3.1.3 Secteurs de gare
Les gares et les secteurs de gare sont particulièrement
concernés par le phénomène des friches. Les techniques
ferroviaires et le transport par rail ont subi de profondes mutations ces
dernières décennies, menant un bon nombre de gares et
d'infrastructures ferroviaires à l'inutilité, d'où la
présence aujourd'hui de friches ferroviaires. A proximité des
gares se sont souvent constitués, au tournant du siècle
passé, des sites industriels d'une certaine importance. Les
facilités offertes par le transport marchandise par le rail rendaient
ces terrains attractifs. Au fil du temps, ces sites ont connu à leur
tour une désindustrialisation, menant à la constitution de
friches industrielles.
Nous entendons par « friches industrielles des secteurs
de gare » les sites industriels localisés à proximité
des gares. Cette dénomination n'implique ni un type d'infrastructure en
particulier, ni un type de propriétaire en particulier. Elle suppose par
contre un état (en friche), une affectation originelle (industrie), et
une localisation (près d'une gare ferroviaire). Les définitions
proposées par les CFF et l'OFAT (1991) différencient la
gare, l' ensemble des installations servant ou
liées à l'exploitation du chemin de fer situées entre le
signal d'entrée et de sortie, le bâtiment de
gare, autrement dit le bâtiment voyageurs, les terrains
de gare dont les propriétaires sont les CFF et qui sont
situés à proximité directe des gares, et les
secteurs de gare, quartiers situés dans le
voisinage des gares et dont le développement peut
être influencé par celles-ci. En pratique, les secteurs de
gare jouxtant les terrains de gare, les projets de reconversion comprennent
souvent des terrains appartenant à divers propriétaires dont les
CFF. Les compagnies ferroviaires d'ailleurs, grâce à leur
patrimoine foncier et bâti, détiennent avec l'Armée la plus
grande part de sols urbains (Chaline, 1999). En Suisse, les CFF sont
effectivement le premier propriétaire du pays avec trois millions de
m2 de surfaces à développer, et ce essentiellement en
ville (Le Temps, 3 novembre 2004).
Les gares ont été construites en Suisse dans la
deuxième moitié du 19ème siècle;
{...} appelées à desservir les villes,
généralement conçues en cul-de-sac, {les gares} furent
implantées aux portes de la cité alors que celles des villages,
en tant que gares de passage, furent érigées à la
périphérie du milieu bâti (Ragon, 1984). Le coût
du terrain ainsi que les nuisances causées empêchaient une
localisation plus centrale. Aujourd'hui, après 150 ans d'urbanisation,
les portes de la ville d'autrefois se retrouvent au coeur des
agglomérations.
Les gares, symboles de la modernité dans un premier
temps, perdent leur attractivité au début du
20ème siècle déjà; bien avant que les
industries ne leur tournent le dos, ce sont les architectes, dans un premier
temps, qui s'en désintéressent. Les architectes la
méprisent ou l'enterrent (Ragon, 1984: 79). Ce n'est qu'avec
l'apparition du temps libre et des loisirs que la gare redevient porte
(idem: 82). Mais pas pour longtemps. En effet, les bâtiments perdent leur
identité avec le modernisme; ils deviennent standardisés et
conçus comme uniquement fonctionnels. La gare s'ouvre sur les voitures
et la place de la gare devient parking. On ne va plus rêver dans les
gares. Les gares donnent une impression de désolation lorsqu'elles sont
désertes et d'angoisse lorsque la foule y afflue. C'est que la gare
n'est plus qu'un sas (idem: 87).
D'autre part, de nombreuses infrastructures ferroviaires, pour
les marchandises et les voyageurs, deviennent peu à peu inutiles. Des
friches ferroviaires se constituent aux abords des gares et le long des voies,
pour des raisons diverses: conception nouvelle du transport des marchandises,
mais aussi du transport des personnes, automatisation, inadaptation de certains
bâtiments au nouveau matériel roulant, ou encore modifications de
tracé (Camélique, entretien).
