2.2.2. Le pouvoir d'action du Conseil de
Sécurité
Ce pouvoir d'action, qui découle directement du pouvoir
de qualification, constitue une partie intégrante de la fonction de
police et de la capacité d'intervention du Conseil de
sécurité. Là aussi, ce dernier jouit d'une grande
discrétion puisqu'il peut agir ou non, choisir le moment de l'action
ainsi que la nature des mesures à prendre.
Le chapitre VII a mis en place un mécanisme progressif
de sanctions, allant des sanctions économiques et diplomatiques (article
41) jusqu'aux sanctions proprement militaires (article 42)108. Il ne
faut pas oublier que le Chapitre VII est entouré d'autres chapitres,
notamment les Chapitres VI (règlement pacifique des différends)
et IX (coopération économique et sociale internationale) qui
favorisent les solutions autres que militaires. Ces chapitres forment le noyau
de l'effort de « paix positive » fourni par la Charte109
par opposition à la « paix négative », qui
découle du Chapitre VII110. Il ne faut pas oublier que la
philosophie et le but principal de la Charte sont la prévention des
crises et des conflits.
Mais en pratique, cela ne veut pas dire que le Conseil de
sécurité doive passer par les mesures non militaires avant de
décider de l'emploi de la force. En effet, le Conseil de
sécurité n'est pas « obligé de suivre une gradation,
en commençant par les mesures les plus bénignes pour terminer par
les mesures militaires si les précédentes n'ont pas produit
l'effet escompté : il peut se placer immédiatement sur le plan
militaire, s'il estime que la situation le
108On peut aussi intégrer les dispositions
de l'article 40, qui permettent au Conseil de Sécurité
d'appliquer des mesures provisoires afin d'empêcher la situation de
s'aggraver dans le cadre de ce mécanisme progressif de sanctions. Pour
J. Combacau, l'article 40 « atteste la possibilité d'une pause
entre la constatation de la situation et le déclenchement des mesures
», supra note 88, à la page 12.
109Zambelli, supra note 87, à la page
157.
110Ibid.
36 commande »111 et, de ce fait, l'application
de l'article 41 -- qui prévoit des mesures coercitives n'impliquant pas
l'envoi de la force militaire -- ne constitue pas un préalable à
celle de l'article 42. Malgré l'existence de cette possibilité,
la réaction armée reste néanmoins une solution
extrême, notamment dans une société internationale
où le recours à la force a été banni.
Dans la même logique, on doit donc se questionner sur le
moment adéquat pour passer des mesures non militaires à l'action
armée ?
Loin de toute apologie du militarisme, lorsque toutes les
mesures de pressions échouent, le Conseil de sécurité peut
passer à l'action militaire, tout en prenant en compte des facteurs
déterminants comme l'échec de toutes les options non militaires
pour faire face à la menace, la gravité de la menace, la
proportionnalité des moyens et la mise en balance des
conséquences de l'action militaire et de celles de
l'inaction112.
Pour les actions militaires proprement dites, l'article 42
prévoit que le Conseil de sécurité :
[...] peut entreprendre, au moyen de forces aériennes,
navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou
au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des
mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des
forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.
La Charte prévoit que les États membres doivent
mettre à la disposition du Conseil de sécurité les forces
armées, les facilités ainsi que l'assistance nécessaires
au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cela se
fait sur invitation du Conseil de sécurité et sur la
111Michel Virally, L'Organisation mondiale,
Paris : Armand Colin, 1972, à la page 462.
112Cette conclusion concerne essentiellement les cas
les plus graves comme par exemple un acte d'agression ou un génocide.
base d'accords spéciaux (article 43)113
négociés entre le Conseil et les États membres ou un
groupe de membres114.
Quant à l'article 45, il avise les États membres
de maintenir des contingents nationaux de forces aériennes
immédiatement utilisables en vue de l'exécution combinée
d'une action coercitive internationale. Les plans de celle-ci seront
établis par le Conseil de sécurité avec l'aide d'un
comité d'état-major, composé des chefs d'état-major
des membres permanents du Conseil de Sécurité.
