviter une densification
homogène et indifférenciée du territoire.
Propriétéfoncière
La reconversion des friches, et plus
généralement une politique d'aménagement du territoire
visant à la contention de l'urbanisation à l'intérieur de
la zone à bâtir, peuvent se heurter à la définition
de la propriété foncière. Le problème s'est
posé dans un premier temps à Crêt-Taconnet sud, où
le souhait des autorités d'aménager la friche de manière
qualifiée s'est heurtée au souhait d'une densification plus
importante par le propriétaire.
Naharth, dans sa critique du droit foncier, parle de la
propriété foncière telle que définie actuellement
comme d'un important potentiel de blocage (Naharath, 8 février
2004: 6) en vue d'un développement durable du territoire. Un
assouplissement de la définition privative et exclusive du droit de
propriété, la simplification du processus d'inscription des
servitudes, la distinction entre droit à bâtir et
propriété foncière, l'introduction du principe de
l'obligation de construire ou encore la généralisation du droit
de superficie (ibid.) sont quelques pistes intéressantes
lancées par l'auteur.
En sus de ces recommandations destinées à
gérer des obstacles déterminés, voici deux
éléments d'ordre plus général qu'il s'agit de
prendre en compte lors d'un projet de reconversion de friches:
1. Ces secteurs se trouvent en processus de déclin; pour
concrétiser un
aménagement sur ces terrains, il faut donc parvenir
à inverser la vapeur. Le cas de CrêtTaconnet montre qu'un symbole
fort, comme la tour et le bâtiment OFS, peut initier une dynamique
positive. Aux Eaux-Vives, le projet du CEVA a joué le rôle de
détonateur. A Pérolles -Arsenaux, la réaffectation de la
voie industrielle pourrait donner une impulsion à la reconversion du
site.
Pour que les différents acteurs aient envie de
s'investir dans la reconversion d'une friche, il faut un élément
qui leur permette d'imaginer le futur visage du quartier. Les différents
acteurs - le politique, les propriétaires, les maîtres d'ouvrage,
les futurs locataires - doivent pouvoir deviner dans le site concerné le
potentiel de développement plutôt que la friche. Il est donc
important de trouver un symbole, architectural ou fonctionnel, qui oeuvre comme
détonateur.
2. Pour qu'un nouveau quartier inséré au sein d'un
tissu urbain existant
« fonctionne », c'est-à-dire qu'il soit
positivement perçu et investi par la population, il est
nécessaire que l'élaboration du projet se fasse avec tous les
acteurs concernés. La prise en compte de ces différents acteurs -
pas seulement propriétaires mais aussi voisinage et usagers divers -
permet d'arriver à un projet de qualité. De fait, un
aménagement aura plus de chances de « fonctionner »,
d'être accepté, fréquenté et approprié, si la
population, ou au moins le voisinage, a participé à son
élaboration.
La mise en place d'un processus de consultation est donc
importante. A un niveau purement pratique, elle permet d'éviter des
oppositions coûteuses en temps et en argent. En outre, la qualité
d'un nouvel aménagement sera d'autant meilleure que ce dernier
répondra aux besoins et aux désirs de la population
concernée directement (usagers) et indirectement (voisinage, quartier).
Il s'avère donc qu'un processus de densification du tissu urbain sera
plus à même de produire une certaine urbanité, et ainsi
à participer à freiner l'étalement urbain, s'il est
conçu avec la population qui le fréquentera quotidiennement. Cela
peut se faire sous différentes formes: séances d'information et
de consultation comme aux Eaux-Vives ou « cafés-débats
» comme à Fribourg.
Notons qu'à Crêt-Taconnet, il n'y a pas eu la
mise en place de processus participatifs - encore peu « à la mode
» dans les années 1990 -, et que la prise en compte des
intérêts du voisinage direct (propriétaires) et indirect
(quartier) s'est faite en grande partie suite aux oppositions. On
relèvera néanmoins la politique d'information publique du projet
Ecoparc, ainsi que différentes actions d'intégration des besoins
des futurs usagers: ateliers interdisciplinaires, guide d'utilisation des
bâtiments et site Internet à destination des habitants du
quartier.
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