CHAPÎTRE III- LA PROMOTION
HUMAINE À LA LUMIÈRE DU RÉCIT DE LA CRÉATION (GN1,
26-2)
III-1 LA MISSION DE L'HUMANITÉ AU CoeUR DE LA
CRÉATION
Les chrétiens croient pourtant en un Dieu
Créateur. « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre » sont les premières phrases
du Symbole des Apôtres, l'une des plus anciennes confessions de foi
chrétienne. Le Symbole de Nicée-Constantinople (381)
précise que ce Dieu est aussi créateur « de toutes choses
visibles et invisibles.». Cela veut dire que nous croyons non seulement
que Dieu a créé toutes choses, mais qu'il les gouverne et les
conduit, disposant et réglant selon sa volonté tout ce qui arrive
de bien, de beau et de bon dans le monde, tout ce qui concoure à
l'épanouissement de la famille humaine ». Comme toute
idéologie religieuse, philosophique ou politique, la foi en un Dieu
créateur influence notre regard sur le monde, sur les hommes et les
femmes comme sur toute créature ; elle influence également notre
façon de vivre dans ce monde. La Parole de Dieu nous invite à
oeuvrer de sorte que la volonté de Dieu, le Créateur qui a voulu
toute chose « bonne » et bienfaisante, soit faite dans
notre vie et dans celle des autres, pour le bien être de la famille
humaine.
la création de l'humanité : Gn1,
26-31
- Gn1, 26 « Faisons l'homme
à notre image... »
Avant de créer l'être humain, Dieu, prend le
soin, de préparer là où il va accueillir celui qu'il veut
qu'il soit à son image, l'homme. Tout a pour but de fournir le cadre
où l'homme sera appelé à l'Existence. L'homme se distingue
d'une manière spéciale des autres créatures. C'est
pourquoi Dieu s'est déterminé à le créer à
la suite d'une décision particulière et solennelle.
Dieu se recueille ; il délibère : peut
être une délibération avec sa cour céleste (Ps8,
6 ; Jb1, 6). Mais ce pluriel est interprété comme, exprimant
la majesté, la plénitude et la richesse intérieure dont
témoigne le nom commun « Elohim ». Les Pères
de l'Eglise évoquent ici la préfiguration de la Trinité,
ce que l'on pourrait désigner aujourd'hui, dans la perspective de la
théologie africaine, par la Famille-Trinitaire.
- « Dieu créa l'homme » : la
personne humaine est une créature. Ici le verbe créer,
employé trois fois, souligne vraiment que la personne humaine est
créée et qu'elle est limitée.
- « A l'image de Dieu il le
créa » : la personne humaine limitée est
créée à l'image de Dieu. Le terme hébreu
Selem qui signifie : de Dieu, mais le verset ajoute le
terme Demut qui signifie comme à notre ressemblance.
Le terme Selem : se réfère à une
chose concrète comme une statue, par laquelle on peut se faire une
idée de la personne représentée. Il est traduit par une
image qui suggère une similitude physique parfaite.
Le terme Demut quant à lui, correspond à une
notion abstraite : comme similitude, une analogie. Demut qualifie selem en
diminuant sa force.
Nous trouvons également la même formulation en
Gn5, 3, pour indiquer la conformité entre Adam et son Fils. Le Fils
ressemble au Père sans lui être identique : la similitude
divine est un caractère de nature que le premier homme, Adam, transmet
à ses descendants. Une personne humaine ; c'est une reproduction,
une copie de Dieu mais seulement de façon analogue. Toute la
création, y compris la personne humaine icône de Dieu, est
l'oeuvre de Dieu et donc sa propriété.
La Bible nous donne une conception toute particulière
de l'être humain : l'homme est cette créature qui a
reçu un pouvoir royal sur le reste de la création. Dieu lui
confie la gérance de l'univers. Comme Dieu, l'homme possède la
souveraineté sur l'Univers. L'effort humain pour connaître et
maîtriser l'univers s'inscrit dans cette perspective divine. Il est
invité à participer à l'action créatrice de Dieu
comme coopérateur, collaborateur de Dieu, il est co-créateur de
Dieu dans la création.
Dans le livre de la genèse plusieurs verbes sont
employés pour définir précisément le mandat
adressé par Dieu à l'humanité. Ce mandat demeure,
malgré la « chute », la rupture de l'alliance et de la
communion avec Dieu.
