6.6 Capacité de l'aménagement à
freiner l'étalement urbain: enseignements
La reconversion du site Gare/Crêt-Taconnet est
aujourd'hui bien entamée. En se promenant le long de la rue
Crêt-Taconnet, qui partage les deux secteurs nord et sud, on ne se doute
pas qu'il s'agissait d'une friche quelques années auparavant. A
l'arrière du site, le long des rails, un certain nombre
d'éléments importants devront encore être
érigés (HEG/CMN, barre multifonctionnelle); mais les plans de
quartier ainsi que les images de synthèse permettent de donner une bonne
idée du visage que présentera le site d'ici une dizaine
d'années (Figure 12).
Figure 12. Le futur quartier
gare/Crêt-Taconnet
(Ryter et Rey, 2002)
Notre propos ici est d'analyser la capacité de ce nouveau
quartier à freiner l'étalement urbain.
Le réaménagement de la friche de
Crêt-Taconnet, en remplaçant des bâtiments industriels
sous-utilisés par des bâtiments de logement et de bureau,
contribue à la densification des activités à
l'intérieur de la zone à bâtir9. En ce sens,
cette reconversion participe en soi à freiner l'étalement
urbain.
Cependant, la question est de savoir si cette reconversion
contribue à créer une meilleure qualité de vie en ville,
autrement dit si elle s'est faite de manière qualifiée. En nous
référant aux conditions sous lesquelles la densification du tissu
urbain pouvait conduire à freiner l'étalement urbain,
énoncées au chapitre 2, nous allons tenter d'analyser l' «
urbanité » créée par la reconversion du secteur
Gare/Crêt-Taconnet.
· La densification doit se faire de manière
différenciée en fonction de la desserte en
transports publics
Le secteur Gare/Crêt-Taconnet a été
désigné comme le principal pôle stratégique de
développement pour la ville de Neuchâtel: Ce pôle
central est un point d'ancrage stratégique de grande importance. Ce lieu
privilégié est, de toute la ville, le mieux raccordé aux
transports en commun locaux, nationaux et internationaux (TGV Berne- Paris,
Intercity Genève-Cointrin et Zurich-Kloten (Ville de
Neuchâtel, 1994: 16). Plus loin, il est expliqué que seul un
service de transports en commun rapide et fréquent entre la ville et la
Gare/Crêt-Taconnet, coordonné avec des liaisons interurbaines
performantes, permettra à ce secteur de bien se développer et
assurera son rayonnement (ibid.). Il s'agissait donc, en 1994,
d'un secteur bénéficiant d'une bonne desserte en transports
publics; grâce à la construction du funiculaire reliant la gare au
bas de la ville en 2002, la fonction nodale de ce secteur a encore
été renforcée. D'autres projets, encore à
l'étude, visent à consolider ce pôle par
l'amélioration des liaisons intra-urbaines (prolongement du Littorail
à l'est, liaison avec la colline du Mail).
Une densification relativement forte d'activités dans
ce secteur était donc justifiée puisque non seulement elle se
faisait sur un noeud de transport public existant, et qu'en outre les pouvoirs
publics tenaient à renforcer ce rôle nodal.
· La densification doit être
accompagnée par une mixité des fonctions pertinente tant au
niveau de l'échelle considérée
(parcourable à pied) qu'au niveau des fonctions
(complémentaires)
Rappelons que la mixité des quartiers est souhaitable
dans une optique de réduction du besoin de recourir à la voiture
pour les activités quotidiennes (typiquement achats alimentaires), mais
aussi pour le maintien d'une activité humaine plus ou moins continuelle.
En effet, il s'agit de créer des espaces urbains qui vivent durant la
journée (activités économiques, formation, commerces etc.)
mais aussi après la fermeture des bureaux (logement, cafés,
cinémas etc.).
Les périmètres est et sud du secteur
Crêt-Taconnet sont affectés en « ZM40 » dans le plan
d'affectation (Annexe 6); cela signifie qu'il s'agit de zones mixtes dont 40%
de la surface est réservée à l'habitat. Le
périmètre nord/ouest est classé en zone mixte, sans quotas
(« ZM »).
Les fonctions accueillies sur l'ensemble du site sont
essentiellement du logement, des bureaux et des infrastructures publiques (HEG
et CMN). La conception directrice souhaitait voir le pôle accueillir des
activités à forte valeur ajoutée telles que places de
travail et infrastructures socio-culturelles et touristiques. Pourtant, la
fonction culturelle n'est pas généralisée sur le site.
