6.4 Obstacles
La friche industrielle du secteur Gare/Crêt-Taconnet,
à la fin des années 1980, avait perdu sa vocation originelle. Une
partie des infrastructures ferroviaires et des bâtiments industriels
abritaient des activités transitoires. Bien que le secteur secondaire
soit relativement bien développé dans la région de
Neuchâtel, le site n'attirait pas de nouvelles industries; la
vétusté des bâtiments, l'impossibilité de
s'agrandir, le coût des terrains dissuadaient probablement les
entreprises. Ces terrains, malgré leur localisation centrale,
souffraient donc d'un manque d'attractivité.
Selon Rey, l'élaboration et la concrétisation
d'un projet sur ce site ont été relativement complexes du fait
que le secteur était en milieu urbain, et donc
inséré dans un tissu déjà bâti, ainsi que du
fait qu'il s'agissait d'une friche (entretien). En effet, la
constitution d'une friche implique un déclin des activités en
présence; renverser la tendance et amorcer une revitalisation demande
une volonté forte et la convergence des différents
intérêts. Une fois le processus de reconversion engagé, une
véritable dynamique de projet doit encore s'instaurer pour permettre la
concrétisation du projet sur le long terme.
De manière plus générale, l'architecte
relève encore un troisième obstacle lié au manque de
leviers financiers; un projet en milieu urbain,
nécessairement plus complexe qu'en site vierge
périphérique, ne bénéficie pas forcément en
Suisse de soutiens financiers directs pour aider à son
développement initial.
Les sondages de sol effectués n'ont
révélé aucune contamination; seules
quelques pollutions mineures, inévitables, ont dû être
traitées. Le secteur de la gare n'a, selon les archives, pas connu
d'accidents ferroviaires qui auraient pu contaminer les terrains. De ce fait,
l'incertitude face à la contamination a très tôt
été écartée, et les coûts d'assainissements
limités.
La reconversion du secteur couvert par le PQ Est s'est par
contre heurtée à la multiplicité des
propriétaires.
Au nord, quatre propriétaires fonciers étaient
concernés. Les limites parcellaires ne correspondaient
pas au projet dans le PQ Est, et ont dû être modifiées par
des échanges de terrains résultant de nombreuses
négociations.
Au sud, la Ville n'avait en face d'elle qu'un seul
propriétaire, le Consortium; et pourtant, les visions
concernant l'affectation ainsi que la densité étant divergentes,
les deux acteurs ne parvenaient pas à un accord. Ce type de blocage,
issu des « contradictions » de la LAT soulevées au chapitre
3.3.4, résulte en effet des conflits entre la garantie de la
propriété privée qui exige des compensations
financières en cas de déclassement - ce que les autorités
n'ont pas les moyens de faire le plus souvent -, et le mandat assigné
aux collectivités publiques d'aménager le territoire de
manière judicieuse et rationnelle - ce qui ne va pas toujours de pair
avec les volontés des propriétaires fonciers.
Le zonage est également en cause: le classement en zone
industrielle permettant des indices de construction plus élevés,
le déclassement des friches en zone « de ville » peut ne pas
être vu d'un bon oeil par les propriétaires, en l'occurrence par
le Consortium.
d'abord, celle fédérée par un habitant du
quartier situé au nord des rails, qui s'est opposé à la
construction de la tour de l'OFS, haute de 15 étages, et ce à
plusieurs reprises. Une pétition fut lancée pour contrer la
construction de la tour, mais elle ne récolta pas suffisamment de
signatures, et l'opposition n'eut pas de suites. Il semble donc que la tour
n'ait pas été négativement perçue par la
majorité de la population. Une seconde opposition émana des
voisins vivant à l'est du périmètre; elle ne visait pas
directement le projet, mais demandait l'amélioration de la
sécurité de la rue de Crêt-Taconnet, passablement
dangereuse pour les piétons et les cyclistes. La Ville s'engagea
à ce que cela fût fait; des études ont, depuis lors,
été entreprises pour trouver une solution à la gestion de
la mobilité (Ville de Neuchâtel, 2001). Rey souligne qu'un projet
de densification peut rencontrer une opposition parfois vive des voisins
directs, ce qui rend nécessaire une communication accrue au sujet du
projet. La demande de permis de construire des Hautes Ecoles n'a ainsi fait
l'objet d'aucune opposition, fait relativement rare pour un projet d'environ 50
millions en milieu urbain.