L'article 48 évoque « les mesures
nécessaires à l'exécution des décisions du Conseil
de sécurité pour le maintien de la paix et de la
sécurité internationale qui doivent être prises par tous
les membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon
l'appréciation du Conseil»115. En d'autres termes, le
Conseil de sécurité a le libre choix des modalités
d'exécution de ses décisions. La mise en oeuvre d'une
décision du Conseil de sécurité peut être
assurée par un seul État, ou plusieurs, au nom des autres
membres. Il peut même répartir les tâches entre quelques
membres. À ce titre, le Conseil de sécurité, a
habilité en plusieurs occasions des États membres à faire
usage de tous les moyens nécessaires -- y compris la force -- afin
d'atteindre des objectifs fixés par lui. Lors de l'invasion du
Koweït par l'Irak en 1990-1991, en Somalie en 1992, en Haïti en 1994,
ou encore en Albanie en 1996, pour ne
113L'article 43 stipule que : « 1. Tous les
Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la
sécurité internationales, s'engagent à mettre à la
disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et
conformément à un accord spécial ou à des accords
spéciaux, les forces armées, l'assistance et les
facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien
de la paix et de la sécurité internationales.
2. L'accord ou les accords susvisés fixeront les
effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation
et leur emplacement général, ainsi que la nature des
facilités et de l'assistance à fournir.
3. L'accord ou les accords seront négociés
aussitôt que possible, sur l'initiative du Conseil de
sécurité. Ils seront conclus entre le Conseil de
sécurité et des Membres de l'Organisation, ou entre le Conseil de
sécurité et des groupes de Membres de l'Organisation, et devront
être ratifiés par les États signataires selon leurs
règles constitutionnelles respectives ».
114Dans la pratique, les accords spéciaux
prévus à l'article 43 n'ont jamais vu le jour.
115Selon le compte rendu des travaux du
Comité de coordination, « l'article 48 ne s'appliquera que
lorsqu'il s'agit de fournir des forces armées, et non dans le cas
où d'autres formes d'assistance devront être fournies » ;
voir les Travaux du Comité de coordination, « Compte rendu de la
vingt-huitième séance du Comité de Coordination », ZD
428 CO/192, 20 août 1945. Doc. UNICO, San Francisco, 1945, tome
XIX, à la page 214.
38
citer que ces exemples, des États membres ont
formé des coalitions avec l'autorisation du Conseil de
sécurité pour entreprendre des actions militaires. Autrement dit,
la pratique du Conseil dans le cadre du Chapitre VII consiste, en termes
d'utilisation de la force, à autoriser l'utilisation de la force par les
États membres, selon une formule adoptée lors de la Guerre du
Golfe en 1990-199 1.
Il est à noter que les décisions du Conseil de
sécurité s'imposent aux États qui ont pris, en vertu de
l'article 25 de la Charte, l'engagement d'accepter et d'appliquer les
décisions du Conseil. Mais il reste aussi à remarquer que, suite
au désaccord entre les membres permanents du Conseil et pour des raisons
essentiellement politiques, le Conseil n'a pu exercer ses pouvoirs pendant la
guerre froide116. Il n'a surtout pas pu fonder jusqu'à
aujourd'hui ses actions sur les articles 43-47 de la Charte, qui envisageaient
la mise en place de ressources militaires à la disposition permanente du
Conseil.
Pour résumer, on peut dire que la Charte a investi le
Conseil de sécurité d'un pouvoir discrétionnaire en
matière de sécurité collective et ce, que ce soit lors de
la qualification d'une situation ou lors de l'action. Le Conseil de
sécurité est libre d'agir ou non, et il peut seulement se
contenter de constater l'une des trois situations de l'article 39 sans y donner
suite. Enfin, ce pouvoir discrétionnaire concerne la forme et
l'opportunité de l'action. Les dispositions de la Charte en
matière de sécurité collective et, plus
particulièrement, celles du Chapitre VII, constituent un progrès
par rapport à celles de la SDN.
Après avoir analysé le rôle de l'organe
central en matière de sécurité collective, on peut poser
brièvement la question du rôle de l'organe plénier en la
matière. En effet, il ne faut pas oublier que l'Assemblée
générale occupe une place centrale dans la Charte des Nations
Unies. Cette dernière lui confère une compétence
ratione materiae très étendue. En matière de
maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'article
10 de la Charte stipule :
L'Assemblée générale peut discuter toutes
questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se
rapportant aux pouvoirs et fonctions de l'un quelconque des organes
prévus dans la présente Charte, et, sous réserve des
dispositions de l'article 12, formuler sur ces questions ou affaires des
recommandations aux Membres de l'Organisation des Nations Unies, au Conseil de
Sécurité, ou aux Membres de l'Organisation et au Conseil de
sécurité
Quant à l'article 11, il se lit comme suit :
1. L'Assemblée générale peut
étudier les principes généraux de coopération pour
le maintien de la paix et de la sécurité internationales, y
compris les principes régissant le désarmement et la
réglementation des armements, et faire, sur ces principes, des
recommandations soit aux Membres de l'Organisation, soit au Conseil de
Sécurité, soit aux Membres de l'Organisation et au Conseil de
sécurité ».