Amstutz (entretien) explique que l'offre culturelle existante à
Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds est déjà importante
au vu des 1 50'000 habitants que compte le canton; de plus, le financement
d'infrastructures culturelles est plutôt difficile à obtenir.
Néanmoins, plusieurs éléments culturels peuvent être
signalés: l'Espace culturel situé au bas de la tour de l'OFS, la
salle d'exposition et la médiathèque publiques de l'OFS, un
atelier d'artiste ouvert au public au rez-de-chaussée d'un immeuble de
lofts et la salle de concerts de 250 places du futur Conservatoire de
musique.
La fonction commerciale se limitera en principe à une
partie du futur édifice mutlitfonctionnel ouest. Il avait
été envisagé de mettre en relation les bâtiments
avec la place par des activités de commerces aux
rez-de-chaussée dans le périmètre est.
Cependant, l'idée fut abandonnée du fait de la
proximité des commerces de la gare (un magasin Aperto, une boulangerie,
un kiosque, un fleuriste ainsi qu'une pharmacie); selon Rey (entretien), les
1'000 à 1'500 habitants et étudiants du secteur Est ne
contrebalanceraient pas les 16 000 clients potentiels qui transitent par la
gare chaque jour, d'autant plus que les commerces de la gare
bénéficient d'horaires plus longs et d'une sécurité
déjà en place.
La mixité du secteur Gare/Crêt-Taconnet est
garantie par le plan d'affectation: une certaine part de logement a ainsi
été assurée à l'est et au sud. Cependant, la
volonté de créer des activités commerciales s'est
heurtée à divers obstacles, notamment celui d'un marché
incertain; dès lors, le périmètre nord/ouest risque
d'être uniquement voué au tertiaire. Ce cas de figure serait
préjudiciable à la qualité du périmètre est,
puisque les résidents traversent le périmètre nord/ouest
pour rejoindre leur logement. La présence d'activités nocturnes
au rez-de-chaussée de la barre multifonctionnelle semble donc
essentielle pour préserver une liaison piétonnière
attractive. La faisabilité d'un tel concept est actuellement à
l'étude par les CFF (Amstutz, entretien). D'autre part, l'absence de
commerces de proximité pour l'alimentation - excepté la
boulangerie, et excepté Aperto dont les prix sont très
élevés - est dommageable dans la perspective de réduire
les déplacements automobiles. Il est en effet fort probable que les
habitants du quartier aient à prendre la voiture pour leurs achats
alimentaires.
Une réelle mixité des fonctions existe donc sur
l'ensemble du secteur, gare comprise. Cependant, il est largement souhaitable
qu'un « pôle de développement stratégique
appelé à devenir le centre de la ville du 21ème
siècle » (selon le PDC), possède à terme un
supermarché autre qu'Aperto, qui fonctionne plus comme « solution
d'urgence » que comme lieu d'approvisionnement quotidien.
D'autre part, nous voyons que l'échelle du quartier
comme référence à la mixité peut se
révéler trop vaste: en l'occurrence, elle devrait être
réalisée au sein de chacun des trois périmètres
pour assurer une qualité et une sécurité à
l'ensemble du quartier. Le risque couru par le périmètre
nord/ouest montre la difficulté qu'il y a à réaliser des
zones mixtes lorsque cela est permis mais non exigé par le plan
d'affectation (ZM sans quotas).
· elle doit être accompagnée de
politiques visant un report modal de la voiture individuelle
sur les transports en commun (agir sur la demande)
L'élément marquant à cet effet est le
projet du parking global. Le concept est qu'une même place peut servir
à différents usagers dont les horaires sont
complémentaires (bureaux, logements): le nombre de places offertes est
ainsi limité, permettant des économies d'argent et d'espace. La
mixité des activités offre donc la possibilité de
créer des synergies de ce type.
La création de ce parking global souterrain permettra
en outre de réduire les impacts extérieurs: la surface
extérieure sera libérée de la fonction de parcage d'une
part, et d'autre part, une seule rampe d'accès sera nécessaire au
lieu des quatre - une pour chaque parking10 - qui auraient pu
être construites. Cette solution présente aussi des avantages
financiers puisqu'elle permet des économies
d'échelles. Elle facilite enfin une meilleure gestion des flux
générés par le quartier (Ryter et Rey, 2002).
