3.2.3 La question des friches en Suisse
La Suisse a été épargnée par la
constitution de friches de l'ampleur de celles que connaissent les pays
voisins: docklands et waterfronts des pays maritimes - Londres, Glasgow,
Dublin, Lisbonne - bassins miniers en France, vallée de la Ruhr en
Allemagne pour citer quelques exemples. Pourtant, la Suisse est un pays
fortement spécialisé dans l'industrie: avec les autres
régions centrées sur les Alpes - Allemagne du Sud, Autriche,
Italie du Nord - la Suisse compte une population active à plus de 30%
dans le secteur industriel (Hau, 1998). Mais cette région
présente des caractéristiques qui expliquent, selon l'auteur, le
bas taux de chômage et la vitalité économique qu'elle
connaît, et qui expliquent également, selon nous, la raison pour
laquelle l'ampleur des friches industrielles n'est pas comparable à ce
que connaît le reste de l'Europe. Cette région a connu d'une part
une industrialisation tardive7 orientée vers le textile et la
mécanique plutôt que vers la sidérurgie, pour des questions
évidentes de ressources premières. Outre l'absence de tradition
industrielle dans les secteurs aujourd'hui en déclin, la
prédominance de petites entreprises familiales ou PME pour des raisons
historiques (tradition de petite propriété paysanne autonome,
faiblesse de l'Etat favorisant un capitalisme local basé sur la
cohésion familiale) plutôt que de grandes entreprises
automatisées (comme Citroën et Renault en France) explique la
relative santé du secteur secondaire en Suisse. Hau invoque
également des qualités acquises dans un contexte de survie
difficile (surpeuplement, manque de ressources naturelles), telles que la
méticulosité, la responsabilité individuelle et
l'évitement des conflits sociaux, précieuses pour le
développement d'une proto-industrie précoce, puis d'une
économie de PME
orientée vers l'industrie de haute technologie.
Aujourd'hui, les branches à forte valeur ajoutée que sont les
produits pharmaceutiques, électroniques et la mécanique de
précision constituent plus d'un tiers des exportations suisses.
Ceci dit, la Suisse n'a pas été
épargnée par la désindustrialisation; seule l'ampleur du
phénomène diffère d'avec les autres régions de
l'Europe. En effet, près de 16 millions de mètres carrés
dorment dans des surfaces industrielles, en grande partie dans les
régions urbaines du Plateau, ce qui représente l'étendue
de la ville de Genève et de ses environs (Vasla et Westerman, 2004: 2).
Les régions urbaines du plateau concentrent la majeure partie des
friches industrielles, particulièrement les centres des grandes
agglomérations et leur périphérie. Dans les grands centres
cependant, la pression foncière est telle que c'est rarement l'abandon
qui guette les bâtiments, mais bien plutôt leur sous-utilisation.
Les affectations transitoires y sont courantes. L'arc jurassien compte aussi un
certain nombre de friches dues au fort déclin du secteur horloger: la
région Jura bernois/Bienne/Seeland a perdu pas moins de 6844 emplois
dans ce secteur entre 1975 et 1985, laissant vides une bonne centaine de
bâtiments (ASPAN, 1989: IV). Certaines régions dont
l'économie était fortement basée sur l'industrie
connaissent des processus de dévitalisation importants, où la
fuite des industries est accompagnée de celle des habitants, comme au
Val-de-Travers par exemple. Les chances de réutilisation des friches
industrielles ne sont donc pas les mêmes suivant que l'on se trouve en
plein centre d'une agglomération du Plateau ou dans certaines
vallées jurassiennes.
Les friches industrielles des grands centres ont donc de
bonnes chances d'être reconverties, même si dans les grands
centres, il faut de longues phases de projet avant qu'une nouvelle affectation
puisse être amorcée (Valda: 8). Des villes de moyenne
importance, qui plus est hors du Plateau, rencontrent probablement plus de
difficultés, comme la Chaux-de-Fonds dont près de 40 hectares
sommeillent près de la gare.
L'accessibilité des friches industrielles en Suisse est
plutôt bonne en voiture, puisque plus de la moitié de la surface
se trouve dans un rayon de desserte de trente minutes en voiture pour un demi
million d'habitants, et plus de 250'000 employés du secteur des
services. L'accessibilité avec les moyens de transport publics est en
revanche nettement moins bonne (Vasla et Westermann, 2004: 2). Les friches
industrielles des secteurs de gares centrales et bien accessibles en transport
public sont donc doublement intéressantes dans une politique
d'aménagement du territoire basé sur un réseau de villes
liées par le rail et sur la structuration des agglomérations par
les transports publics. Grâce à une participation active des CFF
à la mise en valeur de leur patrimoine, ces friches ont aujourd'hui de
réelles chances de reconversion.
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