1. Introduction
Les friches industrielles représentent un stock de
terrain important dans les pays postindustriels. Près des gares
notamment, de nombreux sites industriels constitués au début du
20ème siècle ont progressivement vu leurs
activités disparaître avec la vague de désindustrialisation
amorcée dans les années 1960. Sous-utilisés voire
carrément désaffectés, ces terrains souffrent aujourd'hui
d'un décalage entre leur vocation industrielle et les besoins d'une
économie tertiarisée. Obsolètes, désaffectés
par les activités industrielles mais cependant non vierges de
construction, ces terrains peinent à trouver un second souffle.
Les friches industrielles des secteurs de gare sont
particulièrement intéressantes parce qu'elles tendent à
présenter deux caractéristiques, du moins lorsqu'il s'agit de
gares urbaines (et non de campagne) dans des villes d'une certaine importance.
D'une part, ces aires sont intra-urbaines, voire centrales. D'autre part,
localisées à proximité d'une gare ferroviaire, elles
bénéficient généralement d'une bonne desserte en
transports publics - urbains, régionaux voire nationaux.
Ces deux caractéristiques confèrent à ces
friches une importance stratégique dans l'optique d'un
développement de l'urbanisation à l'intérieur de la zone
à bâtir d'une part, et structurée par les transports
publics d'autre part. Ce type de développement urbain est, en Suisse et
dans de nombreux autres pays d'Europe, soutenu comme étant plus à
même de répondre aux critères d'un «
développement urbain durable ».
Aujourd'hui en effet, l'urbanisation des villes se fait selon
une forme étalée et déstructurée, produit de la
décentralisation des gens et des activités à travers le
territoire par l'usage de la voiture individuelle. Ce schéma de
développement ne correspond pas aux critères d'un
développement durable parce qu'il n'est ni économiquement viable,
ni socialement équitable, ni écologiquement supportable, à
court comme à long terme. Or a sustainable development is
development that meets the needs of the present without compromising the
ability of future generations to meet their own needs (United Nations, 4
Août 1987: 54). Il est donc nécessaire de trouver des formes
urbaines alternatives, plus denses et mieux structurées.
La question de la forme urbaine la plus apte à
répondre aux critères d'un développement durable fait
l'objet d'un débat non clos. La question fondamentale qui sous-tend ce
débat est la suivante: est-ce qu'un schéma d'urbanisation visant
à lutter contre l'étalement urbain par une densification des
tissus existants peut être durable ? Autrement dit, est-ce que la
densification des zones à bâtir existantes, en termes de
bâti, d'activités et de population, peut mener à
améliorer la qualité de vie urbaine ? Peut-elle satisfaire les
aspirations de la population et les besoins de l'économie ? Ne
mènerait-elle pas à plus de pollution et de congestion ?
Le premier but de ce travail est donc de définir sous
quelles conditions une densification du tissu urbain peut mener à plus
de durabilité, et par quelles mesures architecturales et urbanistiques
la reconversion des friches industrielles des secteurs de gare peut participer
à cette densification qualifiée.
Ceci dit, l'utilisation des friches industrielles des secteurs
de gare se heurte à de nombreux obstacles, liés tant à la
nature peu attractive des terrains qu'à la complexité
inhérente à des projets d'aménagement en milieu urbain. La
reconversion de ces terrains n'est donc de loin pas systématique,
malgré leur localisation stratégique.
Le second but de ce travail est donc de déterminer
quels sont les obstacles auxquels se heurte la réutilisation des
friches, et de comprendre comment il est possible de les contourner. L'analyse
des mécanismes qui bloquent la reconversion des friches industrielles
des secteurs de gare est en effet importante dans l'optique de favoriser une
reconversion plus systématique de ces terrains.
Ce mémoire s'articule en deux parties. La
première partie aborde de manière théorique les questions
relatives à la forme urbaine et au potentiel des friches industrielles
des secteurs de gare pour le développement urbain. La seconde partie
retrace l'étude de trois reconversions de ce type de friches en Suisse
et débouche sur une série de recommandations.
Le premier chapitre de la partie théorique porte sur
les liens entre forme urbaine et développement durable. Le débat
qui s'attache à la problématique de la forme des villes est
retracé dans une perspective historique afin de montrer les
différents courants de pensées. Il apparaît que suite
à une opposition relativement stérile entre ville
étalée et ville compacte, émerge aujourd'hui un certain
consensus sur des formes urbaines plus flexibles, denses, mixtes et
structurées par les transports publics.
Le processus de densification urbaine est alors analysé
selon sa capacité à répondre aux critères
environnementaux, sociaux et économiques d'un développement
urbain plus durable. Une série de conditions sont énoncées
selon lesquelles la densification des villes et agglomérations peut
mener à produire une plus grande qualité de vie, et ainsi
à freiner l'étalement urbain.
Ce chapitre se base sur une revue de la littérature
consacrée au débat sur la forme urbaine. Une grande part des
ouvrages est d'origine anglo-saxonne; l'importance accordée à ce
sujet par les auteurs britanniques tient sans doute du fait que
l'étalement urbain a touché les villes anglaises
particulièrement tôt par rapport au reste de l'Europe. En outre,
bien avant l'apparition du concept de développement durable, la
naissance précoce de la ville industrielle en Grande-Bretagne amis
très tôt la question du lien entre densité urbaine et
qualité de vie au coeur des préoccupations.