Ce type de parking est intéressant pour une politique
de report modal: il permet de réduire le nombre de places offertes pour
l'ensemble du quartier, sans porter atteinte aux besoins des usagers du site
mais en évitant les places de commodité. Le projet final comporte
617 places au lieu des 890 autorisées selon les normes VSS11
(pour un même quartier en périphérie, non desservi par les
transports publics, la norme permettrait 1800 places) (Rey, conférence).
Cet élément est essentiel puisque l'on sait que la politique du
stationnement a un impact important sur les choix du mode de transport. Le
stationnement, c'est la clé de tout (Bussière et Bonnafous,
1993: 334): c'est ce que l'on constate si l'on considère qu'au
départ et à l'arrivée de chaque déplacement, il y a
effectivement une place de parc.
· La production d'urbanité doit guider tout
processus de densification
Le plan d'affectation prévoit pour l'ensemble du
secteur couvert par les trois plans de quartier un indice d'utilisation du sol
maximum de 2,0. L'indice autorisé par le règlement du PQ Est est
de 1,7. En définitive, le projet consigné dans le rapport
explicatif du PQ Est est de 1,58 (Ville de Neuchâtel, 20.01.1999). Quant
aux aménagements des périmètres sud et nord/ouest, les
surfaces brutes de plancher sont en-deçà des indices maximum
autorisés.
Des considérations urbanistiques ont donc guidé
ces projets plutôt qu'une volonté de densifier en fonction des
indices autorisés. Ce précepte avait d'ailleurs été
énoncé dans la conception directrice pour le secteur sud:
[...] la surface brute de plancher ne doit pas être un
énoncé du concours, mais elle découlera du projet qui
respecte les contraintes énumérées ci-dessus12
et qui propose une solution architecturale de qualité adaptée aux
caractéristiques du lieu (Feddersen et Klostermann, 1994 (I):
29).
Les ouvertures du futur bâtiment multifonctionnel
exigées par le plan de quartier CT Nord/Ouest est un bon exemple de
cette volonté de créer une qualité avant de créer
une densité à tout prix: ces ouvertures, traversantes et
transparentes, permettront de donner à la ruelle définie par les
deux bâtiments longitudinaux (OFS et barre) un aspect plus ouvert et
lumineux.
· La densification doit être faite de
manière différenciée en fonction des
caractéristiques des espaces considérés
Les caractéristiques des lieux telles que
définies au point 6.2.3 ont été prises en compte dans le
projet. La conception directrice s'était attachée à
fournir une analyse spatiale des lieux afin de déterminer quelles
étaient les caractéristiques spatiales à préserver
(Annexe 8); la matérialisation du projet permet de voir que ces
éléments ont en effet été conservés et mis
en valeur.
11 Normes éditées par l'Association suisse des
professionnels de la route et des transports (VSS)
12 Hauteurs, gabarits, surface réservée à
l'habitat, échappées sur le lac, accès entre la rue
Crêt - Taconnet et la rue E.-de-Reynier, volumétrie etc.
Figure 13. L'extrémité Est du
bâtiment principal de l'OFS
La position en promontoire du site par rapport à la
ville et au lac a été mise en valeur par la création
d'échappées entre les bâtiments, tant du
périmètre sud que du périmètre est.
L'extrémité Est du bâtiment de l'OFS a également
été pensée dans cet esprit: la relative transparence du
bâtiment et les ouvertures à l'Est (Figure 33) permettent aux
quartiers au nord des rails tout comme aux utilisateurs de la rue au nord de
l'OFS de jeter un oeil sur le lac et les Alpes. Quant à la barre nord,
ses « vides » devraient également permettre un accès
visuel transversal au quartier. La vue sur le lac est aussi rendue aux passant
par un accès piéton au sud des logements (ruelle
E.-de-Reynier).
Figure 14. Etagement du quartier selon les murs de
vignes. Au fond, les nouveaux bâtiments du
périmètre sud.
La forme longitudinale du plateau, définie par les
rails et le mur de soutènement, a été soulignée par
le bâtiment de l'OFS, et le sera également par la barre nord. Le
mur a également été mis en valeur par les bâtiments
A B C du périmètre est (Figure 29) qui s'intègrent dans
une parfaite continuité du mur (Figure 1 5).
L'étagement des quartiers sud selon les murs de vignes
a également été pris en compte dans la construction des
logements du périmètre sud (Figure 34).
Ces quelques exemples montrent que les qualités
spatiales du site ont été étudiées
attentivement.
