DEUXIÈME PARTIE
EXAMEN DE LA PRATIQUE ÉTATIQUE RÉCENTE EN
MATIÈRE DE RECOURS À LA FORCE : DES NOUVELLES
ARGUMENTATIONS
Les deux premières guerres de ce XXIe
siècle (celles de l'Afghanistan et de l'Irak) ainsi que la
dernière guerre du XXe siècle (l'intervention de
l'OTAN au Kosovo) ont soulevé des questions quant à leur
légalité en vertu des dispositions de la Charte en matière
de recours à la force. Elles ont en même temps donné lieu
à des justifications qui ne respectent pas toujours la logique
traditionnelle de la Charte telle qu'elle vient d'être
présentée.
L'émergence de ces nouvelles justifications pour
recourir à la force pose des questions très fondamentales par
rapport à l'idée que le système de la Charte visait,
à savoir d'une part, faire une coupure avec le passé et le droit
international classique concernant le lien entre souveraineté et usage
de la force et, d'autre part, couvrir l'ensemble des problèmes dans ce
domaine. Ces modes de légitimation du recours à la force
remettent en effet en question l'idée d'exhaustivité du
système de la Charte en matière d'usage de la force, ainsi que
l'intégrité de la Charte en matière de
sécurité collective. Il s'agit donc de savoir si le droit
international est promis à une révolution en matière de
recours à la force, dans la mesure où la normalisation
hypothétique de ces nouvelles justifications -- qui sont parfois des
nouvelles versions de justifications antérieures à la Charte --
remettent en question la place de l'article 2 § 4 de la Charte dans le
système juridique international contemporain.
Cela nous pousse à nous demander si l'on s'achemine
vers une certaine réinstallation d'une forme d'anarchie dans
l'utilisation de la force, parallèlement à l'ordre collectif des
Nations Unies.
Ces argumentations se développent en relations avec
trois domaines ou trois objectifs de l'utilisation de la force : l'intervention
humanitaire (chapitre I), la guerre contre le terrorisme (chapitre II) et la
force préventive (chapitre III)
CHAPITRE I LE RECOURS À LA FORCE ARMÉE
DANS UN BUT HUMANITAIRE
Le recours à la force dans un but humanitaire a connu
un regain d'intérêt suite aux frappes aériennes
menées par l'OTAN à partir du 24 mars 1999, en vue de mettre un
terme à la catastrophe humanitaire au Kosovo. La question qui s'imposait
était de savoir si, en cas d'inaction du Conseil de
Sécurité, un ou plusieurs États pouvaient recourir
à la force armée dans un but humanitaire119.
En fait, l'idée selon laquelle l'emploi de la force
militaire pourrait faire partie des moyens coercitifs utilisés pour
assurer le respect des droits de l'Homme s'est développée tout au
long de la première partie des années 1990, notamment sous
l'influence de la pratique du Conseil de sécurité en
matière de maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Lors de la crise somalienne, le Conseil de
Sécurité a adopté une multitude de résolutions sous
le chapitre VII, dans lesquelles il se déclare «
profondément troublé par l'ampleur de la tragédie humaine
causée par le conflit et préoccupé par la menace que la
persistance de la situation en Somalie fait peser sur la paix et la
sécurité internationales »120. Il en est de
même pour la crise haïtienne121. Ce cycle a donc
trouvé son apogée dans l'intervention de l'OTAN au Kosovo.
119Fernando Tesón, Humanitarian
Intervention: An inquiry into law and morality, New York: Transnational
Publishers, 1988, pp. 127 et ss.
120S/RES/746, 17 mars 1992 ; voir aussi S/RES/733,
23 janvier 1992 ; S/RES/751, 24 avril 1992 ; S/RES/765, 16 juillet 1992 ;
S/RES/767, 27 juillet 1992 ; S/RES/775, 28 août 1992 ; S/RES/794, 3
décembre 1992 ; S/RES/814, 26 mars 1993 ; S/RES/946, 30 septembre 1994 ;
S/RES/953, 31 octobre 1994 ; S/RES/954, 4 novembre 1994.