Le second chapitre s'intéresse à la
problématique des friches à proprement dit. C'est la notion de
potentiel qui constitue le fil rouge de ce chapitre: les différents
types de friches industrielles et urbaines ainsi que les processus qui
mènent à leur constitution sont tout d'abord définis afin
de déterminer les enjeux inhérents à ce type de terrain.
Les caractéristiques des friches industrielles des secteurs de gare sont
ensuite décrites afin de mettre en avant la spécificité de
ce type de terrains et le rôle particulier qu'ils sont amenés
à jouer dans le développement de l'urbanisation.
Dans un deuxième temps, le potentiel de des friches
industrielles des secteurs de gare est mis en relation avec les objectifs
nationaux de développement territorial, et ce afin d'ancrer la
problématique des friches dans un contexte géographique
particulier. Cette analyse met en lumière la divergence qui existe entre
le développement souhaité et le
développement réel de l'urbanisation en Suisse:
elle montre également que les friches urbaines, particulièrement
celles situées près des gares, ont un rôle important
à jouer pour réduire ce décalage.
Enfin, ce chapitre s'attache à comprendre pourquoi ces
friches industrielles ne sont pas mises en valeur plus systématiquement,
et quels sont les obstacles qui font que ce potentiel reste massivement
inutilisé.
Les sources utilisées pour ce second chapitre sont
principalement les rapports et documents officiels édités par la
Confédération; la littérature consacrée au
thème des friches, bien que peu abondante, complète ce corpus de
sources.
De ces réflexions théoriques découlent
une série d'hypothèses de travail, exposées dans les
conclusions de cette première partie. Ces hypothèses sont
confrontées aux trois études de cas présentées dans
la seconde partie.
Trois terrains ont été
sélectionnés dans un premier temps afin d'étudier la mise
en oeuvre de processus de reconversion de friches industrielles de secteur de
gare: le secteur Gare/Crêt-Taconnet à Neuchâtel, le secteur
des Eaux-Vives à Genève et le site industriel Pérolles
-Arsenaux dans le secteur de la gare de Fribourg. Le choix de ces terrains
s'est fait tout d'abord selon des critères de localisation et de
desserte en transport public: les sites devaient être situés
à proximité directe d'une gare ferroviaire d'importance
régionale, voire nationale. D'autre part, ils devaient faire l'office
d'un projet de reconversion amorcé. Enfin, ils devaient se situer dans
trois cantons différents afin d'avoir un échantillon de plusieurs
politiques cantonales en matière de développement et de
densification de l'urbanisation.
L'analyse des sites et des projets dans leur contexte cantonal
a permis dans chacun des trois cas de tirer un certains nombre d'enseignements
relatifs aux possibilités de contenir l'urbanisation à
l'intérieur de la zone à bâtir d'une part, et relatifs
à la concrétisation de projets de qualités sur les friches
industrielles des secteurs de gare d'autre part. Il s'est avéré
cependant en cours d'étude que deux de ces reconversions - Eaux-Vives et
Pérolles -Arsenaux -, encore à l'état de projet, ne
pourraient être traitées de manière suffisante. En effet,
le manque de données disponibles et/ou transmissibles rendaient
impossible une analyse détaillée des projets. Il a donc
été décidé que l'analyse principale serait
centrée sur un seul site - Gare/Crêt-Taconnet -, et que les deux
cas d'études secondaires seraient traités de manière plus
succincte.
Cette seconde partie s'est basée sur cinq sources
d'information. Tout d'abord, l'observation directe: effectuée à
plusieurs reprises sur les terrains étudiées au cours de la
recherche, elle a permis de procéder à une analyse urbanistique
des lieux. Deuxièmement, une série d'entretiens, effectués
avec différents experts des services cantonaux d'aménagement du
territoire, d'environnement et de la promotion économique, des services
d'urbanismes des villes concernées, de la division CFF Immobilier, ainsi
que du bureau d'architectes responsable de la reconversion du secteur de la
gare de Neuchâtel. Ces entretiens, riches d'informations, ont permis
d'accéder à une connaissance beaucoup plus pointue des projets.
Troisièmement, un certain nombre de documents officiels d'urbanisme tels
que plans et rapports ont apporté une connaissance du cadre juridique
des projets. Quatrièmement, des sources de
deuxième main - presse, articles - ont été
utilisées. Enfin, conférences et débats publics sont venus
compléter ce corpus de source par des éléments alimentant
la réflexion.
L'analyse de ces trois reconversions associée aux
enseignements apportés par les réflexions théoriques de la
première partie permettent alors de formuler un certain nombre de
recommandations, consignées dans le dernier chapitre. Ces
recommandations répondent aux deux buts assignés à ce
travail. Premièrement, comprendre comment amorcer, conduire et
concrétiser un projet de reconversion des friches industrielles des
secteurs de gare. Deuxièmement, déterminer quels
éléments architecturaux et urbanistiques doivent être pris
en compte pour qu'une telle reconversion puisse participer à produire
une meilleure qualité urbaine et à freiner l'étalement
urbain, autrement dit participer à un développement urbain plus
durable.
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