· des mesures architecturales et urbanistiques
doivent viser à créer des aménagements de
qualité
L'esthétique et l'intégration des
bâtiments au site sont primordiales pour la qualité du quartier.
Le bâtiment de l'OFS, soulignant les voies de chemin de fer et
s'inscrivant dans la forme longitudinale du plateau, ainsi que la tour, sont
considérés comme une réussite architecturale (Jakob et
Walti, 2004). Quant aux bâtiments du périmètre Est, ils
s'intègrent de manière remarquable au site grâce à
la réhabilitation d'une partie du bâtiment A et à la
conservation de l'agencement originel des bâtiments par rapport au mur de
soutènement.
Figure 15. Le mur de soutènement et les
bâtiments Crêt-Taconnet 13-15 avant et après la reconversion
du site
(photo de gauche: in Ryter et Rey, 2002)
Quant au périmètre sud, la réalisation
des bâtiments de logement correspond à ce qui était
souhaité par le jury du concours pour l'OFS, consigné dans la
conception directrice: Tous les bâtiments qui seront
érigés au sud de la rue du Crêt-Taconnet devraient, dans
toute la mesure du possible, rester d'une masse, d'une largeur et d'une hauteur
modestes. Il devrait s'agir davantage d'objets isolés permettant
régulièrement une vue interstitielle vers le sud et formant ipso
facto un contraste avec le bâtiment allongé et continu de l 'OFS
(...) (Feddersen et Klostermann, 1994 (I): 28). Plutôt neutres, ils
permettent de mettre en valeur le bâtiment phare de l'OFS.
Dans les deux secteurs, l'organisation spatiale des
bâtiments originels a été conservée (Figure 15). Cet
élément permet une transformation «douce » du site, et
favorise son intégration spatiale et temporelle.
Les espaces publics ont été traités avec
une attention particulière: la place Gérard-Bauer (Figure 36)
ainsi que l'Espace de l'Europe attestent de l'importance donnée à
ces espaces dans la reconversion de la friche Gare/Crêt-Taconnet. Ces
espaces vides autour de la gare, il ne faut pas les remplir ! On a besoin de
lieux que les usagers s'approprient. Il ne faut pas avoir peur du vide !
(Stéphane Thiébaud, interviewé par l'hebdomadaire Vivre la
Ville). L'importance de la préservation de l'espace non construit est
d'ailleurs inscrite
Figure 16. La place Gérard-Bauer
(Vivre la Ville, 15.12.04)
dans le plan directeur. La gestion qui en a été
faite dans le quartier étudié montre qu'une densification du
tissu bâti peut participer à la création d'espaces non
construits de qualité.
· Une mixité sociale favorisée par le
biais d'une offre diversifiée en logement doit être à la
base de toute densification
Le but en termes de logement est d'offrir une alternative au
périurbain pour le périmètre Est (Rey, entretien). Les
trois publics cibles sont les suivants: les personnes âgées
souhaitant revenir en ville pour des questions de sécurité et de
facilité et cherchant une bonne qualité de vie, les personnes
très actives au mode de vie urbain, ainsi que les familles. Un
quatrième public pris en compte était les étudiants, mais
seulement quelques studios ont finalement été conçus. Le
public visé est donc diversifié.
La Ville n'est pas intervenue dans le choix du type de
logement offert dans le périmètre Est: le résultat est
issu des échanges entre Bauart et Helvetia Patria. Elle n'est pas non
plus intervenue dans les choix de la Suva (périmètre Sud). Il
semble que des préoccupations face au type de logement
créé lors de nouvelles constructions soient relativement
nouvelles pour la Ville, et qu'elles se cristallisent dans des projets plus
récents que Crêt-Taconnet (Thiébaud, entretien). En
l'occurrence, la gestion du site par Bauart, qui poursuit une éthique de
développement durable pour le quartier, a permis de garantir une
certaine mixité de logements qui n'aurait pas été offerte
sinon.
Des logements de taille différente en fonction des
trois publics visés sont donc proposés, dont une partie en PPE.
Cette modalité d'achat présente l'avantage d'offrir une
alternative intéressante à la propriété en
périurbain. Elle marche très bien actuellement, puisqu'elle
présente des taux d'intérêt bas pour les acheteurs, et un
bon retour d'investissement pour les promoteurs (Rey, entretien). Il n'y par
contre pas de logements sociaux ou à prix modérés. Les
loyers sont d'environ 2000.- pour un 4,5 pièces de 100m2, des
prix considérés comme standards pour ce type de logement
(Thiébaud, entretien). En dehors des lofts (en PPE), il ne s'agit donc
pas de logements de luxe.