121S/RES/841, 19 juin 1993 ; S/RES/861, 27
août 1993 ; S/RES/862, 31 août 1993 ; S/RES/867, 23 septembre 1993
; S/RES/873, 13 octobre 1993 ; S/RES/875, 16 octobre 1993 ; S/RES/905, 23 mars
1994 ; S/RES/944, 29 septembre 1994.
Dans notre analyse, l'accent sera mis essentiellement sur les
arguments avancés que l'on peut diviser dès le départ en
deux types : le premier type se fonde sur le droit positif, tandis que le
deuxième le dépasse en prenant l'élargissement du concept
des valeurs universelles (droits de l'Homme et démocratie) comme point
de départ. En d'autres termes, la justification de ce type
d'intervention armée se situe sur deux terrains : celui de la
légalité et celui de la légitimité. Plus
clairement, on se trouve dans le cadre d'une variété de
stratégies argumentatives qui peuvent être résumées
comme suit : il ne s'agit pas d'une violation de l'article 2 § 4, c'est
une violation dudit article qui est autorisée implicitement par la
Charte. Enfin, nous nous entendons dire qu'il s'agit d'une violation de la
Charte mais qu'elle est justifiée par une nouvelle norme.
1.1. Droit de la Charte et intervention
humanitaire
Les débats entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo
ont mis en évidence une tendance visant à écarter le
principe de non-recours à la force ainsi que le principe de non-
ingérence lorsque les droits de la personne sont gravement atteints, ce
qui correspondait pour certains « à l'état actuel du droit
international »122.
La détérioration de la situation humanitaire au
Kosovo pendant l'année 1998 a amené le Conseil de
Sécurité à prendre plusieurs
résolutions123 dans lesquelles il constatait une menace
envers la paix internationale, sans donner une habilitation à prendre
des mesures coercitives militaires à l'égard de
Belgrade124. Ceci est contraire à ce qui s'est passé
lors de la crise du Golfe, avec la résolution 678 de 1990 qui a
explicitement habilité les États membres à prendre toutes
les mesures requises -- y compris le recours à la force armée --
si l'Irak ne respectait pas l'ultimatum fixé.
122Selon les termes du Juge Valticos, « Un devoir
d'État », Le Monde, 10 janvier 1990, à la page 2.
123S/RES/1160, 31 mars 1998 ; S/RES/1199, 23 septembre 1998 ;
S/RES/1203, 14 octobre 1998.
124Il est à noter que deux membres
permanents du Conseil de Sécurité, en l'occurrence la Chine et la
Russie, ont exprimé leur refus contre toute résolution
d'habilitation au recours à la force et ont menacé d'utiliser
leur droit de veto.
Le Conseil de l'Europe a adopté une déclaration,
le 25 mars 1999, dans laquelle il déclare
qu':
À la veille du XXIe siècle, l'Europe
ne peut pas tolérer que se déroule en son sein une catastrophe
humanitaire [...] Nous les pays de l'Union Européenne, avons
l'obligation morale de veiller à ce que ne se répètent pas
des actes de violences aveugles comme le massacre de Racak en janvier 1999
[...]125.
Cette argumentation fait de l'opération militaire au
Kosovo un exemple de
Ce fameux droit d'ingérence humanitaire, qui exprime
l'idée selon laquelle les sujets de droit international auraient, en
l'absence de tout consentement du souverain territorial, un titre juridique
à commettre une ingérence sur le territoire d'un État,
pour venir au secours d'une population en détresse humanitaire,
notamment lorsque cette population est victime de violation massive des droits
de l'Homme126.
Soucieux de donner une certaine légalité
à l'action de l'OTAN au Kosovo, les partisans de cette intervention
armée ont essayé de trouver des justifications juridiques en
partant d'une certaine relecture des normes en vigueur du droit international.
Le premier argument avancé visait à écarter le jeu de
l'article 2 § 4 à travers une interprétation restrictive.
