6.3.2 Acteurs et intérêts
Afin de mieux comprendre les enjeux de la reconversion du site
de Crêt-Taconnet, voici une présentation des principaux acteurs et
des intérêts qu'ils ont défendus au cours du
déroulement du projet. Cette description permettra également de
mettre en avant certains obstacles dus aux divergences d'intérêt
entre les différents acteurs.
Gare/Crêt-Taconnet nord
La Ville de Neuchâtel (Section de
l'Urbanisme)
Son intérêt est de faire du secteur
Gare/Crêt-Taconnet un pôle stratégique de
développement, ce qu'elle inscrit dans son plan directeur de 1994, et
pour lequel est élaboré une conception directrice (Feddersen et
Klostermann, 1994(I)).
Le rôle de la Ville, au travers de la Section de
l'urbanisme, a été celui d'un partenariat public-privé
avec le bureau Bauart et les propriétaires fonciers. La vision que la
Ville avait pour ce pôle est exposée dans les deux documents
cités ci-dessus; le premier décrit le site comme un pôle
central destiné à accueillir des activités de haut de
gamme, tant économiques, culturelles que de l'habitat (Ville de
Neuchâtel, 1994: 16), afin de se profiler au niveau national et
international. La Ville souhaite d'autre part développer des liaisons
performantes de transports en commun au niveau intra- et interurbain afin de
garantir au site un rôle central. Le second consiste en des lignes
directrices détaillées sur les options urbanistiques à
adopter en fonction des caractéristiques spatiales du site, sur
l'organisation des déplacements, ainsi que sur le développement
de chaque partie du site (places et bâtiments). Ce document constitue
l'approfondissement de l'objectif communal de faire de ce site un pôle
stratégique de développement.
La Ville est également maître d'ouvrage de
l'Espace de l'Europe, située à l'est de la gare et
inaugurée en 2002 à l'occasion de l'Exposition nationale (Figure
18). La Conception directrice (1994 (I)) prévoyait pour la place de la
Gare un espace qualifié, où le piéton aurait sa place,
débarrassé de ses obstacles - murets, haies, îlots - et qui
se prolongerait jusqu'au pied des façades, en dépit des limites
parcellaires (Feddersen et Klostermann, 1994: 20). Elle préconisait
également que cet espace soit conçu comme la place principale de
la gare, conférant à la place ouest un rôle secondaire.
Cette hiérarchisation permet à la gare de se tourner vers son
nouveau quartier (à l'est) plutôt que vers l'avenue de la Gare
menant au centre ville (à l'ouest). Elle est cohérente avec la
fonction centrale assignée à ce nouveau quartier.
Bauart Architectes et Urbanistes
Neuchâtel
Mandatés sur concours par l'OFCL (Office
fédéral de la construction et du logement) pour la conception du
bâtiment de l'OFS, Bauart a également conçu les logements
à l'est pour Helvetia Patria, ainsi que celui de la HEG et du CMN pour
l'Etat de Neuchâtel. Les plans de quartiers Nord Ouest et Est ont
été établis par Bauart, mandaté par les
propriétaires.
Bauart a progressivement pris en charge la gestion du
développement du site. Grâce à la réussite tant
écologique qu'architecturale du bâtiment de l'OFS, le bureau
d'architectes est parvenu à motiver les différents
propriétaires à concevoir un projet d'ensemble, consigné
dans les deux plans de quartier exigés par la Ville pour la reconversion
du secteur. L'élaboration de tels plans n'est en effet pas aisée
lorsqu'une multitude de parcelles et de propriétaires sont
concernés.
Le bureau a en outre participé à la recherche
d'investisseurs (Helvetia Patria) et s'est engagé financièrement
dans la transformation d'un bloc de logement (bâtiment A, PQ Est, Figure
29), afin de donner une impulsion à la reconversion du quartier.
Les architectes de Bauart ont plus largement initié une
dynamique de projet en mettant les différents acteurs en réseau
et en proposant des idées novatrices, telles que al création d'un
parking global non exigé par les plans de quartiers, ou encore la
mixité des types de logements du périmètre est. Le
rôle qu'a joué Bauart a donc été déterminant
dans la concrétisation d'un projet sur les friches de
Crêt-Taconnet.