Trois couples de verbes nous semblent résumer cette
mission de l'humanité dans le monde : « Multiplier (fructifier) et
remplir la terre, « dominer et soumettre » les animaux, la
végétation et les ressources naturelles, au sens large ; et
enfin, « cultiver et garder » la terre. Notons qu'il s'agit
là, en premier lieu, d'une bénédiction de Dieu et non pas
d'une contraignante oeuvre face à laquelle un Adam historique, en
compagnie de son épouse Eve, serait condamné, après son
éjection du jardin de Dieu, comme on le fut comprendre selon une vielle
idéologie des siècles antérieurs.
Que signifient ces verbes de la Genèse dans leur racine
hébraïque ?
Quelles en sont les conséquences pour le milieu
naturel, pour notre environnement et pour la société ?
Les chrétiens ont-ils une responsabilité plus
particulière dans la transformation de la nature et du monde ?
Voila les questions auxquelles nous tenterons de
réponse dans cette partie.
Multiplier et remplir : Peupler la terre
- Pârâh : porter du fruit, être
fécond
- : Râbâ : multiplier, augmenter
- : mâlçh : remplir
Gn 1.22, 28 ; 9.1: - - : ordre, mandat
Bénédiction-multiplication : terme
employé 10 fois dans le livre de la Genèse, avant et après
chute/déluge : Gn 1.22 (animaux) ; Gn1. 28 ; 8.17 ; 9.1, 7 (hommes) ; Gn
17.20 ; 28.3 ; 35.11 ; 47.27 ; 48.4 (lignée d'Abraham).
- Gn1, 28 «Dieu les bénit et leur
dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et
soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et
sur tous les animaux qui fourmillent sur la terre ».
Il existe une double mission pour l'être humain à
ce niveau.
Une première mission qui découle de cet aspect
sexué de la nature humaine, consistera pour l'humain à donner vie
à des êtres qui seront son image, comme Dieu. C'est pourquoi en
créant l'être humain à Son Image, Dieu a acquis un
partenaire, quelqu'un qui lui ressemble, l'homme, avec lequel il peut entrer en
dialogue, en relation. A l'image d'un Dieu relationnel, l'être humain est
aussi relationnel. L'Amour ne peut être solitaire : c'est un couple,
un homme et une femme qui s'aime et dont l'amour produit la vie. Homme et
femme, Dieu les créa, ou plus exactement « mâle et
femelle » il les créa, deux termes réservés aux
animaux. Pour dire, que l'être humain est un être unique, mais qui
en même temps fait partie du monde terrestre, animal.
Dieu accorde la bénédiction à
l'humanité et le pouvoir de donner la vie. Même
bénédiction que pour les autres êtres vivants qui ont en
commun avec l'humanité d'être mâle et femelle.
La seconde mission est propre à l'humanité, il
s'agit de soumettre et de dominer la terre.
Dominer et soumettre :
râoâh et kâbash
Le terme Dominer râoâh : signifie prendre soin
de, gouverner (Gn 1.28 ; Ps 110.2).
Dans les mythes de la création, l'homme était
fait pour travailler pour les dieux, pour que ceux-ci aient des temps libres de
loisirs. Mais dans la Bible, les humains sont les serviteurs de Dieu et la
fonction de l'humanité est en rapport avec le monde. Par la
bénédiction, Dieu rend l'être humain capable d'accomplir
cette mission. Cette bénédiction est en rapport avec la vie, la
fertilité, la fécondité, la croissance, la
prospérité, le succès.
D'après le livre de la Genèse, les hommes et les
femmes étaient au commencement invités à remplir, dominer
et cultiver la terre en communion avec Dieu, c'est-à-dire avec amour et
justice. Il ne s'agissait pas pour eux d'exercer leur tyrannie sur la
création, mais plutôt d'en prendre soin pour le bien de toutes les
créatures et pour la gloire du Créateur. C'est le sens de l'un
des verbes traduits par dominer ; l'hébreu raoâh est
employé à plusieurs reprises dans le Pentateuque (les cinq
premiers livres de la Bible). Dans le Lévitique, en particulier, il est
rappelé aux descendants d'Abraham, dans le cadre des lois sur le travail
domestique, qu'ils ne doivent pas dominer sur leurs frères de
façon arbitraire (Lévitique 25 et 26). Ces lois étaient
données pour éviter les problèmes de l'esclavage. Les
serviteurs juifs pouvaient être rachetés par un membre de leur
famille ; ils avaient la possibilité de recouvrer la liberté lors
de l'année sabbatique dont nous avons parlé plus haut, tous les
sept ans, ou lors du jubilé, tous les cinquante ans. Le même verbe
dominer (raoâh) est employé par les prophètes, comme
Ézéchiel ou Jérémie, qui rappellent au roi qu'il
doit exercer sa domination avec bienveillance et justice, qu'il doit prendre
soin de son peuple comme un berger envers son troupeau, et non comme un tyran
assoiffé de pouvoir. Il s'agit donc pour l'homme de dominer sur la terre
en tant qu'être créé à l'image de Dieu comme le
précisent les Pères de l'Église sur la base de la
traduction grecque (Septante) de la Bible : l'hébreu raoâh est
traduit par le grec árkhô, qui évoque la capacité
à commander, à exercer la fonction de chef, avec toutes les
qualités requises.