Selon cette interprétation, ledit article n'interdit pas l'emploi de la
force armée dans toutes ses formes. Pour être plus clair, tant que
cette intervention armée n'est pas dirigée contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
État, et tant qu'elle n'est pas incompatible avec les autres buts des
Nations Unies, elle est conforme au droit de la Charte en la matière.
L'ajout de ces qualifications dans le texte de l'article 2 § 4 doit
être compris comme une restriction de sa portée. L'article 2
§ 4 pose donc trois conditions pour qu'un recours à la force soit
interdit. Dans l'affaire relative à la licéité de
l'emploi de la force, la Belgique a adopté
125Déclaration du Conseil de l'Europe, Berlin,
25 mars 1999. [En ligne] :
[http ://
www.diplomatie.gouv.fr/actual/dossiers/kossovo/kossovo1
7.html] (page visitée le 29 mars 2007)
126Jean-Denis Mouton, « Libertés
publiques et droit à la guerre : une évolution du droit
international ? » dans Droits de la personne : Éthique et
mondialisation, Actes des journées strasbourgeoises de l'Institut
canadien d'études juridiques supérieures, Strasbourg,
Éditions Yvon Blais, 2004, à la page 515.
cet argument lors de ses plaidoiries, en affirmant que
l'intervention au Kosovo n'était pas dirigée contre
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la
République fédérale de Yougoslavie et que, de ce fait,
elle ne devait pas être considérée comme contraire à
l'article 2 § 4127 . En réalité, la Belgique ne
faisait que s'aligner sur l'interprétation adoptée par
l'Assemblée parlementaire de l'OTAN avant les frappes
aériennes128.
On peut donc dire, toujours selon la doctrine favorable
à l'intervention humanitaire, que cette dernière est
légale dans la mesure où elle n'est pas dirigée contre
l'intégrité territoriale de l'État visé.
L'intervention vise essentiellement le rétablissement des droits de la
personne enfreints et non l'appropriation du territoire. Il est à noter
qu'on est dans le cadre d'un vieil argument129 qui est ici repris
pour un nouvel objectif.
Cependant, pour qu'une atteinte à
l'intégrité territoriale d'un État soit établie, il
n'est pas requis que l'État intervenant prétende annexer ou
détacher une partie du territoire de l'État victime. Lors de
l'intervention au Kosovo, l'ampleur de l'attaque de l'OTAN n'a pas
été sans conséquences sur l'intégrité
territoriale de la Yougoslavie. En effet, il paraît « difficile de
prétendre que la vague des bombardements massifs
déclenchée par les forces de l'OTAN n'ait pas abouti à
affecter l'intégrité territoriale de la Yougoslavie ; de plus, en
fait, le Kosovo est aujourd'hui soustrait à l'administration des
autorités de Belgrade »130.
Théoriquement -- et pratiquement --, on voit mal
comment le passage des troupes armées dans le cadre d'une
opération armée à travers les frontières de
l'État visé, s'opère dans le respect de son
intégrité territoriale, ceci sans son consentement. Ce qui
compte, c'est le fait
127Intervention du conseil de la Belgique à
l'audience publique de la C.I.J. tenue le 10 mai 1999 dans l'affaire relative
à la licéité de l'emploi de la force, CR 99/15.
[En ligne] : [http ://
www.icjcij.org/docket/files/105/4515.pdf]
(page visitée le 20 juin 2007).
128Résolution sur l'OTAN et l'intervention
humanitaire, n° 286, 15 novembre 1999. [En ligne] : [http
://www.nato-pa.int/archivedpub/resolutions/99-amsterdam-286-f.asp] (page
visitée le 20 juin 2007).
129Voir, par exemple, Anthony D'amato, «
Israel's air strike upon the Iraqi Nuclear Reactor », AJIL, vol.
77, 1983, à la page 584 ; Rosalyn Higgins, « General course on
public international law », RCADI., tome 230, 1991, à la
page 313.