Les CFF (propriétaires)
En 1989, le concours d'architecture était lancé
par l'OFCL pour la construction de l'OFS. A cette époque, les CFF
étaient encore peu actifs dans la valorisation de leur patrimoine
foncier, politique qui ne verra le jour qu'avec la nouvelle division de la
compagnie à la fin des années 1990. Les surfaces non
utilisées pour l'exploitation ferroviaires pouvaient, selon la politique
foncière arrêtée par les CFF, être affectées
à d'autres utilisations, si possible encourageant ou complétant
les transports, afin de procurer des revenus complémentaires. Les ventes
de terrains étaient exceptionnelles, et des droits de superficie en
principe non accordés, sauf si la compagnie ne pouvait pas faire
d'investissements propres ou qu'elle ne prévoyait aucune utilisation
pour ses propres besoins (CFF, OFAT, 1991).
Les friches de Crêt-Taconnet ont correspondu à ce
dernier cas de figure, puisque les CFF accordent un droit de superficie pour
l'implantation de l'OFS en 1989. L'implantation du bâtiment qui
accueillera la HEG et le CMN bénéficie d'ailleurs
également d'un droit de superficie accordé par les CFF. Quant
à la barre nord, également sur terrain ferroviaire, elle n'a pour
l'instant pas encore fait l'objet d'un projet définitif, mais sera
affectée essentiellement à des activités tertiaires.
Consignée dans le PQ Crêt-Taconnet nord/ouest, sa
réalisation fera bientôt l'objet d'une stratégie de mise en
valeur lancé par la division CFF Immobilier, afin d'y accueillir des
activités compatibles avec le développement durable (M. Laurent
Amstutz, chef de projet, CFF Immobilier, entretien).
Les CFF ont donc pris part à la reconversion des
friches de Crêt-Taconnet grâce à l'opportunité
créée par la délocalisation de l'OFS; sans cet
élément, il aurait sans aucun doute été plus
difficile pour la Ville d'obtenir la mise en valeur de ces terrains
stratégiques au début des années 1990.
Dans un deuxième temps, avec le changement de politique
foncière des CFF, le souhait des autorités de faire de ce secteur
un nouveau centre correspondait pleinement à la volonté des CFF
de mettre en valeur leur patrimoine foncier. Les intérêts des deux
partenaires se sont donc rencontrés.
Les propriétaires des parcelles à l'est
du plateau
Rérat (2002) recense trois propriétaires
à l'est du plateau. L'entreprise DuBois Jeanrenaud, qui occupait un
bâtiment de 1906 et de vieux entrepôts peu fonctionnels, et
souhaitait délocaliser ses activités. Un exploitant d'une
fabrique de cartonnage, située dans un immeuble de 1909, qui souhaitait
prendre sa retraite et vendre son bien. Enfin, un particulier qui
possédait une maison de 1909 également, avec une annexe.
Les trois propriétaires, de même que les CFF, ont
mandaté Bauart pour l'élaboration du PQ Est. Un projet
d'ensemble a été élaboré et les droits à
bâtir redistribués. Les hauteurs des bâtiments F-H
(Figure 29) étaient en effet limitées pour préserver un
dégagement aux
bâtiments supérieurs: des échanges de
terrains permirent alors aux propriétaires des terrains
inférieurs de construire les bâtiments D et E (ibid.).
OFCL
La décentralisation des offices fédéraux
fait l'office d'un appel d'offre en septembre 1985. Elle vise à
venir en aide aux régions dont l'économie est insuffisamment
développée ou qui ont une démographie en perte de vitesse
tout comme (à) renforcer l'apport latin au sein de l'administration
(Département fédéral des finances, 17 septembre 1985).
Sept offices, dont celui de la statistique, sont appelés à partir
de Berne. Les conditions générales requises sont la
présence d'équipements centraux et diversifiés dans les
domaines social, économique et culturel, une construction et
exploitation rationnelles des bâtiments administratifs, ainsi qu'un
accès facile aux usagers des transports publics, autrement dit une
desserte ferroviaire de préférence où s'arrêtent les
trains directs, ainsi qu'une bon réseau intra-urbain.
La présence de friches urbaines dans la plupart des
villes suisses, qui plus est dans les secteurs de gare, a facilité la
délocalisation de l'administration fédérale. Le site de
CrêtTaconnet, choisi pour la localisation de l'OFS, rassemblait les
atouts exigés et offrait la surface nécessaire,
c'est-à-dire une surface brute d'environ 8500 m2. Notons que
l'intégration poussée de critères écologiques dans
la construction du bâtiment a clairement bénéficié
du fait que son financement dépendait du secteur public, et plus
particulièrement de la Confédération.
