I
PREMIERE PARTIE: DEVELOPPEMENTS THEORIQUES
2. Forme urbaine et développement durable
La mise en valeur des friches urbaines peut être
abordée à des échelles géographiques
différentes:
Au niveau local, qui est le plus directement visible, les
friches en milieu urbain portent atteinte à la qualité de vie des
lieux, réelle et perçue. Symptômes d'une
dévitalisation économique, elles provoquent une rupture dans le
tissu urbain, et posent des problèmes d'accessibilité aux usagers
de la ville: ce sont des lieux qu'on évite plus qu'on ne traverse. Les
friches véhiculent d'autre part une image négative, qui bien
souvent affecte l'attractivité du quartier dans son ensemble.
A l'échelle régionale, d'une ville et de son
agglomération, les friches, en tant que réserve foncière,
représentent une opportunité de développer l'urbanisation
à l'intérieur du tissu bâti plutôt que de
manière étalée, comme c'est le cas aujourd'hui. Le
développement actuel des villes ne satisfaisant pas aux critères
d'un développement durable, de nombreuses réflexions sont
menées sur la recherche d'une forme urbaine plus à même d'y
répondre. Dans ce contexte, l'utilisation des friches industrielles des
secteurs de gare prend une dimension tout à fait particulière:
non seulement parce qu'elles sont intraurbaines et peuvent orienter le
développement de l'urbanisation, mais aussi parce qu'elles sont
placées sur des noeuds de transports publics et peuvent influencer les
choix de mobilité, qui eux-mêmes ont un impact essentiel sur la
forme et la structure urbaine.
Nous allons dans ce chapitre nous consacrer à la
seconde échelle d'analyse, et discuter du lien entre forme urbaine et
développement durable. Nous aurons l'occasion d'aborder l'échelle
locale dans le chapitre 3.
La question qui nous occupe est la suivante: est-ce qu'un
développement urbain à l'intérieur du tissu bâti,
autrement dit une densification du tissu urbain, peut mener les villes à
plus de durabilité ? Pour répondre à cette question, nous
allons tout d'abord définir en quoi la forme étalée qui
caractérise nos villes est un modèle de développement non
durable. Puis nous expliquerons pourquoi le modèle d'une ville plus
compacte et ses principales caractéristiques - densité,
mixité, structuration par les transports publics - sont sujets à
débat. Nous exposerons enfin pourquoi et sous quelles conditions nous
nous portons en faveur d'une densification du tissu urbain pour un
développement écologiquement soutenable, socialement acceptable
et économiquement viable.
2.1 Etalement urbain et durabilité: un constat
There are some who think that the city as we know it has
no future (...). However, with an ever-growing majority of the globe 's
population living in conurbations we cannot simply abandon the city. (...) We
cannot afford not to sustain the city (Frey, 2001: 22). En effet, les
enjeux posés par le développement actuel des villes sont cruciaux
pour l'avenir de la planète: il est urgent qu'elles prennent une voie
plus durable. Mais que sait-on de la ville durable ? Peu de choses si ce n'est
que la forme et la structure d'une ville ont une influence sur sa
durabilité économique, écologique et sociale. Les
politiques territoriales peuvent donc avoir un impact non négligeable
sur la durabilité urbaine: l'aménagement
du territoire en particulier, en agissant sur la localisation des
activités humaines et les infrastructures de transport, a un rôle
primordial a jouer.
Un certitude tout d'abord: nos villes s'étalent. Ce
phénomène n'est pas nouveau: avec l'évolution des
transports, permettant de parcourir des distances toujours plus longues
à temps constant, l'espace-temps s'est contracté. Dans un premier
temps, l'étalement urbain fut causé par les transports en commun:
les trains puis les tramways ont structuré les villes de l'époque
industrielle, et engagé un processus de suburbanisation (Tableau 1). En
effet les gares, en permettant une accessibilité aisée aux
communes éloignées, ont accéléré la
croissance de ces dernières (Ragon, 1984). Cet étalement restait
cependant relativement concentré, linéairement ou
ponctuellement.
Figure 1. Transports et production d'espaces
urbains
(Marcadon, 1997)
Avec l'explosion de l'automobile dès les années
1960, l'étalement atteint alors une autre échelle et change de
forme: il n'est plus linéaire et structuré selon les axes de
transport en commun, mais devient multidirectionnel et diffus. Beaucire (Certu,
2000) parle d'un urbain aréolaire. La métaphore de la tache
d'huile décrit bie n le processus selon lequel les villes semblent
s'écouler en une fine couche de faible densité, en grignotant
petit à petit les espaces qui les entourent. Si la muraille, puis la
continuité du bâti déterminaient la ville d'autrefois, peu
à peu, avec l'efficacité des transports qui permet de vivre loin
du centre-ville tout en y étant fonctionnellement rattaché pour
le travail, les achats et les loisirs, l'appartenance d'un territoire au milieu
urbain dépend plus de critères fonctionnels que de
critères morphologiques. Pour preuve les couronnes successives du
suburbain et du périurbain, peuplées de citadins qui vivent selon
un mode urbain et
pendulent vers la ville centre (ou vers un autre point de
l'agglomération) (Tableau 1). L'urbain recouvre désormais
pratiquement l'ensemble du territoire, de manière continue,
déstructurée et étalée.