130Dupuy, supra note 116, à la page
613.
lui-même et non l'intention réelle ou
présumée de l'auteur de l'intervention. Comme nous l'avons
déjà signalé, cette argumentation n'a rien de nouveau. En
fait, elle ne fait que raviver une argumentation ancienne donnée lors de
l'opération de Suez en 1956131, de l'opération
israélienne sur l'aéroport d'Entebbe en 1976132 et
lors de l'intervention américaine à Grenade en
1983133, pour ne citer que ces trois exemples.
À ce niveau de l'analyse, il est utile de se
questionner sur l'utilité ou l'apport des termes « emploi de la
force qui ne met pas en cause l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un État ». Il est évident
que ces termes ne signifient pas seulement les actes d'agression les plus
caractérisés. Cela est d'autant plus vrai si l'on se
réfère à l'esprit de la Charte, dans la mesure où
l'ajout de ces caractéristiques ou de ces précisions lors de la
Conférence de San Francisco, sur proposition de
l'Australie134, avait pour but d'expliciter l'interdiction du
recours à la force plutôt que de l'affaiblir135.
Après un examen des travaux préparatoires de la
Charte136, Ian Brownlie avait conclu que l'inclusion du membre de
phrase « contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout État » suite à la
demande des petits États, avait pour but de restreindre l'utilisation de
la force et de barrer la route devant les ambitions des grandes
puissances137.
131Documents officiels de l'Assemblée
Générale, 1ère session extraordinaire
d'urgence, 1er au 10 novembre 1956, 562e séance,
1er novembre 1956, p. 22, §105.
132Dans sa déclaration au Conseil de
Sécurité, le représentant israélien déclara
que : « le paragraphe 4 de l'article 2 doit être
interprété comme interdisant le recours à la force contre
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique des
nations mais non point comme interdisant un recours à la force,
limité dans son but et dans ses effets à la protection de
l'intégrité d'un État et des intérêts vitaux
de ses ressortissants lorsque le mécanisme prévu par la Charte
des Nations Unies est inopérant dans une situation donnée »,
S/PV.1942, 13 juillet 1976, § 103. Voir aussi S/PV.1942, 9 juillet 1976,
§ 115.
133 Devant le Conseil de Sécurité, Mme
Kirkpatrick, ambassadrice des États-Unis, a déclaré que :
« L'interdiction de l'emploi de la force à laquelle se
réfère la Charte doit être replacée dans le
contexte. Elle n'est pas absolue [...] ». S/PV.2491, 27 octobre 1983, p.
41.
134UNCIO, vol 3, à la page 543 ; vol 6 à
la page 607.
135Sicilianos, supra note 57, à la
page 465.
136Les travaux préparatoires des traités
peuvent être utilisés comme moyen d'interprétation selon
les dispositions de l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités de 1969.
137Ian Brownlie, « Humanitarian Intervention
», dans John Norton Moore (ed), Law and civil war in modern
world, London : John Hopkins University Press, 1974, pp.217-228.
Il ne fait aucun doute que les dispositions de la Charte ne
permettent aucune échappatoire à l'interdiction
générale de l'article 2 § 4, sauf celle contenue dans
l'article 51 en ce qui concerne l'usage unilatéral de la force.
L'interprétation littérale de l'article 2 § 4 n'est rien
d'autre qu'un argument qui n'a rien à voir avec le caractère
humanitaire de l'intervention en soi et, de ce fait, il doit être
rejeté.
Un autre argument a été avancé par les
tenants de ce type d'intervention et particulièrement par quelques
membres permanents du Conseil de Sécurité. Selon ce dernier, la
simple référence au Chapitre VII dans les résolutions du
Conseil de Sécurité peut être une base légale au
recours à la force notamment dans les situations persistantes.
Toutefois, cette analyse n'est pas conforme avec
[...] la pratique antérieure du même Conseil de
Sécurité, inaugurée précisément durant la
crise du Golfe avec la résolution 678 en 1990. Cette dernière ne
se contentait pas d'une simple référence au Chapitre VII. Elle la
comportait mais pour habiliter ensuite explicitement les États membres
à prendre toutes les mesures requises [...] si la situation
créée par l'Irak perdurait au-delà d'une certaine date.
