3.3.3 Disponibilité des données
L'action des pouvoirs publics pour la viabilisation des
friches urbaines ainsi que pour la promotion et la stimulation d'une
réhabilitation devrait s'appuyer sur une large base de
données qui soient sûres et constamment actualisées et
[devrait] être en étroite relation avec la politique
d'organisation du territoire (OFAT, 1/1999: 4).
Or les autorités cantonales en Suisse ne
possèdent pas, sauf exception, de recensement de leurs friches.
Dès lors qu'il n'existe pas une connaissance précise du potentiel
existant en zone à bâtir, il ne peut y avoir de politique visant
à systématiser l'utilisation des friches existantes lors de la
localisation de nouvelles activités sur un territoire. En outre,
l'incertitude face au degré de contamination des sites porte atteinte
à leur attractivité. Chaline relève ces insuffisances, qui
ne sont pas propres à la Suisse en particulier: (...) d'une
manière générale et à l'exception de quelques
catégories dûment recensées, force est de souligner les
nombreuses lacunes concernant des données précises,
actualisées, indispensables à toute politique urbaine (1999:
31).
On commence à prendre conscience du problème
présenté par les friches depuis quelques années au
niveau national. La première tentative de recensement date de 1996 et a
été entreprise par la revue Hochparterre en collaboration avec
l'Office fédéral de
l'aménagement du territoire (OFAT 10): elle
révélait alors l'existence de 213 friches d'une taille minimale
de un hectare, une liste complétée par de nouveaux objets pour
atteindre plus de 300 friches en 1999 (Hochparterre, 1999, Annexe 9). Le lieu,
la taille, l'âge, le propriétaire, l'ancienne affectation ainsi
que le statut actuel de chaque friche sont donnés.
Le second recensement, le plus complet à ce jour, a
été initié suite à un postulat déposé
en 2002 au Conseil fédéral demandant d'évaluer
l'étendue des friches industrielles et des sites contaminés, et
de montrer quels sont les obstacles aux reconversions et les mesures possibles
pour faciliter ces dernières11 (Valda et Westermann,
2004: 1). Il n'existait en effet jusqu'alors aucune vue d'ensemble
précise sur l'étendue de ces friches industrielles et sur les
raisons de la lenteur de leur reconversion (idem: 4). Une synthèse de
cette étude a été publiée en octobre 2004,
révélant une surface industrielle non utilisée de 17
millions de mètre carrés (1700 ha), autrement dit
l'équivalent de la ville de Genève et de ses environs (Figure
10). Les données ont été récoltées
auprès de différentes sources: les enquêtes ponctuelles
précédentes, notamment celles effectuées par Hochparterre,
les archives de presse, les offices cantonaux d'aménagement du
territoire, de la protection de l'environnement et de la promotion
économique, ainsi que grâce à un questionnaire
diffusé auprès de 510 propriétaires. Ce recensement
représente une étape importante notamment dans la
compréhension des obstacles à la réhabilitation des
friches; mais il n'est de loin pas exhaustif. Pour s'en convaincre, il suffit
de jeter un oeil aux fiches cantonales, qui comptent chacune quelques friches
connues et quelques friches soupçonnées (Annexe 10). Seuls les
bâtiments complètement désaffectés depuis au moins
une année semblent être pris en compte au niveau cantonal; les
bâtiments ou les aires partiellement désaffectés ou
utilisés de manière transitoire n'apparaissent pas dans ces
décomptes. La définition de friche est donc attribuée de
manière très restrictive.
Figure 10. Les friches industrielles en Suisse selon le
recensement de l'ARE
10 Aujourd'hui l'Office fédéral du
développement territorial, ou Bundesamt für Raum Entwicklung
(ARE)
11 Postulat déposé par les conseillers
nationaux Leutenegger et Oberholzer
(Valda et Westermann, 2004)
Acquérir une vue d'ensemble nationale, mais aussi
cantonale et communale, de la situation des friches industrielles constitue un
pré requis nécessaire à toute politique visant un
développement de l'urbanisation à l'intérieur du tissu
bâti (OFAT, 1996: 36- 37), un des trois buts de la stratégie
d'organisation du territoire en Suisse. A l'échelle cantonale, il serait
judicieux de disposer d'une connaissance des terrains disponibles et de leurs
caractéristiques, notamment de leur degré de contamination, afin
d'optimiser la gestion et l'utilisation de ce stock de terrain en zone à
bâtir.