En outre, l'étalement produit une ville de plus en plus
difficile à gérer et à coordonner, dépassant les
limites administratives de la commune d'origine pour englober les communes
voisines, proches et moins proches. Cette perte de cohérence entre les
ensembles territoriaux et les échelons administratifs desquels ils
dépendent rend d'autant plus difficile une utilisation parcimonieuse et
réfléchie du sol.
Tableau 1. Tableau synthétique des processus
historiques d'urbanisation
Processus Période Espace urbain Mesures
statistiques
|
Croissance
|
1880-1914
|
Ville (fusions
|
Statut
|
urbaine
|
|
communales)
|
institutionnel
|
(Suburbanisation)
|
1920-1945
|
Agglomération morphologique
|
Continuité du bâti
|
Suburbanisation
|
1945-1965
|
Agglomération urbaine
|
Caractères structurels
|
Périurbanisation
|
dès 1965
|
Région urbaine
|
Flux (pendularité)
|
Métropolisation
|
dès 1985
|
Métropole - réseau urbain
|
(régionalisation)
|
(tableau d'après Schuler, 20 janvier 2003)
L'étalement urbain a des causes identifiables mais ses
mécanismes sont encore mal connus, car d'une grande complexité.
La voiture individuelle opère comme le moteur du processus en permettant
un développement urbain peu dense, une séparation et une
dispersion des fonctions (logement, industrie, tertiaire, commerces, artisanat,
loisirs), ainsi qu'une ségrégation sociale de la population, en
fonction du revenu et de la possession d'une voiture. Cette diffusion
ségréguée des personnes et des activités sur un
vaste territoire augmente les besoins en mobilité, auxquels, vu la
nature multidirectionnelle du tissu urbain, seule la voiture peut
répondre. On entre donc dans un cercle vicieux dont le facteur permissif
est la voiture individuelle.
Les causes de l'étalement urbain sont de diverses
natures (Tableau 2): elles relèvent pour une part de nuisances
objectives (pollution et bruit du centre ville), d'aspirations individuelles
issues d'une certaine société à un moment donné
(« mode ») tels que le désir de vivre près de la
nature, la valorisation de l'accession à la propriété
d'une maison individuelle ou du confort individuel offert par la voiture, et
enfin de politiques publiques à incidences spatiales. Camagni et al.
(2002) relèvent que les facteurs suivants favorisent l'étalement
de l'urbanisme résidentiel: la détérioration de la
qualité de vie de la ville historique, l'investissement des centres par
le tertiaire, l'orientation des goûts et styles de vie vers des logements
spacieux et décentrés - favorisée par l'augmentation des
revenus, ainsi que la facilité tant institutionnelle que
financière de construire sur des sites vierges plutôt qu'à
l'intérieur du tissu urbain. Mais l'étalement n'est pas
causé uniquement par
l'habitat, qui ne représente par exemple que 54% des
nouveaux espaces urbains des zones urbaines parisiennes. Les activités
économiques tendent également à s'implanter dans des zones
plus périphériques pour des questions de prix fonciers,
d'accessibilité réduite au centre, ou encore du fait du
développement de nouveaux modèles d'offre commerciale
basés sur la voiture (Fouchier, 1997) . Naissent alors des espaces
urbains « intermédiaires », conçus sur le modèle
des déplacements automobiles: ces « edge cities »,
caractéristiques des Etats-Unis, se retrouvent aujourd'hui dans la
plupart des agglomérations européennes. Enfin, les politiques
publiques à impact territorial, telles que transport, logement,
promotion économique, peuvent également contribuer à
encourager l'étalement urbain diffus.