Une mixité de populations a donc été
favorisée par l'offre de logements: familles, célibataires ou
couples actifs, personnes âgées. Par contre, les catégories
visées ont comme dénominateur commun un revenu plutôt
aisé. Bien qu'il ne s'agisse pas de logements de luxe, il ne s'agit pas
de logements sociaux non plus: la mixité sociale telle que
définie dans notre partie théorique n'est donc pas
présente dans le quartier de CrêtTaconnet.
· elle doit être accompagnée par une
réduction des espaces voués uniquement à la
voiture
La création d'un parking souterrain, qui plus est
commun aux divers maîtres d'ouvrage, permettra à terme un gain
d'espace appréciable en surface. Pour l'instant, les places sont encore
à l'extérieur dans le secteur nord; le périmètre
sud possède par contre déjà son propre parking souterrain.
De ce fait, la rue comprise entre l'OFS et les bâtiments nord est
provisoirement occupée par des places de parc sur une largeur de 7
mètres. Cette situation, si elle devait se prolonger, ne permettrait pas
d'aménager cette rue de manière qualifiée.
Figure 17. La rue de Crêt-Taconnet
La rue de Crêt-Taconnet (Figure 17) sera
vraisemblablement transformée en sens unique. Une étude en cours
montre en effet l'intérêt de réaliser un sens unique dans
cette rue pour satisfaire aux exigences de ce nouveau quartier (Ville de
Neuchâtel, 2001): augmentation des flux automobiles, mais
également piétons et cyclistes, pour lesquels l'état
actuel de la rue ne permet clairement pas de faire face. La
sécurité des piétons et des cyclistes est en effet
déplorable: trottoir d'une largeur de 1 mètre (le minimum
prescrit est de 1,5 m) obligeant les piétons à se dépasser
et à se croiser en empiétant sur la route, circulation des
voitures à des vitesses bien supérieures à la limitation
générale de 50 km/h (particulièrement à la
montée - sans doute parce qu'il s'agit de la direction de la gare -
où la moyenne se situe à plus de 60 km/h, avec des pointes
à 80 km/h), circulation des cyclistes le long du mur de
soutènement à la montée.
Il s'agit donc de faire de cette rue un sens unique, afin de
réduire l'espace voué à la voiture au profit des cyclistes
et des piétons, selon un système de voies mixtes optimisant
l'espace voué à chacun (piétons et cyclistes «
montants » circulant sur la même voie par exemple).
Le réaménagement de la place de la gare -
Espace de l'Europe (Figure 18) - montre qu'une réorganisation
de l'espace voué à la voiture peut également avoir un
impact positif sur la qualité des espaces publics.
Figure 18. L'Espace de l'Europe. En vignette,
l'Espace de l'Europe avant et après son réaménagement.
(vignettes: site Ville de Neuchâtel)
· Les processus de densification doivent être
contrôlée par les pouvoirs publics afin d'éviter tout
processus de tertiairisation ou de gentrification
Les pouvoirs publics peuvent garantir une certaine
mixité au travers de l'élaboration d'un cadre juridique
adapté. A Crêt-Taconnet, le classement des terrains en zone mixte
a été accompagnée de quotas de logements pour les
périmètres Est et Sud. Une mixité fonctionnelle
était donc garantie par plan d'affectation, empêchant toute
tertiairisation.
Cette garantie légale est importante pour maintenir la
mixité à long terme. En effet, les affectations telles que
prévues par les plans de quartier peuvent changer au fil du temps. Ces
plans sont d'ailleurs révisés tous les cinq ans. Il
s'avère donc plus sûr de forcer le maintien de la mixité
par le plan d'affectation.
L'avenir du périmètre nord/ouest, en zone mixte
sans quotas, est quant à lui plus incertain. L'affectation de la barre
nord est encore imprécise. Selon le plan de quartier, les affectations
devront être mixtes - bureaux, hôtel, auberge de jeunesse,
restaurants, centre de formation (Ville de Neuchâtel, 09.09.1999, Plan de
quartier Nord/Ouest, Rapport explicatif). Les investisseurs qui
répondront à l'appel d'offre des CFF seront donc tenus de
respecter cette mixité. Cependant, l'avenir de ce bâtiment
dépendra, à court et surtout à long terme, des
aléas du marché.