Dans les bâtiments de gare de moyenne importance, les
buffets, hérités des débuts du trafic ferroviaire
où l'on ne trouvait ni toilettes ni restaurant dans les wagons,
disparaissent, tout comme les buvettes et hôtels qui accueillaient les
voyageurs après de longues routes. Ces infrastructures étaient
d'autant plus nécessaires que la ville était relativement
éloignée de la gare (ibid.). Dans les grandes villes cependant,
buffets, hôtels et restaurants constituent toujours les abords
immédiats de la gare; ces fonctions, non contradictoires avec les
fonctionnalités centrales urbaines, gardent en effet leur pertinence au
vu du volume de trafic voyageur qui transite.
En ce qui concerne le transport marchandises, les
évolutions techniques ont provoqué l'obsolescence de toute une
série d'éléments: lignes déferrées (ligne de
Jougne, ligne Le Creux-les Convers ou encore ligne de Varen),
ballastières, rotondes (remises aux locomotives), châteaux d'eau
(Brigue, Berne) ou encore maisons de garde de passages à niveau
(aujourd'hui supprimés ou automatisés) constituent le stock
d'infrastructures ferroviaires désaffectées (Camélique,
entretien). Avec la restructuration des CFF en 1999,
qui a centralisé ses activités administratives,
ainsi qu'avec la modernisation du matériel roulant, la plupart des
bâtiments administratifs, de service ou d'habitation ont également
perdu leur vocation originelle.
Les plus profonds changements résultent sans aucun
doute des modifications dans le transport marchandises: la part modale du rail
dans le transport des marchandises en Suisse à travers les Alpes a en
effet diminué de 90% en 1981 à 63% en 2003 (ARE, 2005). Avec une
part croissante du transport marchandises assurée par la route, les
infrastructures ferroviaires destinées à cet usage ont
été fortement centralisées, faisant de la plupart des
gares marchandises des espaces sous-utilisés, voire
désaffectés. Les halles marchandises, entrepôts et autres
bâtiments de service sont parfois affectés transitoirement
à divers usage d'utilité publique (affectation temporaire) avant
d'être transformés ou de disparaître.
Enfin, les sites industriels des secteurs de gare,
organiquement liées à elles, ont vu leurs industries s'en aller
l'une après l'autre avec la vague de désindustrialisation, si
bien que le quartier dans son ensemble tend à se transformer peu
à peu en no man's land, une zone neutre, amorphe, comme
stérilisées par la vapeur (Ragon, 1984: 17).
Aujourd'hui et depuis quelques années, on prend
conscience que ces terrains offrent une opportunité considérable
pour le développement urbain des villes et de leurs
agglomérations. La localisation par rapport au centre ville et les
conditions d'accessibilité étant des paramètres
déterminants de la potentialité des lieux (Chaline, 1999: 56),
les terrains à proximité des gares sont des lieux idéaux
pour la création de quartiers d'une certaine densité.
Délaissées durant des décennies, les gares regagnent
l'attention qu'elles avaient perdu avec les préoccupations liées
au réchauffement climatique, à l'explosion de la mobilité
individuelle motorisée, et à l'étalement urbain. D'autre
part, avec les grands projets de Rail 2000 au niveau national, et
d'intégration de la Suisse au réseau européen de chemin de
fer à grande vitesse, les gares acquièrent une importance en
termes d'image dans la compétitivité nationale et
internationale.
Ainsi, les gares et les espaces attenants deviennent l'objet
de divers enjeux: régénération urbaine, mobilité
durable, marketing urbain. L'importance stratégique des friches
industrielles des secteurs de gare ne devrait cependant pas faire oublier le
patrimoine, tant ferroviaire qu'industriel, qui retrace l'histoire de ces
sites. Tant les bâtiments que les infrastructures diverses, dont les
voies de chemin de fer désaffectées, constituent un
héritage qui fait encore aujourd'hui partie du paysage urbain. La
reconversion de ces sites, dont l'usage industriel n'est la plupart du temps
plus possible, devrait donc se faire de manière à
préserver cette identité.
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