Le terme Soumettre : kâbash: signifie assujettir (grec
katakurieúô: devenir maître) fouler aux pieds : prendre
possession sur permission du souverain.
Le verbe hébreu kâbash a suscité les
contresens les plus douteux et destructeurs pour la nature. Car s'il signifie,
en effet, soumettre, fouler aux pieds, il a aussi le sens de «prendre
possession » (cf. grec de la Septante : katakurieúô, devenir
maître de), ainsi qu'on peut le comprendre dans la littérature du
Proche-Orient ancien, comme sur la stèle de Thoutmès III
(Égypte, XVIIIe dynastie, 1505 - 1450 av. J.-C.), à Karnak, et
dans lettre de Sargon II (Assyrie, 722-705 av. J.-C.) : le souverain donne
l'autorisation à l'un de ses gouverneurs de « fouler aux pieds
» son territoire pour l'administrer en son nom. Dans le contexte de la
Genèse, cela signifie que l'homme et la femme sont appelés
à gérer (bien administrer) la création avec intelligence.
A une nuance de violence (Job 18, 1 ; 2Sm8, 11), ce terme est
utilisé pour décrire la conquête de la terre promise qui
est une responsabilité particulière du Roi. Car le roi a pour
fonction de promouvoir la justice et la paix avec une préoccupation pour
les faibles. Ainsi la fonction royale de domination est un service pour la
justice, la paix, l'harmonie dans le monde créé par Dieu et non
pas pour l'exploitation du monde à des fins personnelles. La
conquête de la terre promise n'est pas sa destruction mais
l'enlèvement des obstacles pour qu'on y vive en paix. Ainsi est la
mission de l'humanité par rapport à la terre. Dieu a mis de
l'ordre dans le chaos, mais le chaos n'est pas détruit : il l'a
plutôt organisé. Aussi notre mission est d'empêcher que le
chaos ne prenne le dessus, et de travailler pour que tous puissent y vivre dans
la culture de la paix et de la prospérité. Et pour cela, il faut
s'inspirer des principes du créateur lui-même, qui a voulu un
univers unique, bien ordonné et bon.
Au sens moral et religieux d'autres significations se
dégagent nécessairement par rapport à la pratique
religieuse.
- Garder les commandements de Dieu (Dt 4.2 ; 10.13, etc.), le
sabbat (Dt 5.12), les fêtes (Ex23.15), l'alliance (Gn17.9), son âme
(Dt4.9; Ps 25.20).
- Cultiver, travailler, rendre un culte, servir Dieu :
activité des lévites dans le temple, garder le sanctuaire,
préserver la pureté du lieu saint (Ex 10.26, Nb 3.7, 4.23, 24,
30, 47 ; 8.11-22).
Au-delà du sens littéral (cultiver la terre pour
se nourrir), en hébreu, les verbes cultiver (âbad) et garder
(ðamar) ont aussi une connotation religieuse : on garde les commandements
ou l'alliance de Dieu, on garde le sabbat ou son âme. Le verbe cultiver,
travailler, peut avoir le sens de « rendre un culte », « servir
Dieu». Il est employé pour désigner l'activité des
lévites dans le tabernacle dressé dans le désert ou dans
le temple de Jérusalem. Les prêtres étaient
également tenus de « garder » le sanctuaire, et notamment de
préserver la pureté du lieu saint de toute souillure profane. La
domination des êtres humains - autorité
déléguée par Dieu, vocation de remplir et cultiver la
terre, d'identifier, nommer et protéger les êtres vivants -
implique également leur responsabilité humaine et religieuse.
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