III-2 LES IMPLICATIONS SOCIALES DU RÉCIT DE LA
CRÉATION (GN1, 26-2)
Les lois de l'Ancien Testament mettent en évidence le
lien entre la terre, sa fécondité, l'obéissance morale et
religieuse du peuple de Dieu. Dans les livres du Lévitique et du
Deutéronome, en particulier dans l'énoncé des
bénédictions et des malédictions, un lien étroit
est souligné entre l'obéissance à Dieu, le climat
favorable, la fertilité de la terre et l'abondance des récoltes,
et comme une conséquence logique, le culte que l'on rend à Dieu
par amour et par reconnaissance lors des fêtes agricoles (Pâques,
Pentecôte et fête des tentes ou Soukkôt).
La tâche que Dieu a confié à l'homme qui
consiste à cultiver et à garder la terre et la protéger ne
signifie pas qu'elle lui appartienne, que l'homme en est le seul et unique
responsable. La terre lui est déléguée, confiée en
tant qu'intendant, gestionnaire qui doit rendre compte à son
maître, il se rend coupable de pillage. Cet engagement de l'homme au
service de la création toute entière sous le contrôle de
Dieu peut déjà le qualifier d'agent de développement. La
création de l'homme n'est pas le fruit du hasard. Dieu n'a pas
créé l'homme sans objectifs. Il y avait des dispositions
précises dans son plan créateur de développement. A cet
effet, il serait nécessaire et important de voir quels types de
dispositions Dieu a prises dans son plan de développement par rapport
à la création. A cet effet, l'ennemi de la gestion est le
détournement et l'ennemi de la soumission, serait l'orgueil de l'homme.
Le développement, pour qu'il soit véritable et conforme au plan
voulu par Dieu, doit d'abord rentrer dans cette perspective.
Le lecteur rapide de la Genèse verrait dans la mise au
travail d'Adam, le résultat d'une malédiction pesant sur toutes
les générations, comme ce fut le cas de la vieille
théologie du « péché originel ».
Chaque goutte de transpiration dégoulinant sur les corps
épuisés, renverrait inévitablement au verdict d'un Dieu
sévère et intraitable. Le judaïsme a refusé cette
lecture trop pessimiste du Pentateuque.
En quittant l'Eden, Adam n'est point maudit, il n'a rien perdu
de son image divine comme le rappellera Yahvé quelques
générations plus tard à Noé ; ses
potentialités spirituelles sont restées intactes. La
transgression l'a seulement placé dans un nouveau rapport au monde, non
plus fondé sur la gratuité et l'innocence, mais sur la
connaissance et l'effort de production.
Adam en s'éloignant du paradis ressemblerait à
ce jeune homme quittant père et mère pour construire son
existence d'adulte. C'est acquérir une certaine maturité et de
travailler pour son propre épanouissement et pour son propre
développement.
Par la transformation de la nature, l'homo faber se distingue
radicalement de l'animal. Le travail n'est plus une malédiction mais une
responsabilisation et une élévation de l'activité de
l'homme. Par travail, il ne faut point comprendre uniquement le travail de la
terre, comme ce fut le cas chez les Bwa qui n'admettaient comme travail que le
travail manuel, le travail de la terre. Il s'agit de toute activité qui
nécessite à l'homme un effort quelconque, qu'il soit physique,
intellectuelle ou spirituelle.
Fidèles à cette logique de lecture, les sages
d'Israël proposèrent comme idéal de vie pour chaque membre
de la collectivité, d'associer un métier à
côté de la pratique religieuse. Cette harmonie s'exprime de
façon éclatante dans la conception hébraïque qui
associe à la fois activité économique et service de
Dieu.
Ainsi un même terme désigne à priori deux
démarches opposées. Avoir les pieds dans la boue ou les mains sur
un clavier, paraît-il antinomique à l'attitude qui consiste
à s'isoler pour mieux se concentrer dans la récitation d'un
psaume ? Dans la logique monothéiste Hébraïque, chaque
lieu traversé, chaque moment qui s'égrène devient le
tremplin d'une rencontre ultime, totale avec la transcendance. Dieu se trouve
aussi bien au coeur du dévot dans sa chapelle que dans celui d'un cadre
tenant la mallette se rendant à son rendez-vous professionnel. Car la
ferveur peut s'exprimer partout, seules les modalités d'expression sont
variables.
Travail/ production, travail/ prière invitent le
croyant à cet effort continu de transformation de la nature, nature
extérieure ou intérieure à soi-même.
Dans une société où le travail/production
n'est plus le lot de tout un chacun, mais où le pain se quémande
comme la société bo, l'on comprend à quel point
l'activité économique porte l'honneur de l'homme. La
prière loin de nous éloigner du monde devrait être alors
source d'engagement et de grande motivation dans le labeur quotidien.
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