2.3. Légitime défense ou représailles
armées ?
Les représailles armées peuvent être
définies comme « punitive in character, [...] seeking to impose
reparation for the harm done, or to compel a satisfactory settlement of the
dispute created by the initial illegal act, or to compel the delinquent state
to abide by the law in the future229 ». En 1980, Roberto Ago
écrivait à propos de la distinction entre la légitime
défense et les représailles armées que :
[...] l'élément vraiment distinctif entre
l'action adoptée au titre de contre mesures et l'action menée en
légitime défense réside dans le but de ces actions et le
moment auquel elles ont lieu. Dans le premier cas, le but est de punir, de
réprimer, d'obtenir une exécution forcée ou de lancer un
avertissement contre la répétition de l'acte incriminé
alors que dans le second le but est d'empêcher un acte d'agression. De
plus, le moment auquel se situe logiquement la réaction prenant la forme
d'une contre mesure est celui de la mise en oeuvre de la responsabilité
qui naît d'un fait internationalement illicite. Par contre, l'action
exécutée en état de légitime défense
précède la mise en oeuvre de la responsabilité et se situe
au moment de l'exécution même du fait illicite. Cette action a un
caractère défensif : elle doit empêcher la
réalisation de ce fait230.
228Gilbert Guillaume, « L'ONU en 2005 »,
Association Pour la Fondation ResPublica, Colloque du 6 juin 2005,
pp.37-38.
229Derek Bowett, « Reprisals Involving Use of
Armed Forces », A.J.I.L, vol 66-1, 1972, à la page 3.
230Roberto Ago, Intervention au cours de la 1619e
séance de la C.D.I, 1980, à la page 174, par.6.
En d'autres termes, la ligne de partage entre représailles
armées et légitime défense
peut être effectuée en tenant compte d'un
élément temporel et, partant d'un paramètre qualitatif, la
finalité de l'opération, ainsi que d'un critère
quantitatif, le degré de violence et de contre violence [...] dans la
pratique les représailles armées n'ont presque jamais lieu tant
que le fait illicite allégué est en cours de réalisation,
mais qu'elles se matérialisent après un laps de temps plus ou
moins long selon le cas mais, en toute hypothèse, une fois que le fait
illicite est consommé [...] ce décalage temporel [...] fait que
la riposte se transforme d'action défensive en opération
punitive231.
Les représailles armées ont été
bannies depuis que l'article 2 § 4 a consacré l'interdiction du
recours à la force dans les relations internationales. D'ailleurs, dans
plusieurs résolutions des organes politiques des Nations Unies, on
trouve une condamnation spécifique de ce type
d'intervention232 ; cette condamnation est de même
confirmée par la CIJ233. La confirmation de ce bannissement a
aussi été l'oeuvre de la CDI dans le cadre de ses travaux sur la
responsabilité des États. Dans son commentaire de l'article 50,
la Commission a indiqué que, pour pouvoir être admises en tant que
circonstances excluant l'illicéité, les contres mesures ne
doivent pas impliquer l'emploi de la force234.
Il est à remarquer que l'interdiction des
représailles armées n'a quasiment jamais été
contestée par les États ou par la doctrine. En effet, « few
propositions about international law have enjoyed more support than the
proposition that, under the Charter of the United Nations, the use of force by
way of reprisals is illegal »235. D'ailleurs, les
États-Unis se sont toujours alignés sur ce courant de
pensée. Dans une étude concernant la position des
États-Unis en la matière, et effectuée par Mme Julia W.
Willis du service juridique du Département d'État en 1979,
l'auteur écrivait :
231Sicilianos, supra note 57, à la
page 412.
232S/RES/111, 19 janvier 1956 ; S/RES/171, 9 avril
1962 ; S/RES/188, 9 avril 1964 ; S/RES/316, 26 juin 1972 ; S/RES/332, 21 avril
1973 ; S/RES/573, 4 octobre 1985 ; A/RES. 41/38, 20 novembre 1986.
233Détroit de Corfou, supra note 28,
à la page 35 ; Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 127, par. 249 ; Licéité de la
menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, supra note 29,
à la page 246, par. 46.
234Rapport CDI, commentaire de l'article 50,
supra note 65, pp.359-360.
235Bowett, supra note 229, à la page
1.
It is clear that the United States has taken the categorical
position that reprisals involving the use of force are illegal under
international law [...] and that it recognizes the difficulty of distinguishing
between proportionate self-defense and reprisals but maintains the distinction.
Where the United States has itself possibly engaged in reprisal action
involving the use of force, characterization of the action has been confused by
equating it also with self-defense236.
Julia W. Willis remarqua également que les
qualifications ballotent puisque, devant les instances onusiennes, le
gouvernement américain invoque la légitime défense alors
que devant le Sénat américain, on parle de représailles.
Cela montre « que dans les déclarations à portée
internationale le gouvernement des États-Unis évite soigneusement
d'invoquer la justification des représailles armées en vue de ne
pas contredire sa position catégorique traditionnelle
»237.
