1.3. Le statut juridique de l'article 2 par. 4
Comme nous l'avons déjà indiqué,
l'interdiction de recourir à la force posée par l'article 2
§ 4 a été affirmée par les prises de position des
États, à la fois dans les traités internationaux et dans
les décisions judiciaires internationales.
L'article 2 § 4 est l'un des candidats les plus
consensuels au rang de jus cogens. Dans son commentaire sur le projet
d'articles sur le droit des traités la Commission du droit international
(ci-après CDI), l'organe de codification de droit international des
Nations Unies a déclaré que « le droit de la Charte
concernant l'interdiction de l'emploi de la force constitue en soi un exemple
frappant d'une règle de droit international qui relève du jus
cogens »35. Le jus cogens est défini comme
« une norme acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États dans son ensemble en tant que norme à
laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être
modifiée que par une nouvelle norme du droit international
général ayant le même caractère36 ».
Selon Pierre Marie Dupuy, les principes du jus cogens se situent
« dans le prolongement historique, logique et idéologique de la
Charte des Nations Unies »37.
Il faut reconnaître à ce niveau, malgré
que la Charte constitue un traité, elle reste exceptionnelle dans la
mesure où elle a renforcé certaines normes d'une part, en
consacrant leur valeur fondamentale et, d'autre part, en garantissant leur
suprématie au travers de leur introduction dans le droit
positif38. En effet, de la combinaison entre les dispositions de
l'article 103 de la Charte qui établissent une certaine
hiérarchie normative dans la mesure où les principes de la Charte
qui font partie intégrante du droit international général
doivent primer sur tout autre accord international et les dispositions de
l'article 53 de la Convention
35Annuaire CDI, 1966-II, à la page 270, par.
1.
Voir aussi Ronald Macdonald, « The Charter of the United
Nations in Constitutional Perspective », Australian Year Book of
International Law, vol 20, 1999, à la page 215.
36Article 53 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités.
37Pierre Marie Dupuy, « L'unité de l'ordre
juridique international », Académie de droit
international, Recueil des cours, vol. 297, 2002, à la page 192.
38Ibid., pp. 285 et 303.
de Vienne de 1969 sur le droit des traités, nous
déduisons que les principes de la Charte et le jus cogens ne
font qu'un et que « les principes consacrés par la Charte se
placent au sommet de l'édifice normatif international dans son ensemble,
et non pas seulement au sommet de l'édifice du système des
Nations Unies »39. Bruno Simma a qualifié la relation
entre les deux concepts de « rencontre au sommet »40. Cela
a amené certains juristes à dire que la Charte et notamment ses
principes représentent une sorte de « constitution mondiale »
puisque « it has become obvious in recent years that the Charter is
nothing else than the constitution of the international community [...] Now
that universality has almost been reached, it stands out as the paramount
instrument of the international community, not to be compared to any other
international agreement »41.
Concernant l'interdiction du recours à la force
proprement dite, elle « [...] revêt un caractère d'ordre
public, ce qui entache de nullité toute convention qui la
méconnaîtrait, [...] et [...] sa violation est constitutive d'un
crime international »42.
Quant à la CIJ, elle a considéré cette
interdiction du recours à la force comme « un principe fondamental
ou essentiel [...] »43 du droit international.
On peut donc dire que « peu de principes ont joué un
rôle aussi fondamental en droit international contemporain que le
principe de l'interdiction du recours à la force »44.
Plus
39Luigi Condorelli, « La Charte, source des
principes fondamentaux du droit international », dans Regis Chemain et
Alain Pellet (dir.pub), La Charte des Nations Unies, constitution mondiale
?, cahiers internationaux, no 20, Paris, Pedone, 2006, à
la page 162.
40Bruno Simma, « La Charte des Nations Unies
et le jus cogens », dans Regis Chemain et Alain Pellet (dir.pub), La
Charte des Nations Unies, constitution mondiale ?, cahiers internationaux,
no 20, Paris : Pedone, 2006, à la page 207.
41Christian Tomuschat, The United Nations at Age
Fifty, A Legal Perspective, The Hague; Boston, Kluwer Law
International, 1995, à la page 9.
42Joe Verhoeven, Droit international public,
Bruxelles : Larcier, 2000, à la page 671.
Voir aussi Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit
international public, L.G.D.J, 7e éd., 2002, à la
page 967, par.576.
43Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 90, par.190.
44Schrijver, supra note 14, à la page
437.
encore, il a constitué « une véritable
mutation du droit international, un changement qu'il n'est pas excessif de
qualifier de révolutionnaire [...] »45.
De façon très générale, la
doctrine et la jurisprudence, ainsi que les États eux-mêmes au
travers en particulier des organes politiques des Nations Unies et des accords
internationaux ont reconnu à l'article 2 § 4 un caractère
fondamental, traduit parfois en qualité normative
distincte46. La question reste néanmoins de savoir, comme
nous l'avons déjà mentionné, quelle est la portée
exacte de cette interdiction, dans la lignée des efforts entamés
dès le tournant du siècle passé. Dans ce contexte,
l'article 2 § 4 a été encadré, en 1945, de
dispositions concernant l'obligation du règlement pacifique des
différends (articles 2 § 3 et 33) ainsi que d'articles concernant
la sécurité collective (Chapitre VII). En particulier, la Charte
a, dans le cadre du Chapitre VII, organisé l'utilisation de la force
collective par le Conseil de Sécurité, tout en réservant
aux États le droit de légitime défense.
45Michel Virally, « Article 2 paragraphe
4 », dans Jean-Pierre Cot et Alain Pellet, La Charte des Nations
Unies, Commentaire article par article, 2e édition,
Paris, Économica, 1991, à la page 115. 46Voir Prosper
Weil, « Vers une normativité relative en droit international ?
», R.G.D.I.P, Paris, tome 86-1,1982-1, pp.5-47.
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