2.1.1. Définition et conditions de la
légitime défense
La légitime défense n'a pu acquérir un
véritable sens juridique et technique qu'à partir du moment
où le recours à la force a été interdit.
47Jean Combacau et Serge Sur, Droit International
Public, Montchrestien, 6e édition, 2004, à la
page 619.
48Ibid. 49Ibid.
La CIJ, à travers trois décisions, a
précisé la signification pour les Nations Unies des
paramètres de l'article 5150. Selon l'acception doctrinale
classique, le coeur du principe est le « droit de réaction
armée dont dispose, à titre individuel ou collectif, tout
État qui a été victime d'une agression armée
»51.
Pour ce qui est de « l'agression », lors de la
Conférence de San Francisco, les États ont renoncé «
à établir une telle définition parce qu'une liste des
actes devant être considérés comme des actes d'agression
aurait risqué de ne pas être exhaustive et qu'une
définition abstraite aurait risqué de se révéler
inadaptée devant la complexité des situations internationales
»52. La définition donnée dans la doctrine est
celle d'« [a]ttaque armée déclenchée par un
État agissant le premier contre un autre État en violation des
règles du droit international »53. Par ailleurs, la
résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 sur la
définition de l'agression a opté pour le fait de faire
coïncider les articles 2 § 4 et 51 de la Charte, ceci en
définissant l'agression dans les termes suivants : « L'agression
est l'emploi de la force armée par un État contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies
»54.
À travers ces définitions, de même
qu'à la lumière des dispositions de l'article 51, on constate
qu'au départ la qualification d'un état de légitime
défense se fait par l'État agressé mais que cette
qualification sera vérifiée, par la suite, par le Conseil de
sécurité. Il faut, par ailleurs, qu'il y ait une agression
armée pour se situer dans le cadre d'une légitime
défense,
50Il s'agit des affaires Nicaragua c.
États-Unis, supra note 27, à la page103, par.194,
Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes
nucléaires, supra note 29, à la page 245, par.41,
et de L'affaire des plates formes pétrolières,
infra note 313, pp. 35-37, par. 73-77.
51Jean Salmon, Dictionnaire de droit international
public, Bruxelles : Bruylant, 2001, à la page 642.
52Marc Perrin de Brichambaut, Jean François Dobelle et Marie
Reine d'Haussy, Leçons de droit international public, Paris :
Presses de sciences PO et Dalloz, 2002, à la page 284.
53Ibid., à la page 52.
54Supra note 23.
On peut aussi compléter l'article 51 avec la
Résolution 2625 de l'Assemblée Générale, qui est
considérée comme une interprétation quasi authentique de
la Charte. Supra note 18.
cette dernière ne devant être entamée ni
avant le début ni après la fin de l'agression
armée55. Enfin, la légitime défense
disparaît si le Conseil de sécurité agit en vue du maintien
de la paix et de la sécurité internationales. Par
conséquent, « [L]e droit de légitime défense
individuelle présente un caractère subsidiaire, dans la mesure
où il ne peut être invoqué qu'aussi longtemps que le
Conseil de sécurité n'a pas pris les dispositions
nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité
internationales »56. Pour Linos-Alexandre Sicilianos, la
légitime défense a un caractère inaliénable
affirmé, entre autres, par l'article 51 lui-même quand il la
qualifie de « droit naturel » mais cela ne signifie pas pour autant
qu'elle soit illimitée, dans la mesure où son exercice est soumis
au contrôle du Conseil de sécurité57. La
liberté d'action dont les États jouissent au moment où ils
sont victimes d'une agression armée n'est, du point de vue de la Charte,
que temporaire. En effet, lorsque le Conseil de sécurité se
saisit d'une affaire, il peut adopter toute décision en vertu des
pouvoirs qu'il tient de la Charte. Cela vise essentiellement à «
préserver le rôle du [Conseil de sécurité] en tant
qu'organe ayant la responsabilité principale pour le maintien de la paix
et de la sécurité internationales »58.
Concernant le contrôle exercé par le Conseil de
sécurité, tout État est obligé de porter à
sa connaissance les mesures prises au titre de la légitime
défense, même si, en pratique, il est relativement rare qu'un
État le fasse. Pour certains auteurs, cela constitue un indice de
mauvaise foi de l'État prétendant avoir agi en légitime
défense59. Par exemple, dans l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la CIJ a mentionné le non-respect des États-Unis
de l'obligation d'informer le Conseil de sécurité de leurs
opérations au Nicaragua pour corroborer son jugement sur
l'illicéité de leurs activités60.