Pour le secteur sud, trois oppositions se sont
manifestées (Coquillat, entretien). La première, soulevée
par le propriétaire de la parcelle au sud-est de l'actuelle place Bauer,
concernait des questions d'application de gabarits et fut réglée
en séance de conciliation. La deuxième émanait du
propriétaire à l'est de la parcelle de la Ville pour le
même type de raisons, et fut réglée de la même
façon. Quant à la troisième, elle fut lancée par le
Junior College (au sud de l'actuelle place Gérard-Bauer) lors de la
demande du permis de construire; la transparence des fenêtres de la
façade ouest du premier bâtiment de logement (en diagonale par
rapport au Junior College) ainsi que l'utilisation du sud de la parcelle
où allait s'ériger la Place Gérard Bauer en étaient
les objets. La résolution de ces oppositions demanda plusieurs mois de
négociations. Selon Coquillat, bien que ces points eussent
été discutés lors de l'élaboration du plan de
quartier, certains détails étaient restés ouverts,
empêchant ainsi d'exclure tout risque d'opposition (entretien). Une
consultation plus poussée des voisins durant l'élaboration des
plans aurait cependant dans les trois cas probablement permis d'éviter
les oppositions.
Nous voyons que l'imbrication d'une multitude de projets
impliquant une multitude d'acteurs, et ce sur un secteur couvert par trois
plans de quartier indépendants, a constitué un obstacle pour la
cohérence globale du quartier.
La coordination des différents projets au niveau
architectural, urbanistique et infrastructurel s'est en effet
révélée complexe à gérer. Architecturalement
d'abord, les gabarits, les hauteurs et les typologies des bâtiments sont
contraints les uns par les autres. En termes urbanistiques, la gestion des
espaces non construits est rendue complexe du fait de leur caractère
transversal. Les places et les cheminements piétonniers d'un
périmètre ne peuvent en effet être traités sans
être mis en relation avec les périmètres voisins; cela est
encore plus évident à l'échelle de la parcelle. La ruelle
comprise entre l'OFS et la future barre nord par exemple est à cheval
sur deux parcelles; elle est de plus transversale à toute la partie
Nord, reliant les deux périmètres Ouest et Est, autrement dit la
gare aux logements et Hautes Ecoles. Il va sans dire que la qualité de
cette ruelle aura un impact sur la « réussite » du quartier
Est.
Au niveau de la création d'infrastructures d'autre
part, la multiplicité des maîtres d'ouvrage au nord a rendu
complexe la recherche de solutions communes. Bauart a notamment proposé
la création d'un parking commun aux différents bâtiments
afin de réduire potentiellement certains coûts,
d'améliorer la qualité urbanistique des espaces extérieurs
et de mieux gérer les différents flux
générés par le futur quartier (Ryter et Rey, 2002:
19). Ce projet est confronté à des questions de financement et de
gestion, d'autant plus que les quatre «utilisateurs » - OFS, barre
nord, HEG/CMN et logements - sont à des stades de réalisation
très différents.
Si de tels principes d'optimisation apparaissent
relativement aisés à développer au niveau conceptuel, il
faut cependant souligner que leur concrétisation nécessite
ensuite un suivi et une coordination particulièrement importants. Il
s'agit en effet de parvenir à concilier non seulement les besoins
propres à chaque usager, mais aussi les exigences liées aux
différentes étapes de réalisation (Ryter et Rey,
2002: 19).
Cependant, grâce à la mise en place d'une
structure d'échange et de négociation efficace entre les
différents maîtres d'ouvrage, ce projet de parking global verra
très probablement le jour.
Nous retirons de l'exemple de Crêt-Taconnet que la
reconversion de friches industrielles des secteurs de gare est difficile
à initier parce qu'il s'agit de secteurs en déclin, et est
complexe à gérer parce qu'il s'agit de terrains urbains, et ce
à trois niveaux.
Premièrement, par la présence de contraintes
déterminées par l'environnement construit, ainsi que par les
caractéristiques spatiales des lieux (vue sur le lac, mur, rails par
exemple).
Deuxièmement, par une division du foncier en parcelles
qui se prête mal à un projet global, à l'échelle du
quartier, tel que promu par les plans de quartiers. Ces instruments sont donc
particulièrement difficiles à mettre en oeuvre en milieu
urbain.
Enfin, par le fait que l'insertion d'un nouveau quartier en
milieu urbain pose également des problèmes à
l'échelle de la ville, et ce particulièrement en termes de
circulation. Les études entreprises afin de trouver une solution
à la sécurité de rue Crêt-Taconnet (Ville de
Neuchâtel, 2001) montrent que la création d'un sens unique sur ce
tronçon se répercute sur le reste de la ville, et ce de
manière différente selon le périmètre
envisagé (secteur, quartier, ville). Ainsi, des impacts positifs en
termes de sécurité, d'écologie, de bruit et de
fluidité du trafic dans un périmètre peuvent se
révéler potentiellement négatifs dans un autre.
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