[De plus] l'attitude de deux des membres permanents, la Russie et la Chine,
durant l'opération entreprise par les pays de l'OTAN au Kosovo,
caractérisée par leur veto à l'égard de toute
résolution d'habilitation au recours à la force, interdit qu'on
puisse voir dans la pratique durant cette crise une consécration de
[cette] thèse138.
En dehors du cas du Kosovo, et toujours dans le cas de
l'utilisation de la force dans un but humanitaire, on a invoqué dans le
passé l'article 51 comme justification. En effet, celui-ci a
été invoqué pour justifier des interventions militaires,
pourtant à forte résonance humanitaire, menées dans les
années 1970, comme celles de l'Inde au Bengladesh en 1971, celles du
Vietnam au Kampuchéa en 1978, ou encore celles de la Tanzanie en Ouganda
en 1979. Lors de l'intervention indienne au Bengladesh, le représentant
indien a invoqué devant le Conseil de Sécurité l'argument
de la légitime défense puisque, pour lui, son pays avait
été victime, premièrement d'une agression armée
suite aux « bombardements des villages situés près de la
frontière pakistanaise » et, deuxièmement, d'une autre forme
d'agression causée par l'afflux d'une dizaine de millions de
réfugiés qui ont fui le Pakistan suite aux exactions
138Dupuy, supra note 116, à la page
610.
commises par ce dernier139. Quant à
l'affaire de Kampuchéa, le Vietnam a invoqué comme seule
justification de son action militaire l'article 51 de la Charte contre «
la guerre d'agression » entreprise par les khmers rouges140.
Pour le dernier exemple cité, la Tanzanie affirmait avoir agi en
légitime défense face à « l'occupation », par
l'Ouganda, d'une partie de son territoire depuis le 31 octobre 1978. Le
président tanzanien déclara que : « [This war] that being
conducted by Tanzania in southern Uganda, was presented as being the
«continuation» of the action in self-defence against the aggression
committed by Uganda against Tanzania at the end of 1978
»141.
Néanmoins, il s'agit dans les trois cas d'une
interprétation extensive de l'article 51 puisque aucun des États
n'avaient été victime d'une agression armée proprement
dite. Cela nous pousse à dire que le recours à la légitime
défense pour justifier une intervention humanitaire est dépourvu
de tout fondement juridique. En d'autres termes, les États se fondent
sur l'argument de la légitime défense pour pallier la faiblesse
de l'argument de l'intervention humanitaire, qui est étranger à
la Charte. C'est pour cela que nous pensons devoir nous rallier à
l'idée selon laquelle « dans le droit international en vigueur
aujourd'hui, qu'il s'agisse de droit coutumier ou du système des Nations
Unies, les États n'ont aucun droit de riposte armée collective
[ou autre] à des actes ne constituant pas une agression armée
»142 et, d'autre part, « aucune action coercitive ne sera entreprise
en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans
l'autorisation du Conseil de Sécurité »143.
Quoi qu'il en soit, les partisans de l'intervention
humanitaire n'ont jamais réussi à présenter une doctrine
cohérente et argumentée. Cela est essentiellement dû
à l'absence du
139Nations Unies, Conseil de Sécurité,
Documents officiels, 1606e séance, 4 décembre 1971,
§ § 160- 163.
14034 SCOR (XXXIV), 2108e séance, 11
janvier 1979, § 115-116 ; § 120 ; § 126 ; § 128 ; §
130. 141Tel que cité dans Natalino Ronsitti, Rescuing
Nationals Abroad Through Military Coercition and Intervention on Grounds of
Humanity, Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1985, à la page
102.
Lors de la réunion de l'Organisation de l'Union
Africaine, en date du 17 juillet 1979, le président tanzanien conclut
dans un rapport écrit : « The war between Tanzania and Ibi Amin's
régime in Uganda was caused by the Ugandan army's aggression against
Tanzania and Ibi Amin's claim to have annexed part of Tanzanian territory.