Tableau 2. Facteurs de l'étalement
urbain
Nuisances Progrès techniques Tendances sociales
Politiques
|
Prix fonciers
|
Vitesse des transports
|
Logements spacieux
|
Logements (accès à la
propriété)
|
Congestion
|
|
Familles
|
|
|
Coûts voiture/revenu
|
décomposées
|
Transport
|
Bruit
|
|
Propriété privée
|
(investissements route/rail)
|
Pollution
|
|
|
|
|
|
Possesion d'une voiture
|
Stationnement
|
|
|
Augmentation du niveau de vie
|
|
Structurées selon ce modèle, les villes
occidentales ne sont pas durables, tant au niveau local qu'à
l'échelle de la planète. Les conséquences au niveau global
sont extrêmement négatives. Les villes ne fonctionnent pas en
boucle fermée: elles puisent des ressources et rejettent des
déchets comme tout métabolisme organique. Nos villes consomment
des quantités de ressources naturelles considérables (sol,
pétrole, eau etc.), et rejettent des déchets polluants (CO2,
ordures, eaux usées). La responsabilité des villes dans le
réchauffement climatique ne fait notamment plus aucun doute. La
consommation de sol et de ressources premières, ainsi que les nuisances
dues au trafic motorisé individuel, sont maximales dans une ville
étalée où les bassins de vie s'élargissent au
détriment des surfaces d'assolement et agricoles, les structures
pavillonnaires de faible densité se développent, et où la
pendularité motorisée entre communes périurbaines et
centrales augmente. La consommation d'espace par l'utilisation de la voiture
(routes, parkings) ainsi que la pollution qui en résulte nuit à
l'environnement et à la qualité de vie. L'étalement, en
grignotant peu à peu les espaces ruraux, transforme les villes en de
vastes agglomérations de faible densité, sans structure, sans
véritable qualité ni urbaine ni rurale, où il n'est pas
possible de se déplacer autrement qu'en voiture. La ville
étalée produit également des ségrégations
sociales à travers le territoire: les différentes parties de
l'agglomération (le centre, les couronnes, le périurbain, le
rurbain) comprennent des populations diverses en fonction des nuisances et
avantages prêtés à chaque territoire
selon l'appartenance socio-professionnelle et la position dans
le cycle de vie. Les couches aisées de la population partent
s'établir « à la campagne » à un certain moment
de leur cycle de vie - généralement lié à la
naissance des enfants -, participant au processus d'étalement. A
l'inverse, le centre et les communes suburbaines de la première couronne
des agglomérations tendent à concentrer les couches sociales
défavorisées; le concept de A-Stadt pour Alte, Arme,
Alleinstehende, Auszubildende, Ausländer et Arbeitslose
décrit bien cette situation. Le centre tend de plus à perdre ses
habitants sous l'effet de la tertiairisation. Enfin, en termes
économiques, la ville étalée coûte cher: la
construction et l'entretien des infrastructures sont coûteux, la
mobilité motorisée congestionne la ville et son économie,
et augmentent les coûts de la santé (pollution, accidents). Plus
généralement, la qualité de vie est mise à mal dans
une ville étalée, ségréguée, zonée,
où la voiture domine.
A partir de ce constat, il semble clair que le
développement actuel des villes n'est pas durable et qu'il faut chercher
des solutions visant à freiner la diffusion et l'éclatement de
l'urbanisation.
Les trois éléments qui sont mis en avant par les
opposants à une ville étalée sont de construire plus
dense, plus mixte - fonctionnellement et socialement -, et de structurer la
ville selon des réseaux de transports publics. L'association de ces
trois éléments vise à réduire les besoins
en mobilité auxquels seule la voiture individuelle peut répondre.
En associant ces trois paramètres, le but est de favoriser une «
ville des trajets courts », piétonne, mais aussi une ville
où, pour les trajets plus longs, les transports publics sont
attractifs.
Des transports en commun attractifs impliquent qu'ils soient
efficaces (rapidité, prix, confort) mais aussi capables de desservir les
gens et les activités de manière judicieuse. Autrement dit, la
correspondance entre la structure du réseau et celle du tissu bâti
est primordiale pour que l'utilisation de ce mode soit compétitive. Dans
des villes où le bâti est déjà passablement diffus,
il s'agit donc de localiser les nouvelles activités et de densifier en
priorité les espaces desservis par les transports publics.
Cependant, la promotion de la densité, de la
mixité et des transports publics comme outils de frein à
l'étalement urbain, voire même la lutte contre l'étalement
elle-même, sont des propositions qui ne font pas l'unanimité parmi
les chercheurs, bien qu'un consensus politique - au niveau idéologique
du moins - semble s'être constitué très rapidement autour
du modèle de « ville compacte », dense et mixte, et ce
malgré la complexité des enjeux: although the actual effects
of many of (the) claimed benefits (of the compact city) are
far from certain, for now at least, urban compaction is a policy direction
which is being followed (Williams et al., 1996: 83). En effet, suite aux
premiers grands jalons que furent le rapport Brundtland en 1987 (United
Nations, 4 août 1987), le Green Paper on the urban environment de la CEE
en 1990 et la Conférence de Rio en 1992, la non- durabilité du
développement actuel a été généralement
reconnue et les mérites de la « ville compacte » pris comme
argent comptant. Face à cet engouement collectif, certains incitent
pourtant à plus de retenue:
Policies for creating higher density development,
environmentally friendly design, and reduced reliance on private transport are
in place in Europe, the UK and Australia. There is the likelihood of action
being taken and solutions implemented, without an accurate understanding of the
impacts they may have, nor how sustainable they may turn out to be. The theory
would suggest beneficial outcomes, yet despite the advocacy and debate, many
questions remain (Jenks et al. 1996: 6)
Breheny nous rend également attentif au fait que toute
une série de questions pourtant primordiales n'ont pas
été prise en compte dans le débat: nous connaissons encore
mal les
mécanismes de l'étalement urbain, la force du
processus, sa durée, sa nature, ses mérites (1996). Thomas et
Cousins se demandent d'ailleurs si la « ville compacte » est un
modèle successful, desirable and achievable (1996: 53).
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