La lutte contre le terrorisme a constitué depuis
quelques années l'argument central des États238 ayant
eu recours à des représailles armées. En effet, lors des
bombardements du Soudan et de l'Afghanistan en 1998, en réponse à
la destruction des ambassades américaines à Nairobi et Dar
es-Salaam, le représentant américain auprès des Nations
Unies déclara que :
In response to these terrorist attacks, and to prevent and
deter their continuation, United States armed forces today struck at a series
of camps and installations used by the Bin Laden organization to support
terrorist actions against the United States and other countries. [...] The
United States, therefore, had no choice but to use force to prevent these
attacks from continuing. In doing so, the United States has acted pursuant to
the right of self-defence confirmed by Article 51 of the Charter of the United
Nations239.
C'est dans ce sens que l'on a essayé de réduire
l'écart entre les deux notions en déplaçant la ligne de
partage qui les sépare. On a inventé alors le terme hybride de
« représailles
236Julia W. Willis, « Contemporary Practice of
The United States », A.J.I.L, vol 73, 1979, pp. 49 1-492, tel que
cité dans Sicilianos, supra note 57, à la page 410.
237Sicilianos, supra note 57, à la
page 410.
238Voir la déclaration du
représentant israélien au Conseil de Sécurité
après le raid sur Tunis en date du 1er octobre 1 985.S/PV 2611, à
la page 22 ; la déclaration du représentant américain au
Conseil de Sécurité après les raids sur Tripoli et
Benghazi en 1986. S/PV 2674, pp. 13-15.
239Lettre adressée au Président du
Conseil de Sécurité des Nations Unies par le représentant
permanent des États-Unis en date du 20 août 1998, Doc.
S/1998/780.
défensives »240 que l'on a
essayé de faire coïncider avec la légitime défense,
par opposition aux « représailles offensives » qui, elles,
resteraient interdites. En d'autres termes, et toujours selon ce courant de
pensée, les représailles armées « défensives
» sont assimilables à l'exercice du droit de légitime
défense reconnu par l'article 51 de la Charte et ce, en dépit de
l'exigence d'une agression armée vu que l'on doit les concevoir comme
une modalité particulière de la légitime défense se
manifestant en deçà du seuil d'agression. Pour être plus
clair, on tente de contourner l'interdiction des représailles
armées par une invocation extensive de la légitime défense
et de donner à la légitime défense une conception assez
large pour qu'elle puisse englober un certain type de représailles
armées.
Toutefois, cette distinction entre « représailles
offensives » et « représailles défensives »
n'offre pas de critère de différenciation entre ces deux formes
de représailles et laisse une grande place au subjectivisme, ce qui
engendrera une confusion conceptuelle certaine. Ce changement d'appellation
volontaire donnée aux actions militaires entreprises reste à
notre sens insuffisant pour leur donner une certaine licéité.
Leur illicéité reste intrinsèque. Cette approche, qui
assimile les représailles armées à la légitime
défense, a été clairement dénoncée par la
CDI. Pour la commission : « la tendance [...] qui vise à justifier
la pratique consistant à tourner l'interdiction en qualifiant le recours
à des représailles armées de légitime
défense ne trouve aucune justification plausible et est
considérée comme inacceptable par la Commission
»241.
Il apparaît clairement de ce qui précède
que l'action armée entreprise par les États-Unis, en
réponse aux attentats du 11 septembre, présente toutes les
caractéristiques des représailles armées et qu'elle
s'éloigne considérablement de la légitime défense.
Elle semble beaucoup plus relever d'une logique de justice privée que du
droit international.
240Yoram Dinstein, War aggression and
self-defence, Cambridge : Grotius Publications, 1988, à la page
202.
241Rapport de la CDI sur les travaux de sa
47e session, A.C.D.I, 1995, vol. II, 2e partie,
à la page 70, par.3.
En guise de conclusion, on peut dire qu'au regard de la
compréhension classique des liens fondamentaux entre le droit de la
responsabilité et le régime de la légitime défense,
la guerre contre le terrorisme a par conséquent entamé une
réarticulation des paramètres d'applications du système de
la Charte en assouplissant le lien entre l'article 51 et le Conseil de
sécurité, tout en étendant les objectifs de cet article
à travers l'ajout d'un caractère punitif et son accommodation
à la « doctrine Bush ». Toutefois, il est important pour notre
propos de constater qu'en apparence l'argumentation et la pratique ne remettent
pas en cause la Charte, dans le sens où l'on se situe clairement dans le
cadre de l'article 51. Néanmoins, on touche à
l'intégrité du système par une
réinterprétation des liens entre les différents
éléments du système de sécurité collective,
ainsi que par un assouplissement du droit de la responsabilité
internationale.
Le système de la Charte a toutefois dû subir un
autre coup de boutoir supplémentaire avec l'intervention des
États-Unis et de ses alliés en Irak en mars 2003. Contrairement
à l'intervention en Afghanistan, l'opération Iraqi
Freedom a profondément divisé le Conseil de
Sécurité et, par conséquent, donné lieu à
une série de tentatives de réarticulation globale du jus ad
bellum contemporain, dans la mesure où les argumentaires en
présence ont fait appel à toutes les sources et théories
sur l'usage légitime de la force que nous avons examiné
jusqu'ici. Nous clorons cette étude d'ensemble sur cet exemple qui
illustre, de façon centrale, les enjeux présents du
système de sécurité collective de la Charte.
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