Quant à la gentrification du secteur
Crêt-Taconnet, elle asemble-t-il été évitée
puisque les logements, tant à l'est qu'au sud, ne sont pas, dans
l'ensemble, des logements de luxe. Notons que la mixité fonctionnelle,
en offrant un compromis entre activités à haute valeur
ajoutée et logement, permet d'une certaine manière de limiter la
tentation de ne créer que du logements de luxe.
· La régénération urbaine doit
être financièrement attractive pour le secteur
privé
Construire en milieu urbain, qui plus est sur une friche de
prime abord peu attractive, coûte plus cher que de construire sur des
terrains vierges en périphérie: c'est un fait. La
réhabilitation de bâtiments, elle aussi, coûte plus cher que
la construction et l'utilisation de nouveaux bâtiments. Enfin, l'exigence
d'une certaine mixité, la création d'espaces publics, ainsi que
tout autre élément visant à produire une densification
qualifiée peut, à priori, porter préjudice à la
rentabilité du projet. Lorsque Bauart a annoncé que le
développement durable serait pris comme thème
fédérateur pour le quartier, le scepticisme était de
rigueur. Beaucoup ont pensé que ça allait tuer le projet
(Rey, conférence). Pourtant, malgré tout, des investisseurs
ont été intéressés par cette expérience;
même la création d'un parking global non exigé par le plan
de quartier, a priori compliqué à gérer, sera très
probablement réalisé.
La viabilité économique de chaque
élément du projet est une condition sine qua none à sa
concrétisation; en l'occurrence, la reconversion d'une friche en milieu
urbain, comprenant la réhabilitation d'un bâtiment, la
construction de bâtiments écologiques, une mixité
fonctionnelle et sociale, s'est avérée viable
économiquement. Rey explique qu'il s'est agi de démontrer et de
convaincre les différents acteurs à chaque étape du
projet, en abordant des questions de coût, de sécurité,
d'énergie etc. (ibid.). Une négociation fondée sur
l'échange et non sur la contrainte, qui a visiblement payé.
L'intégration de critères de
développement durable dans un projet de reconversion, et par extension
une densification qualifiée, peut être économiquement
viable. C'est ce que la reconversion de la friche Gare/Crêt-Taconnet
démontre.
· La densification doit donc résulter de
partenariats public-privé
La mise en place d'un cadre juridique (plan directeur, plan
d'aménagement, plans de quartiers) et de lignes directrices (conception
directrice) par les pouvoirs publics ont constitué les fondements de
cette reconversion. Ces instruments garantissaient que les objectifs de la
Ville de faire de ce site un pôle stratégique de
développement seraient remplis.
Malgré l'environnement peu attractif du site au milieu
des années 1990, encore en état de friche puisque seuls les
bâtiments de l'OFS étaient construits, des investisseurs ont pu
être trouvés tant pour les logements Est que Sud. Les pouvoirs
publics et le bureau Bauart ont su mettre en avant le potentiel du site pour
motiver les maîtres d'ouvrage à investir dans la construction de
logements et bureaux.
Les autorités ont dirigé la reconversion du
périmètre Sud. Un partenariat public -privé avec Bauart a
par contre été établi progressivement pour guider la
reconversion de la partie Nord. Une modalité d'action jugée
efficace par la Section de l'urbanisme, et qui permet de garantir les
intérêts de la collectivité publique (Thiébaud,
entretien). Ainsi, toujours selon l'architecte, la Ville n'a pas besoin
d'être propriétaire des terrains qu'elle souhaite
réaménager si elle parvient à des partenariats efficaces
comme cela a été le cas à Crêt-Taconnet.
Au vu de cette analyse, il apparaît que la
régénération du secteur Gare/Crêt-Taconnet s'est
faite selon les principes d'une densification qualifiée du tissu urbain.
Cette densification d'activités a été accompagnée
d'un gain appréciable d'espaces publics
« utiles », autrement dit qualifiés, notamment
grâce à la réduction des espaces extérieurs
voués à la voiture.
Les principes de densité, de mixité et
d'accessibilité en transports publics - qui sont la base des
modèles alternatifs à la ville étalée - ont
été observés dans le réaménagement du
secteur ; cependant, notre analyse montre également qu'il est
délicat de créer une mixité fonctionnelle judicieuse tant
au niveau des activités que de l'échelle spatiale
considérée.
|