2. L'Assemblée générale peut discuter
toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la
sécurité internationales dont elle aura été saisie
par l'une quelconque des Nations Unies, ou par le Conseil de
sécurité, ou par un État qui n'est pas Membres de
l'Organisation conformément aux dispositions du paragraphe 2 de
l'article 35, et, sous réserve de l'article 12, faire sur toutes
questions de ce genre des recommandations soit à l'État ou aux
États intéressés, soit au Conseil de
Sécurité, soit aux États et au Conseil de
sécurité. Toute question de ce genre qui appelle une action est
renvoyée au Conseil de sécurité par l'Assemblée
générale, avant ou après discussion.
L'article 10 établit la compétence
générale de l'Assemblée générale de discuter
et de faire des recommandations sur tout ce qui touche à la
réalisation des buts et principes de l'ONU ainsi que sur les pouvoirs et
les fonctions des autres organes de l'Organisation. « L'article 10
n'interdit aucunement à l'Assemblée de discuter la manière
dont le Conseil s'acquitte de ses pouvoirs et de lui adresser des
recommandations à cet égard »1 17.
L'article 11 attribue à l'Assemblée
générale un double mandat : d'une part, elle peut étudier
les principes généraux de coopération pour le maintien de
la paix et de la sécurité internationales et faire des
recommandations. D'autre part, elle peut discuter toutes questions se
rattachant au maintien de la paix et à la sécurité
internationales dont elle est saisie, et faire
40 des recommandations à cet égard soit aux
Membres de l'Organisation, soit au Conseil de sécurité, soit
à ces deux parties.
Malgré la primauté du Conseil de
sécurité en matière de maintien de la paix et de la
sécurité internationales, les articles 10 et 11 de la Charte ont
conféré à l'Assemblée générale une
compétence parallèle, par rapport à celle du Conseil de
sécurité.
Après avoir exposé le système de la
Charte (principes de non-recours à la force et de sécurité
collective), on peut conclure en disant que l'article 2 § 4 est, d'un
certain point de vue, l'aboutissement des efforts commencés en 1899. Il
consacre l'obligation du règlement des différends par des moyens
pacifiques en garantissant la renonciation à la guerre par un
système de sécurité collective où le Conseil de
sécurité possède, en quelque sorte, un monopole de la
force au plan international.
Partant de l'idée que la paix est un bien indivis, le
système établi par la Charte présente une certaine
cohérence puisqu'il a établi une :
Sorte de contrat social international, aux termes
duquel chaque État membre [...] doit, d'une part, renoncer à
l'usage de la force dans ses relations avec les autres États (art.2,
§ 4) ; d'autre part, contrepartie logique de cet abandon individuel,
reconnaître à l'organe principal du maintien de la paix, le
Conseil de sécurité, véritable agent de
sécurité collective, les moyens de la coercition militaire
nécessaire à l'accomplissement de sa mission de police
internationale118.
En faisant disparaître le droit de faire la guerre dans
les relations internationales à travers les termes les plus
généraux, la Charte a établi un régime qui se veut
exhaustif concernant l'usage de la force. Depuis 1945, la Charte et son
régime sont devenus le standard pour l'évaluation de tout usage
de la force dans les relations interétatiques. C'est donc selon ce cadre
traditionnel de la Charte que toute argumentation juridique se développe
sur le recours à la force dans les relations internationales.
118Dupuy, supra note 116, à la page
587.
Cependant, les développements récents visent
soit à élargir l'interprétation des paramètres du
cadre juridique soit à en contester certains. Ces développements
récents remettent en question de diverses manières ce
système, en ravivant les critiques traditionnelles et les
interprétations moins prohibitives de la Charte en matière de
recours à la force, mais aussi en y ajoutant des formes de
justifications hors Charte.
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