La légitime défense peut par ailleurs être
individuelle ou collective. Dans le deuxième cas, elle constitue une
création de la Charte et obéit fondamentalement aux mêmes
conditions
55Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 103, par. 194.
56Salmon, supra note 51, à la page
642.
57Linos Alexandre Sicilianos, Les réactions
décentralisées à l'illicite. Des contres mesures à
la légitime défense, Paris : L.G.D.J, 1990, pp. 304-306.
58Ibid., à la page 306.
59Don Greig, « Self-Defense and the Security
Council : what does Article 51 Require ? », I.C.L.Q, 1991, pp.366-402.
60Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 121, par.235.
22 que l'invocation de la légitime défense
individuelle. Elle vise le cas où un État non directement
agressé intervient pour assister l'État agressé, soit
à la suite d'une demande ponctuelle soit en vertu des accords de
défense qui le lient au pays agressé. À titre d'exemple,
l'article 5 du traité de l'Atlantique du Nord du 9 avril 1949
énonce que :
Les parties conviennent qu'une attaque armée contre
l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du
Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre
toutes les parties et en conséquence elles conviennent que, si une telle
attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de
légitime défense, individuelle ou collective reconnu par
l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties
ainsi attaquées en prenant aussitôt individuellement et d'accord
avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y
compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la
sécurité dans la région de l'Atlantique du nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure
prise en conséquence seront immédiatement portées à
la connaissance du Conseil de sécurité. Ces mesures prendront fin
quand le Conseil de sécurité aura pris les mesures
nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la
sécurité internationales61.
Le Traité de l'Atlantique du Nord se place clairement
dans le cadre de la Charte et reconnaît de façon expresse sa
subordination à cette dernière62.
De plus, la légitime défense, qu'elle soit
individuelle ou collective, doit obéir aux conditions de
proportionnalité et de nécessité. Dans l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la CIJ a énoncé que la règle
spécifique selon laquelle « la légitime défense ne
justifierait que des mesures proportionnées à l'agression
armée subie [est] bien établie en droit international coutumier
»63. Il est à noter que l'examen
61Le texte intégral du Traité de
l'Atlantique du Nord est disponible [en ligne] : [http
://www.nato.int/docu/fonda/traite.htm] (page visitée le 21 novembre
2006).
62L'article 7 du traité stipule que : «
le présent Traité n'affecte pas et ne sera pas
interprété comme affectant en aucune façon les droits et
obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des
Nations Unies ou la responsabilité primordiale du Conseil de
sécurité dans le maintien de la paix et de la
sécurité internationales ».
63Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 94.
23 de la proportionnalité ne peut être
déterminant pour apprécier la licéité d'une action
de légitime défense que si les autres conditions
susmentionnées sont remplies. Le principe de proportionnalité ne
peut, en aucun cas, transformer une réaction illicite en soi en
réaction licite. C'est dans ce sens que la CIJ a déclaré
que :
Même si les activités des États-Unis
avaient respecté strictement les exigences de proportionnalité,
elles n'en seraient pas devenues licites pour autant. Si, par contre, tel
n'était pas le cas, il pourrait y avoir là [c'est-à-dire
dans le non-respect du principe de proportionnalité] un motif
supplémentaire d'illicéité64.
Pour revenir aux termes de la Charte, toute utilisation de la
force qui obéit aux paramètres susmentionnés n'est pas
illégale, dans la mesure où la légitime défense est
une circonstance excluant l'illicéité du recours à la
force65. En effet, « une réaction au titre de
légitime défense n'est pas licite en soi. Elle ne le devient que
par rapport à l'illicéité de l'acte qui l'a
motivée»66.
En fait, l'article 51 a constitué un progrès
incontestable en matière d'exercice du droit de légitime
défense. Ses dispositions constituent une soupape de sûreté
du système général de maintien de la paix et de la
sécurité instauré par la Charte des Nations Unies.
Toutefois, dans la pratique étatique, on a assisté à une
utilisation abusive ou à des tentatives d'élargissement de ce
concept visant l'extension de sa portée.
|