There was no other cause for it », Ibid., à la page 105.
142Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 105, par. 211.
143Alinéa 1 de l'article 53 de la Charte.
cadre légal, c'est-à-dire l'absence d'un cadre
juridique qui se fonde sur des textes incontestables, notamment la Charte des
Nations Unies -- instrument de référence essentiel en la
matière. On « conviendra [donc] qu'il demeure malaisé de
justifier l'intervention en restant dans le cadre de la Charte des Nations
Unies »144. En effet, « si aucune argumentation juridique
pleinement convaincante permettant de justifier en droit l'intervention
militaire de l'OTAN au Kosovo n'a été trouvée, c'est qu'il
n'en existe vraisemblablement pas »145. Soucieux de cet
obstacle, les défenseurs de ce type d'intervention ont essayé de
pousser l'argument en déclarant que la Charte ne constitue pas l'unique
source du droit international146 et que, par conséquent, les
dispositions de la Charte qui limitent le recours à la force ne doivent
pas être considérées comme absolues lorsque ce recours a un
but humanitaire. Ce malaise dans l'argumentation juridique a poussé ces
mêmes partisans à changer de registre pour se situer sur le plan
de la légitimité. D'une part, cette dernière, il faut le
dire, laisse une large place à la subjectivité et, d'autre part,
elle est nettement moins saisissable que la légalité.
Dans le cas du Kosovo, le débat juridique a
dérapé vers une argumentation fondée sur la
légitimité avec l'invocation de notions telles que l'esprit du
droit international, la protection des valeurs fondamentales. On a même
invoqué la possibilité d'écarter les normes positives pour
protéger ces valeurs. Le professeur Serge Sur a bien décrit cette
situation puisque, pour lui, « derrière chaque type d'argumentation
juridique flotte l'ombre de la légitimité, qui peut
144Dupuy, supra note 116, à la page
611.
145Philippe Weckel, « Interdiction de l'emploi
de la force : de quelques aspects de méthode », dans Les
métamorphoses de la sécurité collective, S.F.D.I,
Paris : Pedone, Journée franco-tunisienne, 2005, à la page
189.
146Le représentant des Pays-Bas au Conseil
de Sécurité a déclaré que : « Nous
espérons [...] que les quelques délégations qui ont
soutenu que les frappes aériennes de l'Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord (OTAN) contre la République fédérale de
Yougoslavie ont été opérées en violation de la
Charte des Nations Unies commenceront un jour à se rendre compte que la
Charte n'est pas l'unique source du droit international [...] la Charte est
bien plus précise sur le chapitre de la souveraineté que sur
celui du respect des droits de l'Homme, mais, depuis le jour de sa
rédaction, le monde a connu un déplacement progressif de cet
équilibre, qui a rendu le respect des droits de l'Homme plus obligatoire
et le respect de la souveraineté moins absolu ». S/PV/401 1, 10
juin 1999, p.1 3.
séduire à défaut de convaincre, persuader
que l'action est juste même si elle ne correspond pas à une
appréciation vétilleuse de la légalité
»147.
1.2. Étirement du concept de la défense des
valeurs universelles : droits de l'Homme et démocratie
Pendant la crise du Kosovo, l'ex-président
français Jacques Chirac a affirmé dans une déclaration
attribuée au journal Le Monde que « la situation
humanitaire constituait une raison qui peut justifier une exception à
une règle, si forte, si ferme soit elle »148. Il ne fait
aucun doute que la règle visée est celle de l'interdiction du
recours à la force. Il y avait donc « une véritable
obligation d'intervention »149.
En termes juridiques, pour exclure la régulation
juridique ordinaire, on invoque des circonstances exceptionnelles, une sorte de
circonstances excluant l'illicéité en ressemblance avec le Projet
d'articles de la CDI sur la responsabilité étatique. De cette
façon, l'« obligation d'intervenir » sera ajoutée
à la légitime défense et à l'état de
nécessité.
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