3.3.4 Cadre légal
|
« Des conditions légales insatisfaisantes (plan
d'affectation ) » sont citées dans un tiers des cas (Figure 11)
comme obstacle à la reconversion des friches. La plupart des aires
considérées dans l'étude sont situées en zone
industrielle ou artisanale, mais l'on en trouve également en zone
d'habitation. Etant donné les faibles perspectives de réaffecter
des friches industrielles urbaines à des activités industrielles,
l'affectation industrielle dans le plan d'aménagement local entrave
fortement les chances de reconversion de la friche.
|
|
Figure 11. Perspectives de développement
offertes par le zonage actuel (en pourcentage de l'ensemble des
aires)
|
(Valda et Westermann, 2004) L'étude montre que dans 23%
des cas, une
requête a été faite aux autorités
pour adapter le plan d'aménagement (Valda et Westermann, 2004: 8). Dans
16% des cas, autrement dit dans les deux tiers des requêtes, le
changement d'affectation a été accepté. Il semble donc que
les modifications soient généralement faites. Cependant, ce n'est
probablement pas tant le déclassement de la zone industrielle qui est
ressenti comme un obstacle, que la difficulté d'arriver à un
accord avec les autorités sur la nouvelle affectation.
Un second obstacle peut entraver une réutilisation
rapide et systématique des terrains désaffectés: la
thésaurisation. Issue de la volonté du propriétaire de
conserver un bien foncier en vue d'une conjoncture économique plus
favorable ou à des fins patrimoniales, elle est cependant regrettable
dans une perspective de développement urbain à l'intérieur
de la zone à bâtir. Parce que la propriété est
garantie par l'article 22 ter (26 dans la nouvelle Constitution de 1999) et que
l'expropriation n'est que très rarement pratiquée, et parce qu'un
classement en zone à bâtir n'implique pas une obligation de
construire, la thésaurisation est permise par la législation.
Cette situation met l'aménagement du territoire en situation de
dépendance et de postériorité par rapport à
l'aménagement résultant de volontés individuelles non
coordonnées (Ruegg et al. 1992: 4).
La garantie de la propriété privée comme
le zonage résultent des compromis politiques sur lesquels se sont
basées la Constitution de 1969 et la LAT de 1979. Nahrath
(février 2004), dans son analyse de la genèse de la politique
d'aménagement du territoire, montre que l'origine de l'article 22quater,
qui ancre le principe d'une compétence fédérale en
matière d'aménagement du territoire, provient des
préoccupations socialistes face à la
spéculation foncière, la crise du logement, le
renchérissement des prix du sol. La volonté du parti radical de
ne pas réguler ou modifier la propriété foncière
déboucha à l'inverse sur l'inscription de l'article 22ter, qui
renforce la garantie de la propriété privée (notamment
foncière) sous la forme de l'obligation, pour l 'Etat, d'indemniser les
propriétaires en cas d'expropriation, aussi bien
matérielle que formelle (Nahrath, 2004: 3). En ce qui
concerne la LAT, la version définitive de 1979 résulte d'un rejet
par référendum de la version de 1976 par les milieux immobiliers
et fonciers ainsi que fédéralistes, supprimant les instruments
fonciers (droits de préemption et d'expropriation,
prélèvement de la plus-value foncière) au profit du
zonage (idem: 4). Cet éclairage historique est intéressant car il
montre que certains blocages auxquels est confrontée la
réutilisation des friches, zonage et propriété
foncière, découlent d'une volonté
néolibéraliste de ne pas réguler la liberté
individuelle par l'aménagement du territoire.
Le tableau qui suit (Tableau 3) offre une synthèse des
différents obstacles relevés ci- dessus:
Tableau 3. Obstacles à la reconversion des friches
industrielles des secteurs de gare
fait friche fait urbain gare autorités cadre
légal
|
incertitudes
|
morcellement
|
nuisances
|
déclassement
|
zonage
|
face à la
|
des propriétés
|
ferroviaires
|
|
|
contamination
|
|
|
subventions
|
foncier
|
coûts d'as-
|
multiplicité
|
imbrication
|
gestion de
|
|
sainissement
|
des visions
|
d'échelles
|
projet
|
|
coûts de ré-
|
imbrication
|
|
disponibilité
|
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habilitation
|
de projets
|
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de données
|
|
|