Helvetia Patria Assurance Bâle
Helvetia Patria est le maître d'ouvrage des
bâtiments d'habitation du périmètre est. En tant que caisse
de pension, ses intérêts sont de faire des placements qui
procurent un rendement sûr et régulier, mais pas forcément
maximum (Rey, conférence). Investir dans la construction, et d'autant
plus dans la construction écologique, est alors intéressant pour
ce type d'acteur, qui vise une stratégie d'investissement à long
terme.
Etat de Neuchâtel (DIPAC)
Le DIPAC (Département des infrastructures publiques et
des affaires culturelles) est le maître d'ouvrage des Hautes Ecoles
(HEG/CMN), dont la vocation régionale rend d'autant plus
cohérente une implantation à proximité de la gare. Comme
pour le bâtiment de l'OFS, le fait qu'il s'agisse d'un investissement
public tend à favoriser l'intégration d'un certain nombre de
critères écologiques dans la construction des bâtiments
CrêtTaconnet Est.
Ville de Neuchâtel
La Ville a été plus active dans le projet de
reconversion de Crêt-Taconnet sud. Elle voulait réserver à
l'habitat deux tiers de la surface brute de plancher. Elle souhaitait d'autre
part respecter les recommandations du jury du concours de l'OFS, qui
préconisait pour ce périmètre des bâtiments
isolés de gabarits modestes, contrastant avec le bâtiment
allongé de l'OFS, et permettant une vue interstitielle vers le sud
(Feddersen et Klostermann, 1994 (I)).
En respectant ces recommandations, notamment par la limitation
de la hauteur des bâtiments à la corniche sud de l'OFS ainsi que
par le respect des gabarits des bâtiments
au sud du secteur, il en résultait une surface de
plancher plus petite que dans la situation originelle. La conception directrice
estime alors que [...] la surface brute de plancher ne doit pas être
un énoncé du concours, mais [qu'] elle découlera
du projet qui respecte les contraintes énumérées
ci-dessus8 et qui propose une solution architecturale de
qualité adaptée aux caractéristiques du lieu (idem:
29).
Propriétaire de la parcelle à l'extrême
Est du secteur, la Ville échangera ce terrain pour lequel elle n'a pas
de projet, avec la parcelle à l'extrême Ouest, en face de la tour.
Cette parcelle, qui, d'après la conception directrice, devait être
construite afin de contenir l'Espace de l'Europe, sera finalement
traitée en tant qu'espace public et deviendra la Place Gérard
Bauer. Maître d'ouvrage, la Ville inaugure la place en automne 2004. Pour
M. Stéphane Thiébaud, chef du service de l'aménagement
urbain de la Ville, cet espace doit devenir un lieu de vie, de rencontre,
avec des gens qui mangent leur sandwich à midi ou qui s'arrêtent
pour admirer la vue (interviewé par Vivre la ville, 15.12.04).
Consortium Crêt-Taconnet S.A.
Le Consortium est une société immobilière
propriétaire des terrains du secteur sud au début des
années 1990, à l'exception de la parcelle à
l'extrême Est qui appartenait à la Ville. Leur volonté
était de maintenir une affectation industrielle avec un indice de
densité de 4 (Coquillat, entretien), conservant ainsi la capacité
originelle de construction.
Un deuxième scénario envisagé par le
Consortium était de déclasser les terrains en zone d'habitation,
bureaux et commerces. Les entrepôts Wittwer et Amann auraient alors
été transformés et agrandis, et l'ex-entrepôt
Cardinal et l'ancienne fabrique de montres (squatt) rénovés
(démolition-reconstruction) (Feddersen et Klostermann, 1994 (I)). Cette
vision ne correspondait pas à celle de la Ville, puisqu'elle impliquait
un indice trop élevé, incompatible avec la prise en compte des
contraintes architecturales et urbanistiques mentionnées ci dessus.
La situation aurait pu tarder à trouver une issue;
cependant, le Consortium fit faillite, les terrains furent
ré-estimés à une valeur plus basse et rachetés par
Paci Constructeurs.
Paci Constructeurs
Le nouveau propriétaire, ayant acquis les terrains en
connaissant les projets de la commune pour le secteur, s'y conforme et fait
élaborer un plan de quartier (PQ CrêtTaconnet Sud) validé
en 1999 par les autorités.
Suva Lucerne
La Suva est le maître d'ouvrage des bâtiments
mixtes du périmètre sud. L'intégration de critères
écologiques dans la construction des bâtiments de la partie nord -
à des degrés différents selon les maîtres d'ouvrages
- n'a pas rencontré le même écho au sud. Ce secteur s'est
fait de manière « traditionnelle » en opposition à
l'expérience pilote menée pour le quartier Ecoparc.
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